Clinic n° 04 du 01/04/2011

 

ENQUÊTE

Anne-Chantal de Divonne  

Le dossier médical personnel (DMP) est fin prêt. Après des tests depuis la mi-décembre et l’ouverture du site Internet qui permet la création des dossiers depuis début janvier, une nouvelle étape va être franchie au mois d’avril : la possibilité pour les patients d’avoir accès à leur dossier directement par Internet.

Comment fonctionne ce nouveau dispositif que tout chirurgien-dentiste va désormais devoir intégrer dans sa pratique ?

Le dossier médical personnel semble enfin sur les bons rails. Le temps n’est plus aux effets d’annonce et aux temps morts qui ont jalonné son histoire. En 2004, la loi portant réforme de l’Assurance maladie instituait le DMP qui devait être à la disposition de chaque assuré à la mi-2007. Ce dossier dématérialisé était, avec le médecin traitant, la principale mesure structurelle prévue pour économiser 3,5 milliards d’euros par an sur les dépenses de santé. Une baisse de remboursement était même envisagée, en guise de sanction, pour les patients qui auraient refusé de s’en servir ! Mais à l’échéance donnée, le DMP n’était pas prêt et sa préparation était au point mort.

En 2009, la ministre de la Santé Roselyne Bachelot relançait le chantier en faisant appel à une ­nouvelle structure publique, l’Agence des systèmes d’informa­tion partagés de santé (ASIP-Santé) qui traite aussi l’informatique hospitalière, la télémédecine, la ­carte de professionnel de santé…

Objectif qualité des soins

Et c’est finalement un DMP bien différent, dans sa conception, de celui imaginé en 2004 qui est sorti des limbes à la mi-décembre. L’objectif n’est plus de faire des économies mais d’améliorer la qualité des soins pour tous et de faciliter la prise en charge globale d’un patient, notamment dans le cadre de pathologies chroniques. Pour le ministre de la Santé Xavier Bertrand, qui, par un retour de l’histoire dont les hommes politiques ont le secret, a inauguré le lancement du DMP dont il avait été l’instigateur avec Philippe Douste-Blazy en 2004, « c’est d’abord un outil au service des patients ». Bien entendu, les économies ne sont pas exclues. « La qualité produit toujours des économies » remarque le ministre. Par exemple, le DMP fournit les éléments qui permettent de ­limi­ter la redondance des actes (15 % des actes). Mais aucune mesure coercitive n’est couplée au DMP. Les patients sont libres d’en ouvrir un ou non. En fait, ce DMP est proposé au patient pour faciliter la « prise en main de sa santé ». Au fil des années, il va constituer une véritable « mémoire santé » qui, accessible en tout lieu, lui permettra d’être soigné là où il se trouve. Les professionnels de santé peuvent accéder simplement et rapidement, en toute sécurité, aux données de santé et aux informations nécessaires à la prise en charge d’un patient, données inscrites par les différents professionnels qui ont pris en charge le patient : les comptes rendus, les résultats d’analyses, les bilans allergologiques, les prescriptions de traitements… sont accessibles immédiatement. Cet instrument d’échange ne remplace pas pour autant le dossier constitué par le professionnel pour chacun de ses patients.

Plusieurs étapes

Une phase de test a été lancée à la mi-décembre dans 5 régions (Alsace, Aquitaine, Franche-Comté, Picardie et Rhône-Alpes). Puis, au mois de janvier, la possibilité a été donnée à tous les professionnels de santé porteurs d’une carte de professionnel de santé (CPS) d’ouvrir un DMP et de le consulter avec l’autorisation de leur patient en se connectant sur le site Internet www.dmp.gouv.fr. Mais aujourd’hui, une nouvelle étape va être franchie. Les patients vont pouvoir consulter leur propre DMP. Pour Xavier Bertrand, là est le vrai démarrage.

Le déploiement progressif du DMP sur le territoire va s’appuyer sur la mise au point, par les éditeurs, de logiciels « DMP compatibles » qui permettra d’éviter la double saisie des informations. Un arrêté prévu dans le courant de l’année devrait rendre opposable la « DMP compatibilité ». Pour le moment en tout cas, aucun logiciel n’a intégré le DMP dans ses fonctions. Les concepteurs de logiciels dentaires ont reçu le cahier des charges concernant le DMP au mois de janvier. Et aucun ne s’aventure encore à fixer une date de mise en conformité !

Pour l’heure, l’ASIP a choisi de soutenir en particulier le développement du dossier au sein des réseaux spécialisés (cancer, diabète, accidents vasculaires ­cérébraux) et sur des territoires ciblés avec l’aide des agences régionales de santé.

