ODONTOLOGIE CONSERVATRICE
Gauthier WEISROCK* Stephen A. KOUBI** Christian PIGNOLY*** Hervé TASSERY****
*Ex-assistant
**Maître de conférences
***Maître de conférences
****Professeur
*****Faculté d’odontologie
Département d’odontologie conservatrice
27, boulevard Jean-Moulin
13355 Marseille cedex 05
Les restaurations antérieures en composite font partie des plans de traitement au quotidien.
Cependant, leur apparente complexité et leur résultat souvent aléatoire laissent à penser que cette solution n’est seulement accessible qu’à « quelques artistes ». C’est pourquoi cet article cherche à proposer une méthode fiable et reproductible en insistant sur les étapes cliniques essentielles à leur réussite.
Si les résines composites sont utilisées en technique directe pour les restaurations antérieures depuis de nombreuses années, les écueils rencontrés demeurent cependant toujours les mêmes : technique de réalisation complexe et longue, intégration esthétique souvent aléatoire [1]. La réalisation esthétique et sa réussite seraient-elles réservées à quelques « artistes » seulement ? Cela reviendrait à se priver d’une solution de l’arsenal thérapeutique du praticien qui présente un rapport coût tissulaire/coût économique difficilement égalable au moins à moyen terme [2] (fig. 1 et 2).
Pour réussir une restauration antérieure en composite, certains principes intangibles et simples semblent acquis : pose de la digue, réalisation d’un chanfrein, emploie d’un adhésif avec mordançage préalable, utilisation d’une clé palatine de stratification et nécessité d’un polissage soigneux [3-5].
Le problème réside dans la compréhension de la méthode de stratification et l’utilisation d’un composite adapté qui soit simple à employer avec un résultat prédictible et satisfaisant.
La quête du « biomimétisme » nécessite d’associer à ces matériaux performants une rigueur opératoire sous peine d’échec. Cette méthode va être présentée étape par étape.
Avant de restaurer la dent, il est impératif de faire un diagnostic esthétique [7]. Il est effectué grâce à un examen clinique minutieux. Les dents adjacentes à celle à reconstituer sont observées attentivement. Des photographies et des moulages en plâtre peuvent aussi être réalisés.
Un patient de 35 ans se présente avec 2 restaurations en composite posées en urgence sur les 11 et 21 à la suite d’un traumatisme. Le composite sur la 11 intéresse l’angle mésial du bord libre alors que celui sur la 21 recouvre les deux tiers de la dent. Cette dernière demeure cependant vitale et aucun traumatisme associé n’est diagnostiqué. L’occlusion de ces 2 composites sur les faces palatines est correcte (fig. 3).
Afin de conserver un maximum de tissu dentaire, une restauration par technique directe à l’aide de résines composites a été indiquée, les facettes étant jugées trop délabrantes [4].
La détermination de la couleur est la clé pour obtenir une intégration naturelle de la restauration. Elle ne peut être inventée mais seulement reproduite. Utiliser seulement le nuancier du composite ne donne pas toutes les informations nécessaires. Ce relevé s’effectue lors de la première séance, à la lumière naturelle, avant tout acte opératoire. Un schéma de montage doit être réalisé, définissant l’ordre des masses de composite à utiliser [6-8].
Comme Devotto et al. [1] l’ont démontré récemment, la masse « dentine » est la plus importante pour réussir la restauration. La couleur de base de la restauration dérive du corps dentinaire reproduit par les masses « dentine ». Appelée chromaticité de base (BC, basic chromaticity), elle est déterminée en premier au niveau du tiers cervical de la dent et le choix des masses dentines conditionne le succès final. Celles-ci étant opaques, leur épaisseur influence le degré de saturation de la restauration. Si la règle principale est de réaliser une désaturation progressive de la partie palatine vers la partie vestibulaire et de la partie apicale vers la partie incisale de la restauration, il est parfois suffisant de ne mettre qu’une teinte dentine mais en épaisseur suffisante. L’augmentation de son épaisseur accroît la saturation de la teinte [1].
Dans le cas clinique présenté ici, il a été choisi d’associer une masse « dentine » de teinte A3,5 dans la profondeur à une autre de teinte A3 qui est venue la recouvrir. Ces teintes sont choisies avec le teintier du composite utilisé ou en essayant des incréments de composite et en les photopolymérisant. Deux teintes « dentine » différentes suffisent si elles sont placées en épaisseur suffisante.
