Clinic n° 09 du 01/10/2010

 

ENDO… AUTREMENT

Stéphane SIMON  

Laboratoire INSERM UMRS 872,
Équipe 5 physiopathologie orale moléculaire,
Centre de Recherche des Cordeliers, Paris
Université Denis Diderot, Paris
Exercice privé limité à l’endodontie (Rouen, 76)

Dans cette rubrique intitulée « Endo… autrement », il n’est pas forcément inutile de revenir aux fondamentaux… C’est l’objectif de cet article qui rappelle, étape par étape, les procédures cliniques qui permettent de mener un traitement endodontique à son terme dans les meilleures conditions. Sans forcément rentrer dans le détail, il insiste sur le fait que c’est la validation des étapes successives, les unes après les autres, qui conduit au succès et qu’une seule approximation peut nuire aux procédures suivantes et être responsable d’un échec global.

L’objectif de tout traitement, et notamment en endodontie, est de maintenir une dent dans un contexte biologique proche de la physiologie, et de prévenir ainsi tout développement d’une pathologie osseuse inflammatoire.

Depuis les travaux de Miller (1885) et de Kakehashi (1963), l’infection bactérienne a été clairement établie comme étant à l’origine des pathologies endodontiques.

Quel que soit le traitement à appréhender, de la conservation de la vitalité de la pulpe à la pulpectomie, le maintien de l’asepsie reste l’objectif principal.

À l’exception de la nécrose, les pathologies de la pulpe sont inflammatoires et donc, par définition, indemnes de toute contamination bactérienne. Cette stérilité du canal doit donc être maintenue, quelles que soient les procédures mises en œuvre.

L’endodontie est souvent considérée comme une discipline complexe et compliquée à mettre en œuvre. Les évolutions techniques des 10 dernières années ont permis de proposer des instruments et autres périphériques facilitant les protocoles et, surtout, de rendre l’endodontie de qualité accessible à tout praticien.

Contrairement au retraitement endodontique pour lequel chaque cas est particulier, les séquences du traitement endodontique initial ont largement été rationalisées, conduisant même parfois jusqu’à une standardisation des protocoles.

Malgré ces évolutions, l’anatomie endodontique demeure le seul facteur aléatoire (fig. 1 et 2). Les instruments, qu’ils soient pour la mise en forme ou pour l’obturation, permettent dorénavant de négocier les courbures et autres anomalies anatomiques, parfois même relevant de l’exception.

Plus que l’instrumentation elle-même, ce sont les protocoles mis en œuvre qui permettent de conduire à la réussite. Le traitement peut ainsi être décomposé en plusieurs étapes, dont chacune doit être validée avant de passer à la suivante.

Anesthésie

L’anesthésie de la dent concernée doit être profonde, obtenue rapidement et durer suffisamment longtemps pour compléter le traitement dans la séance, sans inconfort pour le patient. Même l’obturation, étape finale, peut s’avérer délicate pour le patient.

Au maxillaire et au niveau des dents antérieures mandibulaires, l’anesthésie périapicale permet de remplir l’ensemble des objectifs. Le problème est plus délicat au niveau des prémolaires et des molaires mandibulaires. L’anesthésie tronculaire du nerf dentaire inférieur, dite à l’épine de Spix, a longtemps été considérée comme la technique de choix. Les difficultés techniques, les quelques échecs inhérents à l’anatomie ou autres raisons physiologiques et l’inconfort pour le patient à l’issue des soins sont des facteurs souvent invoqués pour éviter son application.

Longtemps décriée, l’anesthésie intraosseuse présente pourtant beaucoup d’avantages. La mise au point de nouveaux systèmes d’injection avec des seringues couplées à un moteur (Quicksleeper, Dental HiTec, France) et des aiguilles au profil adapté (Dental HiTec, France) permettent aujourd’hui de reconsidérer la technique. La technique d’anesthésie ostéocentrale par exemple, permet d’injecter la solution à proximité des apex des dents concernées et d’obtenir alors une anesthésie rapide et profonde des molaires. La corticale osseuse n’est ainsi plus un facteur limitant la diffusion du produit, l’injection se faisant directement au niveau de l’os médullaire.