Xavier Bertrand a indiqué par ailleurs qu’en lien avec la caisse d’assurance maladie, l’ASIP-Santé étudiait les modalités de soutien aux professionnels de santé pour faire évoluer leur outil.

Deux millions de DMP en 2011 ?

Conscient du scepticisme engendré par l’histoire mouvementée du DMP, Jean-Yves Robin, directeur général de l’ASIP-Santé, se garde de fixer un objectif à atteindre en nombre de dossiers. Il évoque simplement un ordre de grandeur de 2 millions de dossiers ouverts en 2011. Mais plus que la quantité de DMP ouverts, c’est leur intérêt pour la coordination des soins que recherche l’ASIP-Santé. La création de 500 000 DMP régulièrement consultés et alimentés durant l’année 2011 serait un résultat satisfaisant. « Il faudra 5 ans pour mesurer notre succès ou notre échec, pense Jean-Yves Robin. Et pour juger de l’utilité de cet outil dans la coordination des soins, le meilleur critère sera plutôt le nombre de professionnels de santé qui utilisent le dossier d’une même personne. »

Mode d’emploi

Le DMP prend la forme d’un espace d’information dématérialisé accessible en ligne et de façon sécurisée. Il est dès à présent accessible par l’intermédiaire du site www.dmp.gouv.fr. Il le sera directement par l’intermédiaire des logiciels professionnels de santé lorsqu’ils seront « DMP compatibles ».

Créer un DMP

Tout professionnel de santé titulaire de la CPS et tout titulaire de la carte de professionnel d’établissement peut créer un DMP. Mais c’est le patient qui décide de la création de son DMP. Il en fait la demande à l’un de ces professionnels qui lui remet une brochure l’informant de ses droits. Le patient donne son consentement oral, libre et éclairé. Lors de cette première étape, le professionnel de santé remet au patient ses codes de connexion. De retour chez lui, le patient peut se connecter au site du DMP (www.dmp.gouv.fr) et changer son mot de passe. Il reçoit alors un code à usage unique sur son téléphone mobile ou sur sa messagerie électronique lui permettant d’accéder à son DMP. Dans cette phase de démarrage, un identifiant national de santé (INS) est automatiquement attribué au patient pour son DMP. Il est calculé sur la base des informations contenues dans sa carte Vitale. Cet identifiant est nécessaire à la création du DMP comme à son alimentation. Il va permettre d’échanger les différentes données de santé et de s’assurer que la bonne information est attribuée à la bonne personne.

Alimenter le DMP

Seuls les porteurs de la CPS peuvent alimenter le DMP. L’espace disponible est structuré en 8 rubriques qui organisent les données de santé : un espace de synthèse des données médicales générales, les traitements et soins (prescriptions…), les comptes rendus (d’hospitalisation…), l’imagerie médicale (les derniers examens par IRM…), les analyses de laboratoire (résultats de prises de sang…), la prévention (les rappels de vaccins…), les certificats et déclarations (aptitude à un sport…), l’espace personnel, qui contient les documents ou les informations que le patient juge importants de porter à la connaissance des soignants. Le Code de la santé publique ­précise que le dossier pharmaceutique alimente le DMP. L’ASIP-Santé et l’ordre des pharmaciens, chargé de la conception et du déploiement du dossier pharmaceutique, travaillent aux conditions de la mise en œuvre de ce dispositif voulu par le législateur.

Consulter un DMP

Seuls les porteurs de la CPS et leurs titulaires peuvent accéder au DMP. Après avoir obtenu l’autorisa­tion de son patient, le chirurgien-dentiste se connecte au DMP via le site http://www.dmp.gouv.fr, en s’identifiant avec sa CPS. Lorsque les logiciels dentaires auront adapté leur produit, les chirurgiens-dentistes pourront se connecter au DMP directement via leur logiciel dentaire. En fonction de son métier, le professionnel de santé n’a accès qu’à certaines informations. Les chirurgiens-dentistes peuvent accéder à toutes les informations contenues dans le DMP sauf au bilan d’information sur la perte d’autonomie. Le chirurgien-dentiste, comme tout autre professionnel de santé, n’accède pas non plus aux données qui sont masquées par le patient. Seul le médecin traitant a accès à la totalité des informations, y compris celles qui sont masquées. Le patient accède en permanence à son DMP par le site www.dmp.gouv.fr grâce à son identifiant et son mot de passe ainsi qu’à un code d’accès à usage unique qui change à chaque connexion.

Accès en urgence

Lorsque le professionnel de santé se trouve face à une situation de risque immédiat pour la santé du patient et qu’il n’a pas les moyens d’obtenir son accord pour accéder au DMP, il peut avoir recours à « l’accès en bris de glace » par lequel il dispose des éléments importants pour la prise en charge en urgence (risques d’interactions médicamenteuses, allergie…). Mais là encore, le patient peut s’opposer à ce mode d’accès via son espace en ligne ou en en faisant la demande à un professionnel de santé qui l’indiquera dans son DMP.