Dans un second temps, on choisit la masse « émail » qui recouvrira l’ensemble de la restauration. Cette masse fonctionne comme un « modificateur » de la couleur dentinaire. Si la couche émail est trop épaisse, elle tend à augmenter l’effet « grisé » ou « vitreux ». Ici, compte tenu de l’âge du patient, une masse « émail » de saturation moyenne A3 a été sélectionnée. Afin de reproduire l’opalescence de l’émail au niveau du tiers supérieur, on peut rajouter éventuellement des masses de composites plus ou moins opalescentes bleu orangé ou des masses translucides pour simuler un effet grisâtre. Ces masses se placent en petite quantité entre les masses « dentine » et « émail ».
Un colorant blanc a aussi été choisi afin de reproduire les dysplasies sur la 11.
Une clé palatine en silicone est réalisée sur les composites de forme correcte déjà présents, leur occlusion étant convenable. Elle servira, une fois positionnée en bouche, à réaliser en un seul temps la face palatine des composites. Elle englobe les 2 dents adjacentes par rapport aux dents à reconstituer et s’arrête au niveau du bord libre.
La stratification de la résine composite est une suite d’étapes cliniques qu’il convient de respecter pour obtenir des résultats fiables [3, 5, 8].
Avant toute procédure adhésive, il est indispensable que le site soit isolé de la cavité buccale et de ses fluides (salive et fluide gingival). Un champ opératoire est posé à l’aide d’une digue Dermadam® Medium (Ultradent) permettant d’isoler le bloc incisivo-canin maxillaire. Ce champ opératoire élargi permet de voir la ligne incisale maxillaire ainsi que le volume et la forme des dents homologues. Pour parfaire l’isolation, on réalise des ligatures pour apicaliser au maximum la digue [9].
On vérifie ensuite que la clé palatine en silicone s’insère de manière précise. Au besoin, certaines parties peuvent être éliminées à l’aide d’une lame de bistouri pour obtenir un repositionnement précis, digue en place.
La préparation doit tenir compte des propriétés mécaniques du matériau employé et de son intégration esthétique. Les biseaux longs doivent être évités car ils étaient préconisés pour des composites microhybrides. Pour des composites microhybrides ou « nanohybrides », employés ici, la préparation idéale combinant le rendu esthétique et les exigences mécaniques est un chanfrein vestibulaire et une ligne de finition droite à 90° au niveau proximal et palatin. Le chanfrein peut être facilement obtenu avec une fraise boule.
Les composites sont déposés (fig. 4) et les lignes de finition sont chanfreinées à l’aide d’une fraise boule 16/10 (Komet) (fig. 5).
On réalise ensuite la procédure d’adhésion. On utilise l’Excite® (Vivadent), qui est un système adhésif avec un mordançage préalable (M & R2 ou 5e génération). La cavité n’étant pas rétentrice et essentiellement amélaire, on privilégie ce type d’adhésif par rapport à un système automordançant [2, 10].
Un conditionnement acide avec un mordançage de 30 secondes sur l’émail et 15 secondes sur la dentine est réalisé, suivi d’un rinçage abondant et d’un séchage sans déshydratation. Puis l’adhésif est mis en place en frottant les parois de la cavité, ce qui favorisera sa bonne pénétration dans les tubules dentinaires. Il est ensuite séché pour faire s’évaporer les solvants. La préparation doit apparaître « brillante » ; dans le cas contraire, l’opération doit être renouvelée. Une photopolymérisation de 20 secondes est ensuite effectuée.
La restauration commence par la mise en place de l’émail palatin. Une faible épaisseur de masse « émail » A3 est apposée dans le guide au niveau de la cavité jusqu’à avoir une épaisseur qui n’excède pas 0,5 mm. La clé garnie de composite est ensuite placée en bouche. Son adaptation est une nouvelle fois vérifiée et le composite peut éventuellement être ajusté avant sa polymérisation [4, 7] (fig. 6 et 7).
La transformation de la cavité complexe en une cavité simple se fait en apposant une très faible épaisseur de masse « émail » A3 au niveau des faces proximales. Cette fine épaisseur est guidée par une matrice transparente (Striproll®, Kerr) maintenue par un coin de bois interdentaire, ce qui permettra de dessiner les lignes de transition (surface convexe séparant les faces proximales de la face vestibulaire). La réussite des lignes de transition conditionne le succès final de la restauration car celles-ci ne pourront être recréées à l’aide des instruments rotatifs (cet aspect sera détaillé dans le paragraphe sur la finition). Le composite est donc déposé au niveau de la face distale de la 21 puis une pression controlatérale est exercée sur la matrice qui est photopolymérisée dans cette position. Du composite pourra encore être ajouté et polymérisé de la même manière jusqu’à l’obtention de la ligne de transition souhaitée. La face mésiale est réalisée de la même manière pour la 21 et la 11 (fig. 8).
