Clinic n° 08 du 01/09/2010

 

PROTHÈSE AMOVIBLE

Marc SANTUCCI*   Camille DETRAIT**   Marysette FOLLIGUET***   Michel POSTAIRE****  


*Service d’odontologie
Hôpital Louis-Mourier
178, rue des Renouillers
92701 Colombes cedex

Le traitement prothétique des fentes vélaires est un acte difficile surtout chez un patient totalement édenté. Il répond à des exigences anatomiques et fonctionnelles permettant au patient de retrouver une compétence vélo-pharyngienne.

À partir d’un cas clinique, les différentes étapes de la réalisation d’un obturateur vélo-palatin de Suersen sont illustrées ainsi que sa modification par suite de l’échec thérapeutique du premier jeu de prothèses.

Le traitement d’une communication bucco-nasale est un acte délicat, surtout en cas d’édentement total. Nous nous limiterons aux phases de traitement spécifiques de la fente vélaire en excluant les phases de réalisation de la prothèse dans son ensemble.

Physiopathologie

Le voile du palais est une aponévrose fixée au bord postérieur de la voûte palatine osseuse et sur laquelle s’insèrent 5 paires de muscles. Normalement, l’étanchéité entre le pharynx buccal et le pharynx nasal est obtenue principalement par l’élévation du voile agissant à la manière d’un diaphragme venant s’appliquer sur la paroi du pharynx et accessoirement par la muqueuse pharyngée qui, soulevée par les muscles sous-jacents, se porte au-devant du voile [1].

Les malades souffrant d’insuffisance vélaire fonctionnelle – laquelle a pour conséquence la « déperdition nasale » – présentent soit un voile divisé par une fente (classe I), soit un voile trop court dont le bord postérieur ne vient plus au contact de la paroi pharyngienne (classe II), soit un voile inerte donc dépourvu de contractions (classe III) [2].

L’objectif de la restauration est double [3, 4] :

• d’une part, la restauration fonctionnelle de l’édentement ;

• d’autre part, l’obturation de la perte de substance.

La prothèse obturatrice est constituée de deux éléments : la plaque palatine et la pièce obturatrice [2, 3]. La plaque palatine peut être solidaire de l’obturateur (la prothèse est alors dite « monobloc ») ou être associée à un obturateur amovible souple [5].

La plaque palatine est l’élément de soutien de l’obturateur ; elle obture une éventuelle fente palatine associée et permet de remplacer les dents absentes. Elle doit donc être stable, étanche au niveau de la fente et rétentrice grâce à un joint périphérique efficace (il est rarement possible d’utiliser la contre-dépouille au niveau de la fente en raison de l’irritation qui se produit à la longue au niveau des bords de la fissure).

Son élaboration est identique à celle d’une prothèse complète maxillaire. Il est à noter que l’étanchéité du joint postérieur peut être difficile à réaliser en raison même de la fente vélaire ou de la texture irrégulière de la muqueuse au niveau du bord postérieur du palais dur.

La seconde partie de la prothèse est constituée par l’obturateur qui diffère selon le type de lésion. S’il existe des éléments contractiles susceptibles de réduire la lumière pharyngée (classes I et II), on établira un obturateur mettant à profit ces contractions : c’est un obturateur dynamique agissant de façon intermittente (les contractions d’un voile, même insuffisantes, sont toujours utilisables pour l’appareillage en venant au contact de l’obturateur). Au contraire, lorsqu’il n’existe aucune contraction compensatrice (classe III), l’obturateur réalise une obstruction permanente : c’est un obturateur statique.

Dans le cas des fentes vélaires, il existe trois types d’obturateurs dynamiques réalisables en fonction du voile [2] :

• l’obturateur de Suersen dans le cas d’un voile divisé (classe I). Il est constitué d’une plaque palatine et d’un prolongement pharyngien formant la partie obturatrice ;

• l’obturateur de Schiltsky dans le cas d’un voile non divisé mais trop court (classe II). Il est constitué d’une plaque palatine et d’une pelote obturatrice reliées par un tuteur ;

• l’obturateur de Fröschel et Schalitdans le cas d’un voile inerte (classe III). La partie obturatrice, fixée sur la plaque palatine, remonte dans le nasopharynx et vient obturer la partie postérieure des fosses nasales avec un orifice pour permettre la communication entre celles-ci et le cavum.

