Clinic n° 09 du 01/10/2010

 

RÉPONSE D’EXPERT

Agnès BLOCH-ZUPAN  

Professeur des universités,
Praticien hospitalier en sciences
biologiques, faculté de chirurgie
dentaire de Strasbourg,
université de Strasbourg.
Centre de référence des manifestations
odontologiques de maladies rares,
service soins bucco-dentaires,
hôpitaux universitaires de Strasbourg

Parmi les anomalies dentaires, l’amélogenèse imparfaite est, dans certaines de ses formes, l’une des plus sévères et des plus difficiles à prendre en charge sur le plan esthétique et fonctionnel.

De nombreux progrès ont été accomplis sur le plan du diagnostic génétique et sur le plan thérapeutique. L’expertise du Pr Bloch-Zupan nous a permis de faire le point, non seulement sur la connaissance de la maladie et ses diverses formes, mais également sur sa prise en charge thérapeutique au sein du réseau des centres de compétences des maladies rares, de plus en plus étendu à l’échelle nationale.

Qu’est-ce l’amélogenèse imparfaite ?

L’amélogenèse imparfaite (AI) constitue un groupe d’anomalies du développement affectant la structure et l’apparence clinique de l’émail de toutes ou de quasiment toutes les dents, temporaires et/ou permanentes. Le diagnostic est fondé sur l’histoire familiale, l’étude de l’arbre généalogique et un examen clinique et radiographique méticuleux. À ce jour, le diagnostic génétique n’est disponible que dans le cadre d’un protocole de recherche.

La prévalence de la maladie avoisine 1/14 000 personnes. Les données sont variables d’une population à l’autre. On ne connaît pas, en France, sa prévalence.

Quelles sont les causes de la maladie ?

L’amélogenèse imparfaite est une maladie génétique pouvant exister de manière isolée ou être associée à d’autres symptômes dans le cadre de syndromes ou maladies rares. Tous les modes de transmission sont possibles (autosomique dominant, récessif ou lié à l’X).

Les gènes connus et impliqués sont les suivants :

• AMELX (Xp22.3-p22.1) ;

• ENAM (4q21) ;

• MMP20 (11q22.3-q23) ;

• KLK4 (19q13.3-q13.4) ;

• WDR72 (15q21.3) ;

• FAM83H (8q24.3) ;

• DLX3 (17q21.3-q22).

Ces gènes codent pour des protéines de structure de l’émail (AMELX : amélogénine, ENAM : énaméline) mais aussi des enzymes résorbant la matrice protéique (MMP20 : métalloprotéinase de la matrice extracellulaire ; KLK4 : kallikréine 4) en prélude à une minéralisation optimale, des facteurs de transcription (DLX3) et des protéines impliquées dans le métabolisme phosphocalcique. N’oublions pas que l’émail dentaire est un tissu acellulaire, d’origine épithéliale, le plus minéralisé et le plus dur de l’organisme, incapable de réparation et de régénération en dehors de capacités limitées de reminéralisation dans la salive.

D’autres protéines sécrétées par les améloblastes et impliquées dans la formation de l’émail et sa minéralisation (améloblastine : AMBN ; tufteline : TUFT1), dans sa maturation ou dans l’adhésion cellule-matrice amélaire (amélotine : AMTN ; APin protéine : ODAM) n’ont pas encore été associées à un phénotype clinique dans le cadre des amélogenèses imparfaites.

De nombreux autres gènes responsables restent donc à découvrir.

Quelles sont les différentes formes d’amélogenèse imparfaite ?

L’amélogenèse imparfaite peut être subdivisée en différentes formes : hypoplasique, hypominéralisée et hypomature (fig. 1234567 à 8) :

• la forme hypoplasique a des défauts quantitatifs. Elle se manifeste par une faible épaisseur, voire une absence, de l’émail et la présence de puits ou de stries. On retrouve des plages d’émail normal. L’émail est néanmoins dur, translucide parfois d’aspect rugueux ou piqueté. Il n’est pas prédisposé à l’usure ;

• la forme hypominéralisée présente un défaut qualitatif. L’émail est d’épaisseur normale, mou, de couleur jaune brun intrinsèque et se clive rapidement ;

• la forme hypomature présente un défaut qualitatif. L’émail est d’épaisseur normale, relativement dur, avec pas ou peu de contraste avec la dentine et présente des colorations allant du blanc crayeux au jaune brun.

