ODONTOLOGIE RESTAURATRICE
Bruno PELISSIER* Camille BERTRAND** Jean-Christophe CHAZEL*** François DURET****
*UFR d’odontologie, Montpellier I
545, avenue du Professeur-Jean-Louis-Viala
34193 Montpellier Cedex 5.
Les situations cliniques postérieures traitées par des techniques adhésives directes sont nombreuses et la connaissance des principes de l’adhésion ainsi que des matériaux permet d’avoir des restaurations pérennes. Trois techniques d’obturation directe postérieure peuvent être utilisées avec des protocoles stricts et précis (la technique en masse unique, les techniques de stratification classiques et les techniques dites « sandwich » ou avec des substituts dentinaires). Ce cas clinique montre qu’associée à un système adhésif MR2, la technique « sandwich » s’intègre bien dans l’approche actuelle de la dentisterie adhésive moderne.
Pour restaurer les dents postérieures, les résines composites sont devenues incontournables face aux restaurations traditionnelles métalliques et en alliage [1-3]. Trois techniques d’obturation directe postérieure peuvent être utilisées avec des protocoles stricts et précis :
• la technique en masse unique, simple mais présentant des inconvénients de rétraction lors de la polymérisation. Pour modeler la face occlusale, le praticien doit travailler plus ou moins le composite par soustraction, ce qui entraîne des porosités mais surtout une morphologie plus difficile à réaliser qu’avec la méthode de stratification composite-up ;
• les techniques de stratification plus ou moins sophistiquées avec différents matériaux composites (émail et dentine) permettant de limiter le facteur C donc de réduire la rétraction de la résine composite ; mais elles permettent aussi d’obtenir une morphologie et une anatomie occlusales correctes et fonctionnelles grâce aux apports successifs de petites boules de composite de différentes saturations, translucidités et opacités [4-6] ;
• les techniques dites « sandwich » ou avec des substituts dentinaires [5, 7], qui permettent de réduire le nombre d’apports de matériau composite par un premier comblement des deux tiers de la cavité soit par un ciment verre ionomère modifié par adjonction de résine (CVIMAR), soit par un composite fluide autopolymérisable, soit par un nouveau composite, le SDR® (smart dentine replacement, Dentsply), qui est présenté dans cet article. Les techniques avec substitut dentinaire présentent de nombreux avantages qui seront présentés pendant la description du cas clinique.
Il est possible de réaliser des restaurations postérieures dites naturelles avec des matériaux composites, en combinant fonction (anatomie occlusale et points de contact) et esthétique (différentes saturations et translucidités) (fig. 1 à 4) [2]. L’utilisation clinique des composites pour restaurer les dents postérieures se généralise actuellement. Mais elle est très « opérateur dépendante » et son succès clinique dépend de nombreux facteurs liés aux systèmes adhésifs [8], aux résines composites elles-mêmes mais aussi aux protocoles cliniques, très différents ; la longévité des restaurations repose donc non seulement sur la situation clinique et le type de matériau utilisé mais aussi sur l’expérience du praticien qui place ou remplace la restauration [9]. Pour la pratique quotidienne et libérale, il est nécessaire, tout en respectant les règles strictes de la dentisterie adhésive, de simplifier les techniques de restauration postérieure et de limiter le nombre des étapes cliniques pour éviter les erreurs et, ainsi, obtenir des restaurations pérennes (fig. 1 et 2).
Simplicité ne veut pas dire gain de temps mais diminution de certaines étapes cliniques permettant d’obtenir des résultats thérapeutiques prévisibles sans nuire à la qualité des restaurations.
La connaissance des différents systèmes adhésifs, des matériaux composites avec leurs propriétés physiques, chimiques et mécaniques ainsi que des différentes réactions de prise (chémopolymérisation, photopolymérisation ou polymérisation duale) permet d’optimiser l’utilisation de ces matériaux dans le secteur postérieur [6, 10].
