Clinic n° 03 du 01/03/2011

 

ORTHOPÉDIE DENTO-FACIALE

Mohamed Fadel ZEROUAOUI*   Loubna BAHIJE**   Asmae BAHOUM***   Fatima ZAOUI****  


*Résidant en orthopédie dento-faciale
**Professeur assistant en orthopédie dento-faciale
***Spécialiste en orthopédie dento-faciale
****Professeur de l’enseignement supérieur en orthopédie dento-faciale et chef de service ODF en centre de consultation et traitement dentaire
*****Université Mohamed-V
Faculté de médecine dentaire
Les Instituts, PB 6212
Rabat, Maroc.

La thérapeutique orthodontico-chirurgicale est indiquée dans la plupart des cas d’excès vertical important. Mais face à un refus de l’acte chirurgical, on est contraint de proposer un traitement de compromis en vue d’améliorer l’occlusion et l’esthétique. Ce propos est illustré par le cas d’une jeune fille ayant consulté à l’âge de 8 ans et demi au Service d’orthopédie dento-faciale du Centre de consultation et de traitements dentaires de Rabat.

Le compromis, selon Le Petit Larousse, c’est l’acte par lequel on promet de se soumettre à la décision d’un tiers. Les traitements de compromis doivent comporter des objectifs aussi proches que possible de l’idéalisation.

Certains patients (les enfants, leurs parents…) consultent avec des idées préconçues et il est parfois impossible de les faire changer d’avis. Certains s’opposent au port des casques de FEO (force extra-orale) pour des raisons ostéopathiques, d’autres aux extractions de prémolaires ou, comme le cas de cette jeune fille, à la chirurgie. Il est du ressort du praticien de savoir dans quelle mesure il est possible de s’adapter à leurs désirs sans pour autant céder à tous leurs caprices.

En présence d’un excès vertical important, et vu la faible panoplie de moyens thérapeutiques orthopédiques et orthodontiques dont il dispose pour le corriger, le traitement sera le plus souvent chirurgical. Or, il est souvent confronté, à l’heure actuelle, à un refus de l’acte chirurgical puisque l’excès vertical est rarement considéré comme une anomalie. Il est alors contraint de proposer un traitement de compromis afin d’améliorer l’occlusion et parfois même l’esthétique. Le cas de cette jeune fille, âgée de 8 ans et demi et présentant un excès vertical important, en témoigne. Ses parents ont refusé catégoriquement l’option chirurgicale à l’âge adulte. On lui a donc proposé un protocole orthodontique de remplacement, solution à son problème certes plus longue à mettre en œuvre mais aux résultats tangibles.

Documents avant traitement

Diagnostic esthétique

La patiente présente un visage ovalaire symétrique par rapport à la ligne médiane, avec une augmentation de l’étage inférieur, et une incompétence labiale (fig. 1 et 2). Son profil est convexe avec un angle naso-labial ouvert, un sillon labio-mentonnier marqué et une biprochéilie.

Diagnostic occlusal

L’examen endobuccal (fig. 3 à 5) révèle une bonne hygiène, un parodonte fin au niveau des incisives inférieures, une denture mixte, l’absence de la 84 extraite pour cause de carie dentaire, des restaurations à l’amalgame sur des molaires maxillaires et mandibulaires (55, 54, 64, 75, 84, 85 et 46).

Les relations occlusales en occlusion d’intercuspidie maximale (OIM) sont :

• dans le sens antéro-postérieur, une classe I molaire droite et gauche, un surplomb incisif à 2 mm ;

• dans le sens vertical, un recouvrement incisif de 1 mm ;

• dans le sens transversal, une exoalvéolie au niveau du secteur latéral droit et un diastème interincisif maxillaire.

Diagnostic fonctionnel

L’examen des fonctions révèle que la patiente présente une déglutition atypique avec interposition de la langue entre les arcades dentaires, ainsi que des signes d’une ventilation orale (lèvres gercées, bouche ouverte, test de Rosenthal positif).

Diagnostic radiologique

La radiographie panoramique (fig. 6) objective la présence de tous les germes dentaires à l’exception de ceux des dents de sagesse.

