RÉPONSE D’EXPERT
Docteur en chirurgie dentaire
Docteur en pharmacie
Docteur de l’université
Denis-Diderot (Paris 7)
MCU-PH en sciences biologiques
UFR d’Odontologie,
université Denis Diderot (Paris 7)
Nos actes sont souvent traumatiques, voire de plus en plus traumatiques, notamment parce que l’implantologie, la chirurgie préimplantaire et perimplantaire sont de plus en plus pratiquées, pour ne pas dire communes. La gestion de la douleur rime avec la gestion de l’inflammation. Les glucocorticoïdes de synthèse (AIS, anti-inflammatoires de synthèse) sont souvent recommandés et prescrits pour combattre les inflammations importantes aux conséquences douloureuses souvent sévères. À tort ou à raison ?
La définition de l’inflammation n’a rien de trivial et, pour être plus précis, il serait plus juste de parler d’une réaction inflammatoire que d’inflammation. Bien qu’elle soit sans aucun doute l’une des réactions les plus fréquentes et les plus « communes » que l’on puisse rencontrer en pathologie humaine, la définition de cette réaction est complexe. Il s’agit, avant tout, d’une réaction physiologique qui permet à un organisme agressé d’abord de donner l’alerte (généralement par un phénomène douloureux aigu) et ensuite de se défendre (par l’induction d’une réponse immune spécifique). Ainsi, dans un premier temps, le plus précoce, la réaction inflammatoire est un symptôme non spécifique d’une agression et elle est bénéfique pour l’organisme. Ce symptôme peut devenir pathologique si la réaction perdure et qu’elle devient chronique. Ce qui est remarquable c’est que, quelle que soit la cause de l’agression – mécanique, chimique, infectieuse ou traumatique –, l’organisme se défend et engendre une réponse. Celle-ci peut s’étudier et s’observer à toutes les échelles de l’organisme. D’abord, au niveau macroscopique ou tissulaire, la réaction inflammatoire se définit par des signes cardinaux qui sont le plus souvent présents ensemble. Le tissu agressé change de couleur, il devient rouge, il augmente de température et de volume, et l’ensemble est douloureux. Ces quatre signes cardinaux s’expliquent par les modifications cellulaires et moléculaires engendrées au cours de la réaction inflammatoire. Dans le cadre spécifique de la réaction inflammatoire postchirurgicale, la réaction inflammatoire s’objective par les trois symptômes principaux que sont la douleur, l’œdème et le trismus.
Les étiologies de la réaction inflammatoire sont particulièrement diverses et variées. En ce qui concerne spécifiquement la cavité buccale, on retrouve essentiellement les agents infectieux, notamment bactériens, comme origine de l’inflammation. C’est le cas notamment de la pulpite, de la gingivite ou de la péricoronarite. Ces pathologies d’origine infectieuse présentent des manifestations inflammatoires consécutives à l’agression bactérienne. Leur traitement repose essentiellement sur une prise en charge étiologique, le plus souvent chirurgicale et mécanique. Seule l’éradication de l’agent bactérien pourra permettre une guérison. La seconde cause importante d’une réaction inflammatoire en médecine bucco-dentaire est le traumatisme tissulaire provoqué par les soins (endodontiques par exemple) ou par un geste chirurgical. C’est le cas typiquement après une chirurgie dite invasive qui aura nécessité la levée d’un lambeau et une ostéotomie. Dans ce cas, la prise en charge des symptômes inflammatoires (œdème et trismus) ne pourra se faire qu’avec des médicaments anti-inflammatoires. Enfin, une dernière étiologie possible concerne l’ensemble des pathologies auto-immunes (pemphigus vulgaire par exemple).
Par définition, un médicament anti-inflammatoire est susceptible de diminuer ou d’inhiber une réaction inflammatoire. Ce qui veut dire qu’un médicament antibiotique, en réduisant ou en éradiquant une infection bactérienne responsable d’une réaction inflammatoire, devient anti-inflammatoire. Deux grandes catégories de médicaments portent le nom d’anti-inflammatoire et il convient de bien les différencier. La première concerne les anti-inflammatoires dits stéroïdiens, que l’on appelle également les glucocorticoïdes de synthèse. Il s’agit de médicaments qui ont été conçus par mimétisme au cortisol ou à l’hydrocortisone. Cette hormone naturelle est un corticostéroïde synthétisé par le cortex de la glande surrénale (corticosurrénale) dont les effets physiologiques sont pléiotropiques concernant d’abord les différents métabolismes (glucidiques, protéiques, lipidiques) mais également l’ensemble des composants cellulaires et moléculaires du système immunitaire. Les glucocorticoïdes de synthèse vont reproduire l’ensemble des effets de l’hormone naturelle avec, notamment, une diminution marquée de l’ensemble de la réaction inflammatoire.
En opposition à la structure stéroïdienne de ces médicaments, il existe également des anti-inflammatoires non stéroïdiens, ou AINS (ibuprofène par exemple), dont le mécanisme d’action repose essentiellement sur l’inhibition d’enzymes (les cyclo-oxygénases) responsables de la synthèse des prostaglandines dont certaines participent à la réaction inflammatoire. En médecine bucco-dentaire, les AINS ne sont indiqués que dans la prise en charge de la douleur et ne présentent pas d’intérêt pour réduire les autres symptômes inflammatoires (œdème, trismus).