Pour de nombreux praticiens, les techniques de restauration composite directe postérieure sont trop complexes, difficiles à mettre en œuvre et inadaptées à la pratique quotidienne. Actuellement, de nombreuses solutions thérapeutiques s’offrent aux praticiens pour restaurer les dents postérieures, toutes avec succès, ce qui peut semer le doute dans la réflexion thérapeutique : choix du système adhésif, du matériau et de la technique. De plus, l’évolution très rapide des matériaux peut poser certains problèmes ; la vérité d’hier n’est pas celle d’aujourd’hui et encore moins celle de demain. Par exemple, aujourd’hui, nous avons à notre disposition des SAM1 que nous pouvons utiliser avec tous les matériaux et avec tous les modes de réaction de prise, ce qui n’était pas le cas dans un passé très récent. Il est donc difficile de répondre à toutes les questions et de tenir compte de tous les critères ; il semble donc important d’avoir au moins deux systèmes adhésifs (un MR2 et un SAM2 avec leurs activateurs ou un SAM1), d’avoir deux types de composites (un universel et l’autre à usage postérieur avec toujours un nombre limité de teintes, saturations et opacités) et, enfin, d’avoir deux substituts dentinaires (un CVIMAR et un composite fluide).
Les restaurations en composite doivent être les premières options thérapeutiques à envisager en dentisterie restauratrice [2], grâce aux progrès de l’adhésion et des matériaux utilisés, mais aussi pour une approche médicale non invasive de la lésion carieuse. Les techniques de stratification ont permis et permettent d’obtenir des résultats cliniques satisfaisants, avec une bonne reproductibilité et une bonne pérennité lorsque le protocole clinique est strictement appliqué (fig. 3 et 4). Il existe toutefois certaines techniques qui permettent de diminuer et de contrôler certaines étapes cliniques mais surtout de gérer certains facteurs comme la polymérisation des couches profondes et de faciliter le montage du matériau par un moins grand nombre de couches [5, 7].
Dans le cas clinique suivant (fig. 5 à 8), la technique de restauration postérieure à l’aide d’un substitut dentinaire SDR® avec le système adhésif XP Bond™ de la société Dentsply DeTrey va être présentée en détail.
La première molaire inférieure gauche d’un patient âgé de 25 ans présente une restauration occlusale à l’amalgame avec une petite reprise de carie. Suivant l’approche de la dentisterie non invasive, il est décidé d’utiliser une technique « sandwich » avec l’utilisation d’un substitut dentinaire (SDR®) associé à un matériau composite (Ceram.X™ Mono+) en technique directe [2, 5]. Le protocole clinique se divise en 8 étapes :
• analyse clinique et radiographique (choix de l’option thérapeutique) ;
• pose du champ opératoire ;
• dépose de l’amalgame avec une bonne aspiration et préparation cavitaire sous spray et surtout avec un champ opératoire ;
• procédure de collage ;
• mise en place du substitut dentinaire ;
• restauration du type composite-up pour la face occlusale ;
• éventuellement, mise en place d’un composite fluide pour combler de légers manques (non obligatoire et en fonction du résultat obtenu lors du modelage de la face occlusale) ;
• contrôle de l’occlusion et finitions, radiographie de contrôle.
Lors de la séance clinique, la teinte est prise avant la préparation et la pose du champ opératoire. Pour ce cas clinique, avec l’aide du nuancier Ceram.X™, la teinte M2 a été choisie. Après la prise de teinte et une anesthésie locale, l’ancienne restauration (amalgame) est déposée sous spray à la turbine avec une bonne aspiration ; ici, l’utilisation du champ opératoire est essentielle et obligatoire pour réaliser la dépose de l’amalgame tout en permettant par la suite une bonne procédure de collage à l’abri de la salive. La forme et les limites de la cavité sont dictées par l’ancienne restauration et la lésion carieuse. Dans le cadre de la dentisterie a minima, certaines colorations occlusales ne sont pas intégrées dans la préparation finale ; il faut aussi noter la présence d’une zone profonde de dentine réactionnelle colorée (fig. 8).