Un accès tracé

Le patient a toujours libre accès à son DMP. En revanche, les professionnels de santé doivent recevoir son autorisation pour y accéder, le consulter et y ajouter les informations qu’ils jugent utiles à la coordination des soins. Chacun des accès est tracé (date et heure de l’accès, nature de la consultation). Le titulaire du DMP et le médecin traitant voient toutes les traces des accès au DMP (qui, quand et pour quelle action). Les autres professionnels voient seulement leurs traces. Tout accès non autorisé est passible de poursuites pénales.

Les données contenues dans le DMP sont stockées informatiquement par un consortium mené par La Poste et la société de services informatiques Atos Origin.

Durée de vie du DMP

Le DMP est supposé accompagner le patient sa vie durant. Toutefois, il peut en demander la clôture à tout moment, par l’intermédiaire d’un professionnel de santé. Le DMP est alors archivé pendant 10 ans, puis définitivement détruit. Pendant cette période de 10 ans, il peut être réactivé sur simple demande du patient. Lorsque le patient demande une destruc­tion du DMP, il adresse un courrier recommandé, via un formulaire contenu dans la brochure d’information. Cette destruction est alors irréversible. Le DMP ne peut plus être réactivé et seule la trace de la destruction est conservée.

Jacques Le Voyer, UJCD, membre de la commission informatique de l’ADF

Le DMP tel qu’il est proposé aujourd’hui vous semble-t-il un outil intéressant pour les chirurgiens-dentistes ?

Les chirurgiens-dentistes ont accès en entrée et sortie à la quasi-­totalité des informations du DMP. En ce sens, c’est une bonne chose.

Nos logiciels dentaires n’étant pas encore « compatibles DMP », la consultation et les enrichissements devront se faire via le site du DMP. La procédure est donc moins fluide, mais cela évoluera probablement avec le temps

Quels sont, pour vous, les points forts et les faiblesses du DMP ?

Le principal écueil et ce qui en limite sa portée médicale est le fait que la loi autorise le masquage des données. Le patient autorise le professionnel de santé à créer un DMP et à y inscrire des informations mais il a aussi le droit de lui demander de ne pas inscrire une donnée médicale le concernant, par exemple sa séropositivité ! Cela explique que des dossiers ont été créés parallèlement au DMP comme celui des pharmaciens ou celui des médecins.

Ainsi, donc, les informations médicales contenues dans le DMP sont valables et sûres mais celles qui sont masquées peuvent, si le patient ne les donne pas oralement, faire prendre un risque au praticien, voire au patient.

Selon vous, quelles informations le chirurgien-dentiste aurait-il intérêt à y inscrire ?

L’apport du chirurgien-dentiste au DMP est limité, sauf à mon sens pour signaler notamment la présence de foyers infectieux d’origine dentaire. Bien entendu aussi, les pathologies générales qu’il dépisterait. Mais dans ce cas, le médecin traitant devrait être informé et il serait légitime que ce soit lui qui assure l’inscription de cette information.

À première vue, c’est l’imagerie qui serait la plus intéressante mais son intégration est limitée par les formats trop souvent propriété des fabricants de matériels et logiciels d’imagerie. La commission informatique de l’ADF continue donc de se pencher sur ce problème pour trouver une solution, notamment dans le cadre de son travail sur le TDIO (transfert de données informatiques en odontologie). Dans l’attente de formats standar­disés, c’est l’écrit qui sera le support de cette information.

Gilbert Bouteille

En quoi l’Ordre est-il impliqué dans le DMP ?

L’essentiel était pour nous de nous assurer de la confidentialité des données et de la conservation du secret professionnel. Nous voulions aussi disposer des mêmes habilitations que les autres professionnels de santé. Nous en disposons effectivement, à une exception près : nous n’avons pas accès au bilan fonctionnel.

Y avait-il des questions importantes à résoudre ?

La question du masquage. Pour nous, il apparaissait évident que les patients pouvaient masquer des informations, comme c’est le cas aujourd’hui sans dossier. Ce masquage relève de la responsabilité du patient. Si quelque chose n’a pas été mentionné au praticien, il ne pourra pas en être tenu responsable.

En bref

Combien ça coûte ?

Une dizaine de millions d’euros a déjà été consacrée cette année à l’infrastructure du DMP. Le budget devrait être sensiblement équivalent en 2011. L’ASIP-Santé s’est fixé pour objectif un coût d’exploitation inférieur à 1 euro par dossier et par an. Mais cela ne représentera pas le montant total du projet, qui reste difficile à évaluer.