RÉPONSE D’EXPERT
MCU-PH odontologie pédiatrique
Faculté d’odontologie, université et CHU de Bordeaux
La Journée mondiale du diabète, le 14 novembre 2010, et peut-être plus encore la polémique liée à la prescription d’un médicament censé prévenir ou freiner l’apparition d’un diabète chez l’adulte ont pu attirer notre attention sur une maladie connue depuis l’Antiquité mais qui semble en augmentation depuis quelques décennies, notamment chez les jeunes enfants, avec une survenue de plus en plus précoce, avant l’âge de 5 ans.
Le diabète est la pathologie la plus connue de la fonction endocrine pancréatique : il s’agit d’une maladie liée à la carence en insuline, hormone sécrétée par les cellules bêta (Β) des îlots de Langerhans situés dans le pancréas. Cette forme de diabète, dit insulinodépendant (DID) ou de type 1, est la maladie endocrinienne la plus fréquente de l’enfant. Cette forme juvénile représente environ 15 % des diabètes et s’oppose au diabète non insulinodépendant ou insulinorésistant dit de type 2 et qui affecte principalement le sujet adulte. Toutefois, les données récentes montrent que cette forme émerge depuis les années 1990 chez les adolescents en surpoids ou obèses. Il existe également une autre forme particulière concernant la femme enceinte (le diabète gestationnel), qui s’apparente au précédent. D’après l’Institut national de veille sanitaire : « L’incidence du diabète de type 1 (DT1) chez l’enfant a quasiment doublé ces 20 dernières années en France (15 cas pour 100 000 enfants de moins de 15 ans versus 8 cas pour 100 000 en 1988). Cette forte augmentation ne semble pas liée aux changements intervenus durant cette période (nouvelle définition de la maladie, amélioration des pratiques diagnostiques et de dépistage) ni à une modification du fond génétique de la population. L’hypothèse d’une interaction entre des facteurs environnementaux et une prédisposition génétique est donc posée. »
Le diabète s’accompagne d’un risque de complications métaboliques aiguës, redoutées par le patient, au premier rang desquelles l’hypoglycémie et l’acidocétose. En l’absence d’insuline, la concentration de sucre augmente dans le sang puis dans les urines, ce qui se traduit par le besoin d’uriner (polyurie et nycturie) avec, en conséquence, le besoin de boire fréquemment (polydipsie). Un amaigrissement lié à la déshydratation et à la lipolyse, malgré le besoin de manger fréquemment (polyphagie) et une sensation de fatigue (asthénie) viennent compléter le tableau. Si ces signes ne sont pas pris en compte, la production de corps cétoniques (cétose) liée au catabolisme des lipides peut conduire à l’acidification du sang (acidocétose) se traduisant par des douleurs abdominales, des vomissements, une respiration rapide puis un coma acidocétosique.
Le diabète de type 1 est une maladie auto-immune avec une prédisposition génétique. Le plus souvent, les cellules productrices d’insuline sont détruites par le système immunitaire du sujet associant les lymphocytes T et une activation humorale : chez plus de 80 % des enfants diabétiques, les anticorps anti-îlots (ICA, islet-cell antibodies) antiGAD ou anti IA-2 sont présents au début de la maladie. Ces autoanticorps peuvent être détectés plusieurs mois ou années avant la phase clinique. Plusieurs gènes seraient en cause mais le principal est porté par le chromosome 6 et code pour le système HLA, impliqué dans la réponse immunitaire. Les déterminants génétiques expliquent environ 30 % de l’apparition du diabète chez l’enfant. En conséquence, il est habituel de ne pas trouver d’antécédent de diabète de type 1 dans la famille d’un enfant diabétique. Sur un terrain génétiquement prédisposé, les déterminants environnementaux (infections virales, habitudes alimentaires dont consommation de lait de vache dans les premières semaines de vie…) expliqueraient l’accroissement de l’incidence du diabète ces dernières années mais doivent être encore précisés.