L’émail mal formé peut en plus s’altérer rapidement dans la cavité buccale après l’éruption, voire même être résorbé avant l’éruption.

L’amélogenèse imparfaite s’accompagne parfois d’autres anomalies bucco-dentaires comme le taurodontisme, des anomalies dentinaires, des troubles de l’éruption, des résorptions ou des dysmorphoses des bases osseuses maxillaires de type béance antérieure squelettique.

Ainsi, 50 % des patients avec une amélogenèse imparfaite transmise selon le mode autosomique dominant ou liée à l’X présentent une béance antérieure squelettique relevant, dans sa prise en charge, d’une approche mixte orthodontique et chirurgicale.

L’amélogenèse imparfaite peut aussi s’inscrire au tableau clinique des syndromes. Elle peut être alors associée à :

• une néphrocalcinose (anomalie rénale) parfois asymptomatique (fig. 3 et 4) ;

• une platispondylie (anomalies vertébrales), une petite taille ;

• une dystrophie des cônes et des bâtonnets (cellules photoréceptrices de l’œil ; gène CNNM4 possible métal transporteur) ;

• une épilepsie et une détérioration mentale (le syndrome de Kohlschutter-Tonz) ;

• une onycholyse (anomalies des ongles) ;

• une surdité neurosensorielle et des anomalies des ongles (syndrome de Heimler) ;

• des cheveux frisés et des anomalies osseuses (le syndrome tricho-dento-osseux ; gène DLX3).

Quelles autres pathologies pourraient nous faire croire à une amélogenèse imparfaite ?

Le diagnostic différentiel avec des anomalies de l’émail d’origine environnementale ou systémique requiert une analyse détaillée des antécédents médicaux du patient, de l’exposition éventuelle à des toxiques ou des agents tératogènes (dioxine, fluorure…) et du caractère transmissible dans la famille.

Dans le cas de l’amélogenèse imparfaite, les défauts observés ne peuvent être reliés à une chronologie de formation/minéralisation.

Il convient ainsi de se demander si les défauts de l’émail observés, à savoir une hypoplasie, une hypominéralisation et/ou une dyscoloration, sont :

• d’origine acquise :

– une dent est concernée. L’étiologie est locale en rapport avec un traumatisme sur une dent temporaire ayant entraîné directement ou indirectement (complications infectieuses) un défaut de formation de la dent permanente de remplacement par exemple. Les infections périapicales de la dent temporaire ou les atteintes de la furcation des molaires temporaires sont fréquentes ; elles se propagent au sac folliculaire et lèsent l’organe de l’émail, et sont parfois à l’origine d’hypoplasie de l’émail touchant le plus souvent alors les prémolaires,

– un groupe de dents est concerné. L’étiologie est générale ; un agent tératogène ou toxique va perturber la formation de l’émail et concerner des sites concomitants de formation/minéralisation. Il est souvent possible de retracer le moment d’action de l’agent causal,

– l’ensemble de la denture ou un grand nombre de dents permanentes est concerné. Parmi les événements responsables, les intoxications exogènes ioniques chroniques (fluoroses) ou médicamenteuses (tétracycline) peuvent être incriminées ;

• d’origine génétique :

– il existe une histoire familiale,

– l’individu est le seul de la famille à présenter ces anomalies de l’émail. Il peut être le premier individu porteur d’une mutation génétique sur un gène impliqué dans l’amélogenèse ou le seul chez qui il existe une expression phénotypique de la maladie (cela est vrai en particulier en cas de transmission autosomique récessive d’une maladie génétique).

Le MIH (molar-incisor hypomineralisation, ou hypominéralisation molaires-incisives) concerne les premières molaires et les incisives permanentes ; les défauts peuvent également atteindre la pointe cuspidienne de la canine, de la deuxième prémolaire et de la deuxième molaire.