Les modalités de prescription des glucocorticoïdes sont relativement bien standardisées en fonction de l’objectif thérapeutique recherché qui dépend de la pathologie à traiter. Dans le cas de la réduction de la symptomatologie inflammatoire postchirurgicale, il est nécessaire d’utiliser de fortes doses de glucocorticoïdes pendant la durée du processus inflammatoire, c’est-à-dire, dans notre indication, pendant moins de 5 jours. Pour des cures aussi courtes, il n’y a pas de raison médicale d’utiliser des doses graduelles ni dans un sens ni dans l’autre.
En médecine bucco-dentaire, les glucocorticoïdes se justifient dans trois indications : la réduction des manifestations inflammatoires postchirurgicales, le traitement de certaines lésions de la muqueuse buccale (aphtoses récidivantes, lichen plan érosif…) et, dans une moindre mesure, la prise en charge de réactions allergiques en sachant que le seul traitement efficace du choc anaphylactique est l’injection d’adrénaline.
La prescription de médicaments est un acte médical à part entière qui doit être réalisé avec autant de discernement et de réflexion que tout autre acte. Il n’est donc jamais question de « généraliser » la prise d’un médicament quel qu’il soit. Prescrire c’est d’abord choisir, et ce choix repose sur trois éléments, à commencer par l’état de santé du patient en tenant compte des contre-indications, des interactions ou des allergies médicamenteuses. Le deuxième élément est directement lié à la pathologie à traiter : nécessite-t-elle ou non l’utilisation d’une prescription médicamenteuse au regard des données acquises de la science et des recommandations officielles ? Enfin, ce choix repose sur des données économiques et sociales. Finalement, la prescription d’un médicament doit nécessairement s’appuyer sur des objectifs thérapeutiques précis en accord avec les souhaits éclairés du patient. Si l’on analyse les données des études cliniques réalisées sur l’évaluation de l’efficacité des glucocorticoïdes en chirurgie buccale, on note d’abord qu’ils présentent un intérêt sur la réduction de l’importance de l’œdème et du trismus postopératoires mais que leur activité antalgique reste modeste. Cette efficacité sur les symptômes de l’inflammation n’est que partielle lorsqu’on les compare à un médicament placebo. Cela veut dire que leur utilisation ne peut se concevoir que dans les cas d’actes chirurgicaux particuliè-rement invasifs dont on sait, en préopératoire, que les suites chirurgicales pourront être particulièrement invalidantes. Par ailleurs, les données de la littérature scientifique mettent clairement en évidence que pour obtenir une efficacité anti-inflammatoire optimale, il conviendra de prescrire les glucocorticoïdes au moins 4 heures avant la première incision. Le schéma thérapeutique le plus simple sera de prescrire les médicaments la veille, le jour et le lendemain de l’intervention. Finalement, concernant les doses utilisées, là aussi nous possédons quelques données qui montrent que la dose optimale serait de l’ordre de 1 mg d’équivalent prednisone par kilo de poids corporel soit, par exemple, 60 mg de prednisone chez un adulte de 70 kg.
Les glucocorticoïdes de synthèse sont des médicaments dont le profil de sécurité est relativement bon. Utilisés à bon escient et pendant une courte durée (moins de 10 jours), leurs effets indésirables sont généralement assez frustes. Ce que l’on va surtout observer fréquemment est une excitation psychomotrice à type d’euphorie, d’insomnie ou d’excitation. C’est la raison pour laquelle on préférera prescrire les glucocorticoïdes le matin plutôt que le soir.
Les contre-indications formelles découlent essentiellement des propriétés immunomodulatrices ou immunodépressives de ces molécules. Il sera important de ne pas les prescrire au cours de tout état infectieux ou au cours de pathologies virales aiguës comme les hépatites, la varicelle, l’herpès ou le zona. De la même façon, il faudra éviter d’en administrer aux patients qui viennent de recevoir un vaccin vivant sous peine d’anéantir le processus d’immunisation.
De par leurs propriétés sur les activités psychiques, les glucocorticoïdes sont contre-indiqués chez les patients présentant des états psychotiques non contrôlés par un traitement.
Enfin, ils sont responsables d’une augmentation de la glycémie, ce qui contre-indique leur utilisation chez les patients diabétiques même équilibrés par un traitement.
Aucune donnée de la littérature en médecine bucco-dentaire ne permet de choisir un glucocorticoïde plutôt qu’un autre. Les différences, essentiellement en termes de pharmacocinétique, des molécules commercialisées – dexaméthasone (Dectancyl®), bêtaméthasone (Célestene®), prednisone (Cortancyl®) ou prednisolone (Solupred®) – sont importantes à prendre en considération lors de l’utilisation en cure longue ; cela semble beaucoup moins évident pour les cures courtes. L’usage et l’habitude sont aujourd’hui plus en faveur des glucocorticoïdes à demi-vie biologique intermédiaire comme la prednisone et la prednisolone.
Société francophone de médecine buccale et chirurgie buccale. Recommandations pour la prescription des anti-inflammatoires en chirurgie buccale chez l’adulte. Med Buc Chir Buc 2008;14:129-159.
Casamajor P, Descroix V. La prescription ciblée en odontologie. Rueil-Malmaison : CdP 2009.