Dans un cadre physiologique normal (fig. 1), le glucose absorbé par voie digestive passe dans le sang et stimule la production d’insuline qui favorise sa pénétration dans les cellules, diminuant ainsi la glycémie. Lorsque celle-ci est trop basse, c’est une autre hormone sécrétée par les cellules alpha () du pancréas, le glucagon, qui agit sur le foie pour libérer du glucose, principalement stocké sous forme de glycogène, mais aussi par néoglucogenèse à partir des acides gras et aminés. Ce couple n’est toutefois pas équilibré car l’action hypoglycémiante de l’insuline est supérieure à celle, hyperglycémiante, du glucagon. Elle est donc complétée par d’autres hormones comme les hormones surrénaliennes cortisol et adrénaline, l’hormone de croissance, produite par l’hypophyse, etc.
Lorsqu’il ne reste plus que 10 à 20 % des cellules bêta, la production d’insuline n’est plus suffisante pour réguler la glycémie. Dès lors, l’homéostasie est rompue :
• la teneur en glucose augmente dans le sang jusqu’à saturer le filtre rénal qui l’élimine dans les urines (glycosurie) ;
• la glycosurie provoque une diurèse osmotique, c’est-à-dire une dilution des urines qui s’accompagne d’une fuite des ions sodium provenant du sang ;
• la perte d’eau intracellulaire consécutive se traduit par une déshydratation et une hypovolémie, c’est-à-dire une diminution de la quantité de sang circulant ;
• les lésions cellulaires et la mécanique rénale expliquent une fuite importante du potassium, d’où une asthénie. De plus, l’hypokaliémie est elle-même source d’une diminution de l’effet hypoglycémiant de l’insuline ;
• la chute de l’insulinémie provoque une augmentation de la lipolyse et de la cétogenèse conduisant à l’acidocétose qui déclenche une hyperventilation compensatrice, mettant ainsi en route le tampon pulmonaire, qui lutte contre l’acidose par expiration du gaz carbonique : on constate alors une respiration plus ample et plus profonde (dyspnée).
La décompensation du diabète entraîne donc hyperglycémie, déshydratation et acidose : lors de l’aggravation du tableau, le sujet somnole puis perd connaissance.
Sans traitement, le diabète est une maladie mortelle et, d’une façon plus générale, la mortalité des diabétiques est plus importante que celle des sujets qui n’en sont pas atteints. Tout diabétique doit être suivi régulièrement pour prévenir les complications. Les premiers signes de complications ne se voient pratiquement jamais avant l’âge de 15 ans mais, à cet âge, le mauvais équilibre glycémique peut ralentir la croissance (et ce d’autant plus que le diabète débute tôt ou que le contrôle métabolique est faible). Le risque est particulièrement marqué au moment de la puberté. À long terme, et a fortiori si le diabète est mal équilibré, il se complique de pathologies dégénératives touchant différents organes, en rapport avec des lésions vasculaires dues à l’hyperglycémie chronique. Les microangiopathies affecteront précocement l’œil (rétinopathie diabétique), le rein (néphropathie diabétique) et les nerfs (neuropathies diabétiques). Les macroangiopathies concerneront les membres et le cœur, entraînant une augmentation du risque d’hypertension, d’infarctus et d’accident vasculaire cérébral.
La prévention des complications est assurée par un bon équilibre métabolique évalué par la mesure tous les 3 mois de l’hémoglobine glycosylée et par des bilans de surveillance (fond d’œil, recherche d’une microalbuminurie…) réalisés tous les ans, après 5 ans d’évolution du diabète ou après la puberté. Dès l’enfance, il convient de favoriser une bonne hygiène de vie et, chez l’adolescent, de proscrire le tabac.
Un diabète mal équilibré est susceptible de décompenser à l’occasion d’une infection intercurrente et peut aussi favoriser les infections cutanées ou muqueuses (candida). Pour cela, il est important que l’enfant soit à jour de ses vaccinations. Du fait des modifications profondes qu’impose le diabète dans la vie quotidienne, la découverte du diabète insulinodépendant peut avoir des répercussions psychologiques chez l’enfant et sa famille que l’équipe médicale ne doit pas ignorer.
Plus que la recherche systématique de glucose dans les urines, c’est par les complications que se révèle le diabète : de façon banale par l’asthénie et les mauvais résultats scolaires ou des infections à répétition mais aussi et surtout, de façon plus dramatique chez le jeune enfant, par une acidocétose. La surveillance de la glycémie et de la glycosurie mais, principalement, le dépistage précoce par typage HLA (antigène DR3 et DR4) et la recherche des anticorps anti-îlots doivent être réalisés chez les enfants à risque en raison de leurs antécédents familiaux.