Le nombre de premières molaires permanentes atteintes varie de 1 à 4 et l’expression des défauts varie entre les différentes molaires.

Lorsque des défauts importants sont présents sur une molaire, il est probable que la dent controlatérale soit atteinte.

Les premières molaires permanentes sont plus souvent atteintes que les incisives et sont plus fortement touchées ; les incisives maxillaires sont également plus touchées que les incisives mandibulaires. Le risque d’avoir des défauts sur les incisives maxillaires augmente quand les molaires sont atteintes. Les incisives atteintes posent un problème esthétique et, en général, ne présentent pas de perte d’émail, ce qui est lié au fait que les forces masticatoires ne s’exercent pas sur les opacités.

Le diagnostic différentiel entre le MIH et l’amélogenèse imparfaite n’est difficile que dans les cas sévères de MIH, lorsque les molaires sont atteintes de façon égale. Le plus souvent dans le MIH, les défauts sont asymétriques au niveau des molaires et des incisives.

L’étiologie du MIH est encore mystérieuse. La présence de dioxine et de biphényle polychloré (PCB) dans le lait maternel ainsi que la durée de l’allaitement, les complications périnatales, les pathologies pendant l’enfance, l’état de santé de la mère et de l’enfant pendant la grossesse, les vaccinations pendant l’enfance, l’utilisation répétée d’antibiotiques, un dysfonctionnement dans le métabolisme du calcium et du phosphate et dans la fixation des minéraux sont à considérer.

La carie se développe préférentiellement au niveau des sillons ou dans les zones interproximales. Les hypoplasies de l’émail concernent également les surfaces lisses vestibulaires et palatines. Le diagnostic différentiel peut être difficile dans la mesure où la carie peut résulter secondairement d’une accumulation de plaque au niveau d’un site d’émail hypoplasique.

Trouve-t-on ces anomalies dans les deux dentures du même individu ?

La variabilité des phénotypes cliniques observés au sein d’une même fratrie ou chez un même individu sur ses arcades dentaires suggère la nécessité d’une classification moléculaire de ces amélogenèses imparfaites.

En quoi la recherche génétique des amélogenèses imparfaites est-elle utile ?

Vous pouvez contribuer à une meilleure connaissance de cette anomalie dentaire et de ces maladies rares associées en participant au recensement de ces patients dans le registre D [4]/phenodent (www.phenodent.org). La constitution de ce registre a reçu l’avis favorable du Comité consultatif sur le traitement de l’information en matière de recherche dans le domaine de la santé (CCTIRS) le 11 septembre 2008 et l’autorisation de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) le 18 mai 2009 (numéro d’enregistrement 908416).

Il est possible, pour les personnes atteintes et leur famille, de participer à un projet de recherche clinique national intitulé « Étude clinique et moléculaire des amélogenèses imparfaites » (PHRC N 2008, HUS n° 4266). Les objectifs sont de caractériser les manifestations cliniques et les problèmes liés à l’amélogenèse imparfaite, d’évaluer leur fréquence, de tenter d’établir un lien entre certains symptômes et les gènes incriminés et de découvrir de nouveaux gènes responsables de cette maladie.

Si vous rencontrez, dans votre patientèle, des personnes atteintes par les maladies décrites et si souhaitez les faire participer au projet de recherche, vous pouvez nous contacter*. Le recensement s’effectuera dans le respect de l’anonymat du praticien, du patient et de sa famille et avec leur accord.

Participent également à ce programme hospitalier de recherches cliniques les centres de compétences associés avec, comme investigateurs principaux :

• le Dr B. Richard, du Service d’odontologie et de santé bucco-dentaire du CHU de Bordeaux ;

• le Pr C. Tardieu, du Centre d’odontologie de Marseille (hôpital de la Timone) ;

• le Pr J.L. Sixou, du Centre d’odontologie de Rennes, avec des équipes des CHU de Brest et de Nantes ;

• le Pr J.J. Morrier, du Centre d’odontologie de Lyon ;

• le Pr M.M. Rousset, du Centre d’odontologie de Lille.

