ÉTHIQUE
Chirurgien-dentiste, titulaire d’une maîtrise de philosophie et d’un master d’éthique médicale et biologique
L’ignorance est l’ennemie de tous.
Les bisphosphonates (BP) sont une classe de médicaments utilisés dans le traitement de cancers, de l’ostéoporose et de la maladie de Paget. Leur bénéfice pour la qualité de vie des sujets est avéré, notamment vis-à-vis de la douleur et des problèmes osseux1. Cela fait plus de cinq ans que la communauté médicale s’alerte d’une complication majeure des traitements par BP : l’ostéonécrose (ON) des maxillaires dont le diagnostic repose sur des critères précis2.
Cette situation est un exemple de l’apparition, dans l’histoire de la médecine, d’un phénomène inattendu et indésirable. Il y a deux questions centrales. La première est d’ordre épistémologique et concerne : la révélation d’un problème, la reconnaissance de l’effet négatif, la validation du lien de causalité et l’élaboration de la solution. La seconde est d’ordre éthique et concerne : l’action médicale en situation d’incertitude, l’évaluation du rapport entre le risque et le bénéfice ainsi que l’information.
Pour la question scientifique, si la communauté médicale fait de plus en plus de publicité au problème, entraînant une prise de conscience qui fait tache d’huile, il faut reconnaître que le parcours de la littérature scientifique nous enseigne plus de modération que de certitudes : lien de causalité insuffisamment démontré, compréhension du phénomène pathologique encore à l’état d’hypothèses, prévention absolue inexistante, traitement conduit d’après des opinions d’experts3. Ce dernier point n’a rien de déshonorant ou de péjoratif, puisque ce sont à ce stade les seules balises dans la tempête quand bien même elles n’ont pas la force univoque d’un phare. Il y a cependant, bien entendu, des recommandations mises en places. De la prudence et de nos attitudes et décisions, de la qualité de la recherche et de l’évaluation vont dépendre le diagnostic, le traitement et la prévention de ce problème. Mais par-delà, ce sont l’ingéniosité et l’innovation, en un mot la « créativité » biomédicale, qui génèreront les meilleures réponses.
La question éthique se résume à tenir pour le même bien du malade, les principes de l’action et de la prudence. Principe de l’action car, d’une part, si les BP sont bénéfiques et que le bénéfice est supérieur au risque d’ON, il est peu probable qu’on s’abstienne de leur prescription faute d’alternative et, d’autre part, car une fois la complication survenue, on ne peut rester muet et immobile (la médecine est, dès sa naissance, une lutte contre la fatalité). Principe de prudence4 également, qui trouve son expression principale dans l’information des acteurs et particulièrement dans l’éducation des patients et leur participation au processus de décision. D’autant qu’une étude5 montre l’urgence de cet objectif d’information ! Aujourd’hui, l’ignorance est l’ennemie de tous et chacun devrait être assez informé pour prendre librement sa décision.
1. Ruggiero SL, Drew SJ. Osteonecrosis of the jaws and bisphosphonates therapy. J Dent Res 2007;86:1013-1021. Gutta R, Louis PJ. Bisphosphonates and osteonecrosis of the jaws : science and rationale. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Radiol Endod 2007;104:186-193.
2. Mariotti A. Bisphosphonates and osteonecrosis of the jaws. J Dent Educ 2008;72:919-929.
3. Montoya Carralero J-M et al. Dental implants in patients treated with oral bisphosphonates. A bibliographic review. Med Oral Patol Oral Cir Bucal, 2010;15:65-69.
AFSSAPS. Recommandations sur la prise en charge bucco-dentaire des patients traités par bisphosphonates, Lettres aux professionnels de santé, 2007. http://www.afssaps.fr/Infos-de-securite/Lettres-aux-professionnels-de-sante/Recommandations-sur-la-prise-en-charge-bucco-dentaire-des-patients-traites-par-bisphosphonates/(language)/fre-FR
4. Et non de « précaution » qui, ici, signifierait l’abandon des BP.
5. Migliorati CA, Mattos K, Palazzolo MJ. How patients’ lack of knowledge about oral bisphosphonates can interfere with medical and dental care. J AM Dent Assoc 2010;141:562-566.