Notons qu’en dehors du diabète juvénile proprement dit, il existe d’autres formes plus rares comme le diabète néonatal, l’hypoglycémie non insulinodépendante du sujet jeune, le diabète mitochondrial et enfin, le diabète insulinodépendant ou non, décrit dans d’autres maladies génétiques : mucoviscidose, syndrome de Turner, trisomie 21, syndrome de Prader-Willi, syndrome de Wolfram, syndrome de polyendocrinopathie auto-immune de type 1…
L’hémoglobine glycosylée (ou glyquée ou glycatée ou HbA1c) est un reflet de l’équilibre glycémique sur 3 mois. Un diabète de type 1 est dit « équilibré » lorsque cette hémoglobine se situe autour de 7 %. Si elle est inférieure à 6,5 %, l’enfant est exposé à des risques fréquents d’hypoglycémie. Si elle est supérieure à 8 %, l’enfant est exposé à des risques fréquents d’hyperglycémie. La connaissance du taux d’hémoglobine glycosylée est indispensable pour connaître l’équilibre glycémique. La connaissance de la glycémie capillaire, réalisée au moins 4 fois par jour, est indispensable pour le bon déroulement du soin par la famille.
Le traitement du diabète repose sur des injections d’insuline et une alimentation équilibrée, adaptée à l’enfant. Plusieurs protocoles d’injection d’insuline peuvent être proposés, en fonction de l’âge de l’enfant, de son rythme de vie, de ses habitudes alimentaires, de ses activités physiques : de 2 injections par jour (matin et soir) à 3 à 4 injections réparties dans la journée.
La dose moyenne d’insuline nécessaire quotidiennement est de 0,7 U/kg/j. Il existe différentes formes d’insuline : analogue rapide (action pendant 3 à 5 h), semi-lente (action pendant 12 à 16 h) ou lente (24 h). Chez le jeune enfant où les injections peuvent s’avérer difficiles et les risques d’hypoglycémie plus importants, l’usage d’une pompe sous cutanée qui permet une résorption plus régulière de l’insuline peut être proposé.
Lorsque la glycémie plasmatique est inférieure à 0,6 g/l, apparaissent les premiers signes d’hypoglycémie : tremblements, tachycardie, anxiété, sueurs, faim, paresthésies. Une hypoglycémie mineure est perçue par le sujet lui-même mais elle peut passer inaperçue lorsqu’elle survient durant le sommeil et se manifeste alors par des maux de tête au réveil ou des difficultés à se réveiller. Lorsqu’elle chute en deçà de 0,5 g/l, apparaissent les signes de neuroglycopénie : difficultés de concentration, fatigue, faiblesse, difficultés à parler, incoordination, troubles du comportement puis convulsions et coma…
Les crises d’hypoglycémie sont inéluctables même chez un sujet diabétique bien équilibré, et peuvent survenir entre 1 et 3 fois par semaine. Lorsque le diabète est ancien, le patient peut ne pas être alerté par les prodromes et faire une crise sévère d’emblée.
Une hypoglycémie mineure peut-être traitée par un resucrage oral à raison de 5 g de sucre (un morceau de sucre n° 4) pour 20 kg de poids, plus ou moins suivi d’une consommation d’un aliment à index glycémique faible (dit sucres lents). Si l’enfant présente des troubles de la conscience, ne peut avaler ou vomit, il faut procéder à une injection intramusculaire de glucagon (Glucagen® 1 mg ; 0,5 mg pour un enfant de moins de 5 ans). Dans les cas plus sévères, une perfusion de sérum glucosé (G30, 1 ml/kg) doit être mise en place.
Chez l’enfant diabétique, la présence de tartre sous-gingival est inhabituelle (fig. 2). Elle doit faire suspecter un diabète, une maladie endocrinienne ou métabolique. D’autres manifestations buccales sont recensées dans la littérature scientifique, notamment la sécheresse buccale et les candidoses, mais elles sont plus rares chez l’enfant.
Du point de vue bucco-dentaire, l’enfant diabétique présente, d’une façon générale :
• des perturbations de la chronologie de l’éruption dentaire, avec accélération jusqu’à 10 ans et retard après, sans que les répercussions pathologiques soient clairement établies ;
• une inflammation gingivale significativement importante en cas de diabète insulinodépendant.