La téléradiographie de profil (fig. 7) permet de noter quelques signes de dysharmonie dento-maxillaire (DDM) :

• proalvéolie inférieure ;

• projection de la canine inférieure au milieu de la symphyse.

Analyse céphalométrique

L’analyse céphalométrique de Steiner confirmée par les valeurs du triangle de Tweed révèle (fig. 8) :

• une classe II squelettique, avec un ANB = 8° et un AoBo = 3 mm ;

• une hyperdivergence sévère, avec un FMA = 43° et un GoGn-SN = 54° ;

• une proalvéolie des incisives inférieures, avec un FMIA = 55° (qui est une compensation dento-alvéolaire de la classe II squelettique).

Plan de traitement

Le traitement idéal pour cette patiente aurait nécessité une chirurgie du sens vertical étant donné :

• l’hyperdivergence sévère qui contre-indique tout traitement orthopédique ;

• l’augmentation de l’étage inférieur de la face ;

• l’importante convexité du profil ;

• l’incompétence labiale.

Devant le refus de l’option chirurgicale par les parents et leur acharnement à avoir une option orthodontique, le traitement a consisté à répondre au motif de consultation esthétique de la patiente (diastème interincisif) et fonctionnel (l’exoalvéolie unilatérale droite) en ignorant le problème squelettique.

Ainsi, le traitement de compromis était fondé sur :

• la rééducation des fonctions de ventilation et de déglutition, pour réorienter le schéma de croissance ;

• la correction de l’exoalvéolie du secteur latéral droit supérieur par des élastiques criss-cross entre les premières molaires supérieures et des crochets linguaux soudés sur l’arc lingual mandibulaire (fig. 9) ;

• l’aménagement de la place nécessaire à l’évolution des canines supérieures sans extraction pour éviter l’ouverture de l’angle naso-labial ;

• la préservation des compensations dento-alvéolaires de classe II de l’arcade mandibulaire pour éviter la chirurgie : courbe de Spee et proalvéolie (la mandibule n’a pas été prise en charge orthodontiquement) ;

• la préservation du leeway mandibulaire avec l’arc lingual (fig. 10).

Il a enfin été conseillé aux parents et à la patiente que, en fin de croissance, celle-ci subisse une génioplastie de soustraction et d’avancée du menton pour réduire la convexité du profil et permettre une occlusion labiale au repos.

Documents au cours du traitement

La radiographie panoramique prise à l’âge de 11 ans a permis de conclure à la rétention des canines maxillaires (fig. 11). Ainsi, l’aménagement de l’espace nécessaire pour leur éruption normale a été justifié (fig. 12).

Documents après traitement

Le résultat obtenu est satisfaisant sur le plan occlusal (classe I canine et molaire avec un recouvrement incisif satisfaisant) (fig. 13 à 18) et il est resté stable 2 ans après la fin de la contention (fig. 19 à 25).

La patiente gagnerait à bénéficier d’une génioplastie, en fin de croissance, afin d’améliorer le profil et l’occlusion labiale.

Discussion

La classe II hyperdivergente associe [1, 2] :

• un problème antéro-postérieur (augmentation de l’angle ANB) ;

• un problème vertical (divergence vers l’avant des plans horizontaux).

Ces classes II squelettiques hyperdivergentes sont d’ailleurs les plus difficiles à traiter, et ce pour des raisons mécaniques, esthétiques et de croissance.

Face à une classe II squelettique hyperdivergente (ANB = 8°, FMA = 43°, GoGn/SN = 54°), l’option thérapeutique tendra vers un traitement orthodontico-chirurgical en fin de croissance.

La correction de l’excès vertical pourra s’effectuer par une intervention bimaxillaire, mais c’est l’action sur la base maxillaire qui a le plus grand impact sur le changement du type facial : pour cela, on pourra envisager une ostéotomie de Lefort 1 avec un degré d’impaction adapté au problème squelettique [2-5].

Cependant, le praticien est souvent confronté à un refus de l’acte chirurgical puisque l’excès vertical est rarement considéré comme une anomalie. Il est alors contraint de proposer un traitement de compromis afin d’améliorer l’occlusion et parfois même l’esthétique.

Certains compromis seront justifiés et acceptables et il sera de son ressort de savoir où se situe la limite de ce qui n’est plus en adéquation avec ses objectifs de traitement [3, 6-8].