Après l’étape de préparation et le mordançage, le conditionnement de la dent est réalisé avec un adhésif MR2, le système XP Bond™, utilisé parce qu’il y a des surfaces dentinaires importantes sclérotiques et colorées, ce qui permet d’obtenir une bonne adhésion [11]. Le mordançage de l’émail (30 secondes) puis celui de la dentine (15 secondes) sont réalisés avec de l’acide orthophosphorique, le Conditioner 36® (Dentsply DeTrey). Selon les principes du MR2, un rinçage est réalisé, suivi d’un léger séchage, car ce type d’adhésif impose de coller en milieu humide. Il est nécessaire de ne pas déshydrater la dentine pour obtenir une bonne pénétration du système adhésif qui doit être appliqué sur la dent en frottant toutes les parois de la cavité pendant au moins 20 secondes. L’adhésif est polymérisé avec une lampe LED [6], en mode progressif pour éviter une rétraction trop rapide qui pourrait générer des défauts d’étanchéité et des sensibilités postopératoires (fig. 9 à 11).
Dans la pratique quotidienne, pour les reconstitutions postérieures directes, différentes options sont possibles pour remplir les cavités : la technique en masse unique, la stratification avec un composite de différentes saturations et translucidités ou, enfin, l’utilisation de « substituts dentinaires » dans les techniques « sandwich ». Pour ce cas clinique, un substitut composite a été utilisé. Le substitut dentinaire permet d’assurer la protection pulpo-dentinaire, d’éviter des préparations trop invasives par le comblement des contre-dépouilles et d’avoir une épaisseur constante du matériau de restauration (fig.12 à 16).
Actuellement, les matériaux les plus utilisés pour cette fonction de substitut dentinaire sont :
• le CVIMAR. Ayant une possibilité de relarguer du fluor, ce matériau a une adhésion spontanée à la dent et un coefficient de dilatation thermique proche de celui de la dent. Mais des inconvénients dus aux propriétés physico-chimiques (absorption hydrique, solubilité, faible résistance à l’abrasion…) peuvent influencer la qualité de la restauration. Toutefois, ce matériau a fait ses preuves et peut être utilisé en pratique quotidienne avec un protocole strict. De plus, il est nécessaire en occlusal d’utiliser un composite plus résistant, ce qui entraîne une étape supplémentaire lors du traitement des tissus dentaires [7] ;
• les résines composites. Elles peuvent être utilisées sous différentes formes (fluides, photopolymérisables ou chémopolymérisables). Ces matériaux présentent de nombreux avantages (bon rendu esthétique, bonnes propriétés mécaniques…) mais aussi des inconvénients (contraction à la polymérisation, stress à la contraction…). Donc, pour limiter les inconvénients, de nombreux auteurs préconisent les formes chémopolymérisables qui justifient leur emploi en tant que substitut dentinaire. En revanche, la mise en place du matériau exige un matriçage très strict pour obtenir une bonne étanchéité [5].
Pour ce cas clinique, un nouveau matériau a été utilisé, le substitut dentinaire SDR® (Dentsply DeTrey) qui est un matériau de restauration composite monocomposant, fluide, photopolymérisable, radio-opaque et contenant du fluor (encadré 1). Il s’utilise comme base dans les restaurations des classes I et II, en laissant au moins 2 mm d’espace lors de la mise en place de la base SDR® afin de permettre au matériau de restauration occlusale sélectionné de s’insérer. Ce substitut présente les caractéristiques de manipulation d’un composite fluide mais il peut être placé directement en bouche en incréments de 4 mm avec un stress de polymérisation minimal. Il se répartit uniformément, ce qui permet une adaptation parfaite aux parois cavitaires. La manipulation est très agréable. Disponible en une seule teinte universelle et en compule, il est conçu pour être recouvert par une couche de composite universel/postérieur à base de méthacrylate afin de remplacer les pertes amélaires occlusales/vestibulaires.