La mise en place des masses dentinaires doit répondre à la nécessité d’une désaturation de la partie cervicale vers la partie incisale et de la partie palatine vers la partie vestibulaire de la dent. Cela est obtenu par une technique de stratification tridimensionnelle à l’aide de masses de saturations différentes en commençant par la plus élevée d’une teinte par rapport à la teinte finale.
Dans la région la plus cervicale, on utilise donc une teinte A3,5. L’incrément est déposé sur le mur palatin à l’aide d’une spatule plate à composite. La dernière couche de masse dentinaire, moins saturée (A3), est ensuite déposée et recouvre complètement la précédente. Elle va être modelée avec une spatule d’Hollenbach pour dessiner les mamelons dentinaires. Ces derniers sont formés l’un après l’autre. Cette couche n’empiète pas sur le chanfrein et reste à une distance d’environ 1 mm du bord libre. Cette technique permettra de laisser la translucidité de la masse « émail » s’exprimer et donner ainsi de la profondeur aux restaurations (fig. 9 et 10).
Une couche de masse « émail » va recouvrir ces superpositions de masses « dentine » en vestibulaire. Cette couche d’émail A3, choisie au départ, est déposée sur la face vestibulaire, modelée à l’aide de pinceaux et recouvre en totalité la restauration. La mise en place d’une masse opalescente trans Opal® entre les mamelons permet d’accentuer l’effet d’opalescence du tissu amélaire.
La dysplasie sur l’angle de la 11 est recréée à l’aide d’intensif blanc Tetric Color® (Vivadent) (fig. 11).
Les deux composites doivent maintenant être finis et polis pour permettre leur parfaite intégration esthétique et biologique. Cette étape, souvent sous-estimée, est pourtant primordiale pour la réussite finale. Elle dépend en partie de la capacité du composite à être poli.
Durant cette phase [3-5], les excès de composite sont éliminés et la caractérisation de surface de la dent peut être réalisée.
Ici, les dents du patient présentent une macrogéographie (dépressions verticales) et une microgéographie (stries horizontales) très marquées. Il a été intéressant de chercher à les reproduire pour permettre une réflexion de la lumière naturelle sur la surface des restaurations. En effet, cette étape est tout aussi importante que le choix initial de la teinte, l’œil humain détectant plus facilement les défauts de forme que les légères nuances de couleur.
On utilise pour cela des instruments manuels du type lame de bistouri n° 15 ou des fraises diamantées en forme de flamme (8862 S-314, Komet) ou d’olive de faible granulométrie (bague rouge ou jaune). Ces fraises doivent être utilisées sur contre-angle rouge.
La finition des lignes de transition et des faces interproximales est également une étape clé. On utilise préférentiellement des strips abrasifs en métal ou en papier car les instruments rotatifs peuvent créer des méplats donnant une réflexion lumineuse inadéquate (fig. 12 et 13).
Le polissage peut être effectué soit à l’aide de pointes siliconées (Astropol®, Ivoclar Vivadent), soit à l’aide de pâtes de polissage de granulométries décroissantes. L’essentiel est de polir parfaitement la restauration sans effacer le travail de surface qui a été effectué précédemment. Ce polissage dépend aussi en partie des aptitudes du composite à être poli.
Une brossette sur contre-angle bleu est utilisée avec des pâtes diamantées de 3 µm (Shiny A), puis 1 µm (Shiny B) et, enfin, avec une pâte à base d’oxyde d’alumine (Shiny C, Mycerium). La brossette effectue des mouvements de posé-décollé (touch-and-go) sur la surface vestibulaire à vitesse rapide dans le sens vertical pour obtenir un lustrage parfait et ne pas effacer la microgéographie (fig. 14).
La réalisation des restaurations composites antérieures en technique directe est un acte que tout praticien doit pouvoir exécuter sans appréhension, rapidement et avec un taux de succès optimal. Pour cela, certains principes de base, désormais acquis, doivent être respectés impérativement (pose de la digue, adhésifs amélo-dentinaires avec prémordançage, technique de stratification, polissage adapté…). Le succès de la restauration ne repose finalement que sur le diagnostic esthétique, la compréhension de la méthode et le respect des différentes épaisseurs de masses « dentine » et « émail ».
À retenir :
• la teinte principale de la restauration est donnée par la teinte du corps dentinaire et son épaisseur ;
• c’est le respect des différentes épaisseurs dentine/ émail qui est décisif pour le résultat final.
Testez vos connaissances suite à la lecture de cet article en répondant aux questions suivantes :
1. Un diagnostic esthétique est nécessaire avant la réalisation d’un composite esthétique.
a. Vrai.
b. Faux.
2. Il est nécessaire d’étudier la forme et la couleur des dents à restaurer avant la pose du champ opératoire.
a. Vrai.
b. Faux.
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