• une fragilité parodontale avec, par rapport à la normale, des lésions plus précoces et des atteintes plus sévères ou disproportionnées en regard des indices de plaque ou de tartre ; toutefois, les lésions gingivales liées à la microangiopathie et à la présence du tartre sont exceptionnelles chez l’enfant car liées à l’ancienneté du diabète.
• Bien que l’opinion commune soit plutôt en faveur d’une prévalence carieuse plus élevée chez le sujet diabétique que chez le non-diabétique, il n’existe pas à ce jour de consensus sur la question. Le diabète a :
– une influence négative sur les indices caod/CAOD (supérieurs chez les enfants diabétiques).
– aucune influence. Cet avis est partagé par de nombreux auteurs. La situation bucco-dentaire des patients se détériore cependant avec l’âge et en fonction de l’origine sociale ;
– une influence positive. L’incidence de la carie est plus faible que la normale chez les enfants diabétiques avec un bon contrôle métabolique. Une étude récente semble confirmer cette inclinaison défavorable des paramètres salivaires à l’exception de la concentration en calcium chez les sujets atteints de diabète insulinodépendant. Certains auteurs voient dans les bons résultats obtenus par les groupes de diabétiques l’influence d’un régime diététique avec des apports de glucides particulièrement surveillés.
De même, la liaison entre le risque carieux et le contrôle métabolique du diabète a pu être décrite comme significative ou non. Si la question n’est donc pas tranchée, il reste néanmoins possible que l’évaluation du risque carieux sur une certaine période soit un bon indicateur de la santé globale des enfants diabétiques et de leur niveau de contrôle métabolique.
Tout enfant diabétique doit pouvoir être pris en charge au cabinet dentaire en omnipratique. La nécessité de recourir à des soins dentaires en milieu hospitalier ne se justifie que pour des cas exceptionnels. Le suivi du patient ne fait pas appel à des techniques exceptionnelles mais doit être rigoureux : tous les conseils habituels, les « recettes » connues en termes de prophylaxie individuelle, doivent être appliqués pour garantir le maintien du capital dentaire. S’il est classique de recommander des rendez-vous le matin, en dehors des périodes à risque hypoglycémique, la planification des soins doit avant tout tenir compte de l’état physiologique de l’enfant et de la conduite du traitement à l’insuline. Le bon déroulement de ces derniers dépend donc tout simplement de la qualité du dialogue noué avec la famille et l’équipe soignante, dans un cadre pluridisciplinaire.
Certains signes doivent alerter le praticien lors des soins eux-mêmes : faim, sueurs, tremblements, troubles de la parole, somnolence, vertiges, pâleurs, trouble de la vision, irritabilité, etc. Il faut interrompre la séance et procéder au resucrage immédiatement. Tout praticien doit disposer, dans sa trousse d’urgence, de glucagon (Glucagen®) pour faire face à une hypoglycémie grave et procéder à une injection intramusculaire. En cas d’urgence hyperglycémique (soif, besoin d’uriner), il faut injecter un supplément d’insuline rapide correspondant à un dixième de la dose totale habituelle sur 24 heures. Le plus souvent, c’est le patient ou la personne qui l’accompagne qui dispose du matériel nécessaire.
Les dégradations de l’état bucco-dentaire constatées au cours de la vie du patient diabétique militent pour le développement de l’éducation sanitaire, où chaque acteur de santé doit prendre sa part dans le relais de l’information. Il faut saluer les différentes initiatives en ce sens, comme le travail conduit à Lille, exposé lors du dernier congrès de la Société française d’odontologie pédiatrique en mai 2010 (fig. 3).
Ternois M, Stuckens C, Trentesaux T, Delfosse C, Fontaine P, Rousset MM. L’éducation à la santé bucco-dentaire chez les patients diabétiques de type 1 : un apprentissage long et répété est indispensable. Rev Francoph Odontol Pediatr 2010 ; 5 : 64-70.
Trentesaux T, Delfosse C, Ternois M, Rousset MM, Hervé C, Hamel O. L’éducation thérapeutique du patient, un concept applicable en odontologie pédiatrique ? Rev Francoph Odontol Pediatr 2010 ; 5 : 52-56.