Le SDR® s’utilise après l’application d’un adhésif adapté pour la dentine et l’émail et est chimiquement compatible avec les adhésifs conventionnels pour dentine/émail à base de méthacrylate, y compris les adhésifs automordançants. Cliniquement, il faut placer la compule directement dans la préparation sur la surface de la dent en exerçant une pression lente et uniforme et en commençant l’extrusion du matériau dans la partie la plus profonde de la cavité, tout en maintenant l’extrémité de l’embout contre le fond de la cavité (fig. 12 à 15). L’embout doit être progressivement éloigné à mesure que la cavité se remplit. Il est nécessaire d’éviter de le retirer de la préparation pendant l’extrusion afin de limiter l’inclusion de bulles d’air. Le matériau appliqué s’étalera tout seul en l’espace de quelques secondes, rendant inutile tout autre modelage avec des instruments manuels. Lorsqu’on l’utilise comme base de placement en masse, il peut remplir la plupart des cavités en un seul incrément suffisamment épais (jusqu’à 4 mm), selon les besoins de remplissage, en laissant toutefois une marge de 2 mm par rapport à la surface occlusale de la cavité. Dans les préparations plus profondes, il faut procéder en incréments successifs de 4 mm, en photopolymérisant complètement chaque incrément ; le SDR® se polymérise par incréments de 4 mm maximum de profondeur/épaisseur. L’intensité lumineuse minimale de la lampe à polymériser doit être d’au moins 550 mW/cm2 pour une exposition d’au moins 20 secondes.
Ensuite, pour la réalisation de la face occlusale d’épaisseur minimale de 2 mm, le composite Ceram.X™ Mono+ de teinte M2 est placé au-dessus du SDR® par de petits apports pour recréer la morphologie (cuspides, crêtes et sillons) tout en diminuant le nombre de parois pour lutter contre le facteur cavitaire très négatif car on est en présence d’une cavité SiSta 1/3. Chaque apport de composite est polymérisé pendant 5 secondes en mode « pleine puissance ». Pour l’ensemble de la restauration, le composite de teinte Ceram.X™ Mono+ M2 est utilisé, ce qui simplifie la manipulation clinique. Une dernière photopolymérisation par LED est faite en mode « pleine puissance » [12] (fig. 17 à 20).
Selon les résultats obtenus lors de la réalisation de la face occlusale, un composite fluide du type X-Flow® peut être utilisé pour combler les petits espaces et les anomalies occlusales (fig. 21 à 23). Pour finir, les étapes de polissage et de contrôle de l’occlusion sont réalisées après dépose du champ opératoire (fig. 24 à 26).
En dentisterie adhésive et restauratrice, une bonne indication et une manipulation rigoureuse s’avèrent plus importantes que la nature de l’adhésif utilisé, les matériaux employés et les modes de polymérisation. Les situations cliniques postérieures traitées par des techniques adhésives directes sont nombreuses et la connaissance des principes de l’adhésion ainsi que des matériaux permet donc de réaliser des restaurations pérennes [1, 2, 4, 12].
Ce cas clinique montre qu’associée à un système adhésif MR2, la technique « sandwich » s’intègre bien dans l’approche actuelle de la dentisterie adhésive moderne. Tout en respectant les indications et le protocole opératoire, il montre également que ce substitut dentinaire associé à un composite permet de réaliser une restauration esthétique et fonctionnelle avec une technique simple et adaptée à la pratique quotidienne.
• Verre de baryum bore fluoro-alumino-silicate
• Verre de strontium fluoro-alumino-silicate
• Résine diméthacrylate d’uréthane modifié
• Diméthacrylate de bisphénol A éthoxyl (EBPADMA)
• Diméthacrylate de triéthylèneglycol (TEGDMA)
• Photo-initiateur camphoroquinone (CQ)
• Butyl-hydroxy-toluène (BHT)
• Stabilisants UV
• Dioxyde de titane
• Pigments d’oxyde de fer
Testez vos connaissances suite à la lecture de cet article en répondant aux questions suivantes :
1. Dans la technique « sandwich » en dentisterie adhésive, le praticien peut utiliser comme substitut dentinaire :
→ a. du ciment verre ionomère modifié par adjonction de résine ou CVIMAR.
→ b. de l’eugénate.
→ c. des composites fluides auto et/ou photopolymérisables.
→ d. de l’amalgame.
2. La technique en masse unique :
→ a. lutte contre le facteur cavitaire.
→ b. facilite le modelage du matériau.
→ c. permet d’avoir une meilleure polymérisation en surface.
→ d. est utilisée selon des protocoles stricts et avec certains matériaux.
3. Le matériau SDR est-il ?
→ a. Un composite fluide autopolymérisable.
→ b. Un ciment verre ionomère ou CVI.
→ c. Un composite fluide à prise duale.
→ d. Un composite fluide photopolymérisable.
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