En quoi un diagnostic précoce est-il bénéfique ?

La présence d’une amélogenèse imparfaite peut représenter un signe d’appel d’une maladie plus générale et doit faire rechercher, en particulier, des signes associés. Cette anomalie doit être rapportée au médecin en charge de l’enfant (pédiatre, médecin généraliste, généticien…). Ce diagnostic médical, conforté par les observations du chirurgien-dentiste, est important pour l’enfant et sa famille.

Que devons nous faire face à une amélogenèse imparfaite en matière de traitement et de suivi ?

Il existe, en Alsace, le Centre de référence des manifestations bucco-dentaires des maladies rares à même de vous orienter pour le diagnostic et de vous conseiller sur la prise en charge et le suivi des patients**.

Du point de vue de la prise en charge bucco-dentaire, la prévention avec la mise en place d’un programme de santé bucco-dentaire, la préservation du capital dentaire et la prise en charge pluridisciplinaire de ces anomalies dentaires sont des éléments indispensables d’un traitement réussi.

En denture temporaire et mixte, les dents sont protégées à l’aide de matériaux du type verre ionomère ou composite ou avec des couronnes préformées.

Le recours à la sédation consciente au MEOPA (mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote) ou à l’anesthésie générale peut être nécessaire. On rencontre en effet souvent des difficultés d’anesthésie de dents présentant un émail hypominéralisé.

L’orthopédie dento-faciale, l’orthodontie et la chirurgie maxillo-faciale s’intéresseront aux défauts des bases osseuses, en particulier à l’éventuelle béance associée et aux malocclusions/ malpositions dentaires.

À plus long terme, la dentisterie adhésive et esthétique, la mise en place de facettes et/ou de couronnes ainsi que la pose d’implants contribueront à restaurer les aspects fonctionnels de la denture et le sourire des patients.

Quel espoir peut-on avoir face à cette affection avec ses conséquences parfois graves ?

Les amélogenèses imparfaites sont la source de problèmes sociaux et fonctionnels et d’inconfort, mais elles peuvent être prises en charge précocement, à la fois de manière préventive et réparatrice, les traitements devant être mis en place dans l’enfance et poursuivis à l’âge adulte.

Un diagnostic précoce et un conseil génétique sont importants.

Une prise en compte de ces affections par les pouvoirs publics, en particulier des nécessités et des coûts de traitement au long cours, est indispensable en vue de proposer des remboursements adaptés et de permettre aux patients de croquer, à tout âge, la vie à pleines dents !

La participation des patients et de leur famille au programme de recherche PHRC N 2008 – HUS n° 4266 représente une chance unique de faire avancer les connaissances et d’aider à mieux connaître et reconnaître ces amélogenèses imparfaites et leurs symptômes associés.

Lectures conseillées

Orphanet, le portail des maladies rares et des médicaments orphelins, rubrique amélogenèse imparfaite. http://www.orpha.net/

Crawford PJ, Aldred M, Bloch-Zupan A. Amelogenesis imperfecta. Orphanet J Rare Dis 2007;2:17.

Parry DA, Mighell AJ, El-Sayed W, Shore RC, Jalili IK, Dollfus H et al. Mutations in CNNM4 cause Jalili syndrome, consisting of autosomal-recessive cone-rod dystrophy and amelogenesis imperfecta. Am J Hum Genet 2009;84:266-273.

* Pr. A. Bloch-Zupan, Centre de référence des manifestations bucco-dentaires de maladies rares, faculté de chirurgie dentaire, université de Strasbourg et service soins bucco-dentaires, hôpitaux universitaires de Strasbourg

Hôpital civil 1, place de l’Hôpital 67000 Strasbourg cedex cref-odonto@chru-strasbourg.fr

Tél. : 03 68 85 39 24

Fax : 03 68 85 38 67

** http://www.chru-strasbourg.fr/Hus/HTML/centreRef/cref3.jspid=1-3