La durée de l’anesthésie demeure cependant un facteur limitatif. L’injection d’une cartouche d’articaïne associée à de l’adrénaline (1/100 000) permet d’obtenir une anesthésie de 1 heure environ. Si la complexité du traitement nécessite une durée plus importante, l’injection intraosseuse pourra être complétée au début de la séance par une anesthésie tronculaire qui prendra le relais après dissipation de la précédente. Ainsi, chaque injection permet de pallier les défauts de l’autre.

Champ opératoire

La pénétration dans le système endodontique stérile doit se faire dans des conditions d’asepsie optimales. La pose du champ opératoire permet, non seulement de s’assurer que toutes les précautions sont prises dans ce domaine, mais également de protéger le patient des risques d’ingestion ou d’inhalation de produits chimiques utilisés lors de la désinfection ou d’instruments endodontiques qui pourraient malencontreusement échapper au praticien.

La digue a souvent mauvaise presse auprès des chirurgiens-dentistes car il persiste une appréhension pour sa mise en place. Elle est parfois même considérée comme une complication supplémentaire. Dans les conditions requises, la pose du champ opératoire ne nécessite pas plus de 2 minutes.

En endodontie, seule une dent est concernée. L’élément clé pour profiter du confort de ce champ est la stabilité primaire du crampon. Quelles que soient la dent et la situation, le crampon doit reposer sur la couronne en 4 points. Souvent, l’état de délabrement de la dent ne permet pas d’obtenir cette stabilité. La reconstitution préendodontique – généralement obtenue par la simple mise en place d’une matrice et d’un verre ionomère ou, dans les situations plus complexes, par l’utilisation d’une bague de cuivre – permet de rétablir une morphologie adaptée à la mise en place simple de la digue (fig. 3).

Le crampon est systématiquement essayé et sa stabilité vérifiée ; le champ peut alors être posé dans de bonnes conditions.

Peu de matériel est finalement nécessaire pour accomplir cette étape. L’erreur souvent commise consiste à penser que la multiplication du nombre de crampons à disposition permet de répondre à l’ensemble des situations. En réalité, 4 ou 5 crampons seulement permettent de s’adapter à toutes les dents et à toutes les situations.

Cavité d’accès

Une fois le champ opératoire posé, la cavité d’accès peut être réalisée. La reconstitution de la dent préalablement effectuée permet de retrouver les repères anatomiques nécessaires au dessin initial de la cavité idéale. Si la technique de trépanation/élargissement a longtemps été enseignée, il est dorénavant conseillé de dessiner sur la face d’accès une cavité idéale dont les contours sont dictés par les repères anatomiques et la morphologie coronaire de la dent ; cette cavité est ensuite approfondie en direction de la chambre pulpaire et ses parois régularisées. Cette approche est plus sécurisante, notamment dans les cas de rétraction pulpaire importante où les plafonds et planchers pulpaires sont très proches, situation propice aux perforations.

Relocalisation des entrées canalaires

Une erreur souvent commise consiste à vouloir pénétrer immédiatement dans les canaux avec une lime afin d’explorer le canal. Les contraintes coronaires, notamment représentées par les triangles dentinaires, s’opposent à la pénétration des instruments et exercent sur eux des forces pouvant, dans le meilleur des cas, s’opposer à leur pénétration apicale et, dans le pire, conduire à la fracture instrumentale.

Cette relocalisation s’effectue avec un foret de Gates n° 4 utilisé à l’entrée du canal uniquement, à une vitesse de 800 tr/min, en appui systématique sur la paroi dite de sécurité (paroi portant le nom du canal considéré).