Compromis possibles en orthodontie

Les différents compromis possibles en ODF peuvent être d’ordre occlusal, squelettique ou esthétique et devraient commencer par répondre au mieux aux motifs de la consultation, avant de se confronter à des critères théoriques dont la valeur fonctionnelle ou esthétique peut être discutable [2, 3, 9, 10].

Compromis squelettique

Chez les patients ayant refusé l’option chirurgicale, un compromis squelettique peut être envisagé mais à condition de préserver les compensations dento-alvéolaires nécessaires au camouflage du décalage squelettique [8-12].

Compromis esthétique

L’orthodontiste a le privilège de pouvoir améliorer l’esthétique faciale de ses patients. En privilégiant un choix par rapport à un autre, il peut être amené à faire un compromis sur les objectifs esthétiques d’un traitement [8-10, 12]. Dans le cas présenté ici, une génioplastie en fin de croissance a été préconisée pour faciliter l’occlusion labiale qui réorganise le complexe neuromusculaire péri-oral et harmonise le profil.

Compromis impossibles en orthodontie

Hygiène

L’hygiène est la clé du traitement et il ne faudra pas hésiter à déposer un appareil si le brossage n’est pas convenablement effectué. En effet, le rapport bénéfice/risque devient alors trop faible et les dégâts causés par l’appareil pourraient être reprochés à l’orthodontiste [1, 8, 10]

Fonctions oro-faciales

Traiter sans normaliser les fonctions oro-faciales ne peut en aucun cas conduire vers une situation de stabilité.

Un des objectifs essentiels de l’orthodontiste est de rétablir un équilibre fonctionnel afin de limiter au maximum les phénomènes de récidive.

Il faudra normaliser la ventilation, la mastication, la déglutition, la phonation et prévoir une contention adaptée à chaque patient afin d’optimiser les chances de réussite et de stabilité à long terme [1, 8, 10, 12-14].

Conclusion

Les situations de compromis feront partie du quotidien de l’orthodontiste et il est de son ressort de les gérer de la meilleure façon possible. En effet, qui parle de compromis sous-entend qu’il existe plusieurs possibilités de traitement et, donc, inéluctablement, un choix qui correspond à l’optimum pour le patient considéré. Il sera du ressort du praticien d’orienter son patient vers cette solution.

Il faut néanmoins garder à l’esprit que dans certaines situations, le meilleur compromis est peut-être de ne pas en faire. L’abstention thérapeutique peut parfois éviter une catastrophe.

Bibliographie

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  • 3. Aknin JJ, Godeneche J. Objectifs visualisés de traitement. Encycl Med Chir Odontologie/Orthopédie dentofaciale 2006;23-455-E-60.
  • 4. Manière D, Manière-Ezvan A, Bedhet N. La simulation des répercussions de la chirurgie orthognathique sur les structures faciales. Apport d’un outil de simulation des déplacements des arcades dentaires : le « P3D ». Rev Orthop Dentofac 1999;33:245-262.
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  • 10. Faure J. Le préjudice esthétique des grandes dysmorphies antéro-postérieures et verticales : son évolution après traitement orthodontique. Rev Orthop Dentofac 1998;32:275-295.
  • 11. Aknin JJ, Morgon L, Boyer JF. Effet des thérapeutiques sur la croissance mandibulaire. Encycl Med Chir Odontologie 2003;23-498-D-10.
  • 12. Gola R, Cheynet F, Guyot L, Richard O. Analyse céphalométrique de profil fonctionnelle et esthétique. Rev Stomatol Chir Maxillofac 2004;105:329-335.
  • 13. Brocard D, Laluque JF. Orthodontie et dysfonction cranio-mandibulaire : la démarche occluso-orthodontique. Orthod Fr 1998;69:51-60.
  • 14. Deniaud J, Talmant J, Nivet MH. Ventilation nasale et dimension verticale : étude clinique et fonctionnelle. Orthod Fr 2003;74:285-313.

Évaluez-vous

Testez vos connaissances suite à la lecture de cet article en répondant aux questions suivantes :

1. La rééducation des fonctions oro-faciales peut réorienter le schéma de croissance.

a. Vrai.

b. Faux

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