Clinic n° 09 du 01/10/2010

 

INTERVIEW

Anne-Chantal de Divonne  

La faculté dentaire de Paris Descartes s’est engagée dans une profonde réforme de l’enseignement dentaire. La première promotion est attendue en 2014 !

Pourquoi avez-vous lancé cette réforme ?

Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche souhaite l’application du décret du 8 avril 2002 (n° 2002-482) portant application au système français d’enseignement supérieur de la construction de l’Espace européen de l’enseignement supérieur. Par ailleurs, le pôle de recherche et d’enseignement supérieur « Université Sorbonne Paris Cité » recommande de renforcer notre positionnement international. Cette réforme vise à favoriser la mobilité des étudiants mais aussi des enseignants, des chercheurs, voire des personnels administratifs. À chaque étape de son parcours, un étudiant aura l’opportunité de continuer ses études à l’étranger. Des suppléments aux diplômes garantiront la validité de leur formation, ce qui facilitera le choix du lieu d’exercice professionnel dans l’Union européenne.

Quelles évolutions impose cet objectif d’intégration ?

Pour comparer les facultés et faciliter les échanges, le processus de Bologne invite les universités à rendre la structure des programmes lisible. L’expression disciplinaire (parodontologie) est remplacée par la déclinaison en compétences (être capable de traiter des patients atteints de maladie parodontale). Chaque compétence et son niveau doivent être clairement énoncés. La charge de travail nécessaire pour l’acquérir doit être exprimée sous forme de crédits de cours dont la valeur a été estimée à l’échelon européen (ECTS : European Credits Transfer System) entre 25 et 30 heures. Sous cette forme, la reconnaissance de contenus entre universités en Europe et dans le monde va permettre la mobilité. Il faut 300 crédits pour obtenir le master qui ouvre droit au diplôme de chirurgien-dentiste.

Concrètement, qu’y a-t-il de changer pendant les 5 ans d’études ?

Jusque dans les années 1980, les chirurgiens-dentistes ont été éduqués pour restaurer le système dentaire. On leur enseignait avant tout la gestuelle. Et on leur donnait des cours sur des grands thèmes scientifiques déconnectés de la vie professionnelle.

Nous voulons aujourd’hui que les futurs praticiens connaissent d’abord l’environnement dans lequel ils vont travailler. Dès le premier semestre, des enseignements tels que « l’écosystème buccal », « le développement du complexe bucco-facial » ou encore « l’influence des facteurs sociologiques et éthiques sur la santé publique dentaire » permettent d’immerger l’étudiant dans la vie professionnelle. Au deuxième semestre, il apprend à « identifier des urgences vitales », à prévenir les maux liés à son métier grâce à des techniques d’expression orale et corporelle réunies dans le module « développement personnel », à faire « le diagnostic et la prévention de la gingivite »…

Finalement, qu’est-ce qui va différencier le futur jeune diplômé de ses prédécesseurs ?

Son contact très précoce avec le monde professionnel. Dès la première année, il rencontre des patients pour les éduquer à comprendre les modes d’installation de la gingivite, et à la prévenir. Une autre grande différence est la culture scientifique qu’il va acquérir tout au long de son cursus. La formation est désormais adossée à la recherche qui devient d’ailleurs une discipline obligatoire. Cette culture scientifique va permettre à l’étudiant de développer un bon esprit critique qui lui sera utile pour évoluer dans son exercice et pour éclairer ses patients. La formation par la recherche offrira aussi des opportunités de recrutement de jeunes chercheurs sans pour autant suivre une double filière. Enfin, le futur praticien aura appris à réactualiser ses connaissances. La formidable production scientifique, l’accélération des connaissances et l’évolution de la biotechnologie et des sciences biomédicales, économiques et psycho-sociales exigent de lui cette aptitude. L’apprentissage tout au long de la vie est d’ailleurs une des compétences qu’il doit acquérir.

Quand on parle de la réforme des études, il est souvent question du LMD…

Soyons clairs : cette structure de programme aboutissant à un master en 2 cycles ne s’applique pas à la santé. Les professions de santé sont réglementées par une directive européenne appliquée dans notre droit (D 2005/36/CE). Les composantes européennes se sont entendues sur une structure de programme en un cycle de master validant 300 ECTS. Mais notre réforme prévoit le droit au remords. Après 6 semestres d’études, les étudiants obtiennent des compétences pour les soins les plus fréquemment rencontrés, les maladies parodontales, les soins aux patients en situation d’urgence, la détection des lésions précancéreuses et les détériorations de l’appareil manducateur. À l’issue de ces 3 ans, ceux qui se sont mal orientés n’auront pas perdu leur temps. Ils obtiendront les certificats suffisants pour s’orienter vers d’autres filières. Les autres continueront encore 2 ans et devront valider 300 crédits pour obtenir le master nécessaire à l’obtention du doctorat d’exercice. Les étudiants qui le souhaitent pourront continuer en s’orientant vers la recherche.

La licence pourra-t-elle à terme ouvrir à de nouveaux métiers dentaires ?

Absolument pas. Ces 3 années ne donnent qu’une reconnaissance académique et non une licence qui pourrait autoriser l’exercice d’une profession ayant des relations de près ou de loin avec l’odontologie. Les textes européens sont explicites.

Certains craignent ce bouleversement des études, que les jeunes diplômés n’apprennent plus « le coup de main »…

Contrairement aux représentations évoquées par l’opinion, les professionnels de la santé et, il faut bien l’avouer, les chirurgiens-dentistes eux-mêmes, les capacités des praticiens en médecine dentaire sont identiques à celles des autres professionnels de santé. Bien évidemment, les médecins dentistes exécutent la majorité des traitements qu’ils prescrivent. Mais l’explosion des connaissances et le développement des traitements de haute technicité limitent de plus en plus leurs capacités d’intervention. Le raisonnement clinique est le moyen de guider la gestuelle et surtout les choix et les décisions qui l’ont gouvernée. Les praticiens les plus capables de bonne pratique sont en général compétents parce qu’ils connaissent leurs limites. C’est l’application du postulat du grand médecin qu’était Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Si compétent signifie être capable de faire un soin, on est tenté de dire qu’on peut « faire » des chirurgiens-dentistes agiles de leurs mains en 3 ans ! La réforme va bien au-delà. Elle insuffle une culture de suivi des patients. Il faut bien comprendre que le médecin dentiste n’est plus du tout le chirurgien-dentiste d’antan. La formation vient de passer du stade des écoles odonto-professionnelles à l’université et c’est heureux.