Mise en forme instrumentale

La multiplicité des systèmes d’instruments actuellement disponibles sur le marché dentaire participe à la confusion présente à l’esprit de chaque praticien en quête de l’instrument idéal, efficace et qui ne se fracture jamais.

À part quelques exceptions, tous les systèmes actuellement disponibles peuvent être considérés comme bons à partir du moment où ils sont utilisés à bon escient.

Plus que les instruments eux-mêmes, ce sont les objectifs à atteindre qui sont importants et seuls gages du succès à terme du traitement. Une conicité régulière, le respect de la trajectoire canalaire, le maintien d’un foramen étroit en position initiale sont les prérequis indispensables pour un traitement répondant aux critères de qualité dicté par le Pr H. Schilder (fig. 4).

Ces objectifs assimilés, il suffit ensuite d’analyser et de comprendre le fonctionnement de chaque système pour choisir celui qui semble le plus approprié.

Une erreur souvent commise consiste à associer différents systèmes en mélangeant les instruments. Si ce « mélange » est raisonné et conditionné par l’établissement d’un protocole précis, il ne présente aucun véritable inconvénient. Il conviendra cependant de se demander si un autre système, réduisant par exemple le nombre d’instruments utilisés, ne permettrait pas d’obtenir la même chose tout en optimisant l’ergonomie.

Si le mouvement alternatif permet une bonne pénétration initiale des instruments de petit diamètre, il n’est pas le mouvement idéal pour une mise en forme canalaire de conicité finale minimale de 6 %. Les instruments en nickel-titane utilisés en rotation continue demeurent aujourd’hui les instruments de choix pour cette étape du traitement.

L’évolution prochaine des instruments de mise en forme portera sur l’élaboration de nouveaux alliages aux propriétés élastiques optimisées et sur la mise au point d’un mouvement de réciprocité comme solution de remplacement à la rotation continue. Ce mouvement n’a cependant rien à voir avec le mouvement alternatif souvent proposé injustement comme une solution avant-gardiste.

Désinfection de l’endodonte

Quel que soit le système utilisé, la mise en forme instrumentale est loin de concerner toutes les parois radiculaires. Dans le meilleur des cas, seuls 45 à 65 % des parois du canal sont concernées par le passage des instruments.

L’objectif principal de la mise en forme du canal n’est pas d’obtenir une désinfection mécanique, même si une partie de la dentine infectée est éliminée à ce stade, mais bien d’obtenir une forme appropriée du canal principal dans lequel la circulation de la solution d’irrigation sera ainsi rendue possible. C’est cette solution qui va permettre de désinfecter le canal d’une part, et de dissoudre les débris organiques (débris pulpaires, prédentine, bactéries, etc.) d’autre part. La solution de choix à ce jour demeure l’hypochlorite de sodium, à une concentration comprise entre 1 et 5 %. L’action de cette solution est liée à la présence d’acide hypochloreux. La réaction de chaque molécule avec un produit organique provoque sa transformation en molécule d’eau, inactive. Pour être efficace, la solution doit donc comporter en permanence du principe actif. Seul le renouvellement fréquent au sein du canal permet d’assurer une action permanente de la solution.

Il n’existe actuellement aucun moyen permettant de mesurer la quantité de solution active par rapport aux molécules déjà dissociées. Le volume de solution nécessaire pour désinfecter le système canalaire reste donc empirique. Il est communément conseillé d’utiliser 2 ml de solution entre chaque passage d’instrument. On notera que plus la solution est concentrée, plus la quantité de solution active, à volume égal, est importante. Ainsi, pour une action équivalente, il faudra 5 fois plus de solution concentrée à 1 % que de la même solution concentrée à 5 %. (Remarque : en dessous de 1 %, telle que le Dakin®, la solution est désinfectante mais ne possède aucun pouvoir de dissolution.)

