Clinic n° 04 du 01/04/2011

 

INTERVIEW

Anne-Chantal de Divonne  

En pleine affaire du Mediator®, l’AFSSAPS* a retiré l’ensemble des spécialités contenant du dextropropoxyphène du marché français et mis sous surveillance 77 médicaments, parmi lesquels le tramadol et le MEOPA**. Vianney Descroix, chirurgien-dentiste et pharmacien, revient sur ces décisions.

Vianney DESCROIX

Le Di-Antalvic® et le Propofan®, qui contiennent du dextropropoxyphène, sont retirés du marché depuis le 1er mars. Une bonne nouvelle ?

Oui, parce que cette molécule n’a jamais vraiment été évaluée cliniquement. De plus, des effets négatifs sont apparus même lors d’une utilisation de routine. Enfin, cette molécule n’a jamais été recommandée par aucune société savante. Il y a eu des réticences à sa disparition dans la communauté médicale et scientifique. Des médecins y étaient très attachés ; leurs patients la supportaient bien et étaient soulagés de leur douleur. Mais la décision européenne*** a contraint la France, qui est d’ailleurs l’un des derniers pays européens à avoir supprimé l’usage de ces médicaments. Les États-Unis sont aussi sur le point de le faire. Une étude récente montre des liens entre le recours au dextropropoxyphène et des troubles cardiaques.

Pourquoi cette molécule n’a-t-elle jamais été évaluée correctement ?

Les règles de mise sur le marché n’étaient pas aussi strictes lorsqu’elle a été mise sur le marché il y a 47 ans. Actuellement, des recherches cliniques très poussées sont exigées.

Comment comprendre la mise sous surveillance du tramadol ?

Cet antalgique est utilisé en France depuis les années 1995-2000. Il est largement recommandé par la communauté scientifique. Or, on s’aperçoit d’une progression de l’addictologie notamment lorsque le tramadol est pris pendant de longues périodes. C’est la raison pour laquelle le comité d’addicto­vigilance de l’AFSSAPS l’a mis sous surveillance. La surveillance est aussi rendue nécessaire à cause du report de prescription important prévu du dextropropoxyphène vers le tramadol.

Pourquoi le MEOPA tout récemment autorisé avec tant de précautions dans les cabinets de ville fait-il aussi partie des médicaments sous surveillance ?

La surveillance annoncée par l’AFSSAPS est en réalité un plan de gestion des risques (PGR) qui est mis en place pour tout nouveau médicament. Dans le cas du MEOPA, qui sort de sa réserve hospitalière, la surveillance porte sur les effets indésirables et leur notification. On surveille aussi une éventuelle pharmacodépendance et le mésusage du médicament.

Un autre aspect contrôlé concerne la sécurisation des locaux, la sécu­rité et la traçabilité de l’utilisation des bouteilles de gaz qui contiennent la solution ainsi que la forma­tion des soignants.

Finalement, il s’agit d’une surveillance classique, comme pour tout médicament…

Oui, il n’y a là rien de spécifique. Mais avec l’affaire du Mediator®, l’AFSSAPS doit montrer qu’elle agit. La France est un des pays qui surveille le mieux ses médicaments. Avec le Mediator®, il y a un gros souci avec l’AFSSAPS. Mais cela ne veut pas dire que l’agence du médicament laisse traîner les choses. Au contraire, elle passe pour une agence assez sévère, parfois trop, et qui ne prend aucun risque. Sortir cette liste était une manière de réagir à un moment où tout le monde critiquait son action et son fonctionnement. Mais, en réalité, la liste existait bien avant et les médi­caments étaient déjà sous surveillance. D’ailleurs, le cas du MEOPA est exemplaire d’une démar­che très sévère de l’agence. Ce produit est en effet déjà utilisé depuis de nombreuses années dans les cabinets dentaires européens sans qu’il ne se soit jamais rien passé.

Que recommander aux chirurgiens-dentistes pour établir une prescription la moins risquée possible ?

Qu’ils s’informent régulièrement. Un bon moyen est de s’abonner aux bulletins d’alerte sur les médicaments et dispositifs médicaux de l’AFSSAPS et de la Haute­Autorité de santé qui sont envoyés gratuitement plusieurs fois par jour****. Les revues sont aussi intéressantes. Prescrire a le mérite de ne rien « lâcher » mais est aussi parfois très extrémiste. Si on suit la revue au pied de la lettre, tous les médicaments sont des poisons épouvantables ! Mais il faut recon­naître que les informations en provenance du monde entier n’apparaissent pas dans la presse standard française. Il est aussi et surtout nécessaire de bien connaître les médicaments que l’on prescrit et de se référer au Vidal qui décrit beaucoup d’effets indésirables. Et puis, il y a la formation continue. Enfin, le praticien ne doit pas se laisser influ­encer par l’industrie pharma­ceutique. Les visiteurs médicaux ont un poids énorme dans notre pays ; ils sont le premier relais de formation pour les praticiens qui ne se forment pas. Et pourtant, leur information n’est pas la plus fiable ni la plus objective !

Philippe CASAMAJOR

Quelle règle majeure donner à un chirurgien-dentiste pour qu’il établisse une prescription la moins risquée possible ?

D’abord, qu’il prescrive des médicaments sur lesquels on a un certain recul.

Pensez-vous que le dossier médical personnel sera un bon outil pour mieux prescrire ?

Oui, s’il est bien rempli. Les informations seront a priori plus complètes. Il faudrait qu’il donne les effets indésirables et qu’il permette d’éviter les interactions médicamenteuses. Mais de toute façon, il n’évitera pas le questionnaire de santé, indispensable.

Les chirurgiens-dentistes prescrivent-ils toujours trop d’antibiotiques ?

L’antibiotique a parfois été plus utilisé pour rassurer le praticien que par nécessité médicale. On parlait alors d’antibiotique de couverture. Le terme a été supprimé. Dans le cas de l’antibioprophylaxie, c’est-à-dire quand l’état général du patient nécessite la prise d’un antibiotique pour effectuer un acte, c’est pour le moment la révision de la conférence de consensus de 2005 qui guide les praticiens. Une nouvelle révision de la conférence prévue au mois de juin restreindra peut-être encore le champ de prescription. Dans le cas de l’antibiothérapie curative, les conditions de prescription sont bien déterminées.

* Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.

** Mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote.

*** Décision de la Commission européenne du 14 juin 2010, demandant ce retrait du marché européen dans un délai de 15 mois.

**** Une mise au point de l’AFSSAPS sur la prise en charge des douleurs de l’adulte modérées à intenses a été diffusée en novembre 2010 et peut être consultée sur le site : www.afssaps.fr/infos de sécurité/mises au point.