Des recherches récentes ont permis de montrer que l’agitation de la solution dans le canal, par des inserts ultrasonores ou un moyen mécanique, permettrait d’optimiser la désinfection du canal, notamment en permettant à la solution d’atteindre des zones difficilement accessibles (isthmes, canaux latéraux, etc.).

Outre son action de désinfection, la solution d’irrigation est également exploitée pour éliminer les débris créés lors de l’instrumentation en direction coronaire et pour assurer une lubrification de l’instrument en action.

Cette irrigation peut être complétée par d’autres rinçages à la chlorhexidine par exemple pour optimiser le processus. L’utilisation d’une solution d’EDTA (éthylène diamine tétra acétique) à 17 % est également conseillée en rinçage final afin de dissoudre la partie minérale de la boue dentinaire, de libérer ainsi les produits organiques et autres bactéries et de les rendre accessibles à la solution de désinfection. Le rinçage à l’EDTA doit donc être systématiquement suivi d’un rinçage à l’hypochlorite de sodium afin que la séquence ait un sens.

Obturation endodontique

Une fois la mise en forme du canal principal et la désinfection du système endodontique terminées, l’obturation tridimensionnelle du réseau canalaire va permettre de pérenniser la situation.

L’objectif de cette étape est d’obtenir un remplissage avec un matériau plastique et d’assurer son étanchéité en le scellant aux parois radiculaires.

L’utilisation de gutta-percha demeure à ce titre incontournable, car c’est à ce jour le seul matériau permettant une déformation plastique compatible avec notre exercice et présentant une résistance dans le temps à la dissolution. Son défaut principal est son absence d’adhésion aux parois radiculaires. Pour cette raison, ce matériau doit systématiquement être couplé à un agent de scellement. Les plus couramment utilisés sont les ciments à base d’oxyde de zinc eugénol ou les résines époxy. Aucun adjuvant notamment médicamenteux n’est nécessaire : ils sont même pour la plupart contre-indiqués.

Il existe plusieurs techniques d’utilisation de ces matériaux. La condensation latérale à froid est la plus enseignée dans les universités dans le monde du fait de sa simplicité de mise en œuvre et de la qualité obtenue. La compaction verticale à chaud, quant à elle, demeure la technique de référence dans toutes études in vitro s’intéressant à l’étanchéité en endodontie. La technique dite de Schilder a longtemps été considérée comme réservée aux spécialistes. La mise au point et la commercialisation de nouveaux systèmes tels que l’Element (SybronEndo Kerr, Dental force, France), Calamus (Dentsply-Maillefer), ou Bee Fill (Densply, France) rendent accessibles cette technique réputée complexe et dépendante de l’opérateur.

Quelle que soit la technique utilisée, l’adaptation du maître-cône reste une étape primordiale. À ce titre, l’étroite relation entre « mise en forme » et « obturation » prend tout son sens. Il est commun de considérer que, finalement, il n’y a pas de problème d’obturation à partir du moment où la mise en forme est convenablement réalisée.

Conclusion

Par cette considération séquentielle du traitement endodontique, il apparaît que c’est bien l’approche étape par étape qui conduit au succès. La validation de chacune de ces étapes permet d’appréhender la suivante sans inquiétude. Si cette façon d’opérer oblige à perdre un peu de temps au départ, la reproductibilité des résultats et la sérénité font très vite prendre conscience de son intérêt.

Évaluez-vous

Testez vos connaissances suite à la lecture de cet article en répondant aux questions suivantes :

1. Le champ opératoire :

a. est nécessaire uniquement sur les dents postérieures.

b. intéresse au minimum trois dents en endodontie.

c. est indispensable quelles que soient la dent et la situation.

2. La solution d’irrigation de choix en endodontie est :

a. l’hypochlorite de sodium à une concentration de 0,25 %

b. l’hypochlorite de sodium à une concentration de 2,5 %

c. l’hypochlorite de sodium à une concentration de 6 %

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