Les obturateurs doivent être parfaitement adaptés aux contours de la lésion pour combler la lumière laissée libre par la contraction des muscles. Ils nécessiteront donc une empreinte dynamique du sphincter pharyngien déficient pour obtenir une image exacte du pourtour du sphincter à l’état de contraction.

La réalisation de la prothèse, obéissant aux grands principes de la prothèse complète mais tenant compte des particularités de ce cas, doit permettre d’obtenir un résultat redonnant au malade un plus grand confort, une mastication efficace ainsi qu’une élocution et une esthétique améliorées, en d’autres termes, une vie sociale plus épanouie [6].

Cas clinique

Anamnèse

Monsieur M.B., âgé de 81 ans, totalement édenté, a été opéré en octobre 2002 d’une pelvi-glosso-mandibulectomie et d’un curage cervical bilatéral et, en mars 2008, d’un carcinome épidermoïde de la commissure intermaxillaire droite. Il a en outre subi une radiothérapie postopératoire (terminée 4 mois après la deuxième intervention chirurgicale, soit 6 mois avant sa prise en charge dans le service) après la résection d’une lésion comprise entre 2 et 4 cm sans métastase ni adénopathie avec irradiation de la cavité buccale et de l’oropharynx à 49,5 Gy, sans chimiothérapie concomitante.

Il présente, sur le plan général, un diabète insulinodépendant équilibré et une hypertension artérielle traitée.

Observation clinique

Le patient présente un édentement bimaxillaire anciennement appareillé avec une insuffisance vélaire entraînant un reflux bucco-nasal, s’accompagnant de troubles de la phonation (fuite d’air) et gênant la déglutition.

Examen exobuccal

Monsieur M.B. souffre d’une limitation de l’ouverture buccale légère avec une perte partielle de la tonicité des muscles du fait de l’irradiation. Il a des difficultés pour effectuer les mimiques, ce qui fausse le jeu fonctionnel de la musculature périphérique.

Examen endobuccal

Au maxillaire, il y a une perte de substance d’étendue modérée (fig. 1 et 2) : la fente divise le voile du palais dans sa totalité, depuis la luette jusqu’au bord postérieur du palais dur. Les deux moignons de voile s’écartent pour donner naissance à une fente triangulaire à sommet antérieur avec un côté de 3 cm de long et une base de 1,7 cm : la partie centrale du palais mou reste sans soutien latéral.

Le patient a une communication bucco-nasale anormale. L’exérèse de la tumeur a entraîné la perte de l’anatomie de la tubérosité droite. Les muscles masticateurs présentent une rétraction avec tissu cicatriciel.

À la mandibule, il a été pratiqué une chirurgie interruptrice avec reconstitution par une plaque d’ostéosynthèse. La crête présente une perte de volume dans sa partie antérieure avec de nombreuses brides cicatricielles. On observe en outre des contre-dépouilles des volets linguaux. La fibro-muqueuse est ferme et adhérente.

Le patient présente une hyposialie avec une salive assez épaisse.

Conclusion de l’observation clinique

Au-delà de l’aspect de la réalisation de la prothèse bimaxillaire, les difficultés de la réalisation technique sont liées à :

• la perte de substance au niveau du voile du palais ;

• l’irradiation qui cause des risques d’ostéoradionécrose ;

• la paralysie partielle ;

• la limitation d’ouverture buccale.

Réalisation : clinique et laboratoire

Il est illusoire d’obtenir une image de la perte de substance en une seule empreinte. En effet, les contractions musculaires n’ont pas la même valeur pendant la phonation et au cours de la déglutition. En outre, la présence de l’obturateur ne doit pas gêner les mouvements de rotation de la tête. Pour toutes ces raisons, une empreinte en plusieurs temps sera préférée, ce qui permettra au patient de porter son obturateur en signalant les incommodités qu’il ressent et au praticien d’éprouver l’efficacité de l’appareil et de compléter ou de modifier son étanchéité.

Empreinte primaire

L’alginate est préféré au plâtre, celui-ci pouvant entraîner des difficultés pour retirer les excès s’il fuse dans les contre-dépouilles anatomiques. De plus, l’alginate se repartit assez bien dans les récessus et les zones rétentrices. Un alginate ferme pour augmenter le temps de prise est utilisé (c’est-à-dire légèrement appauvri en eau), malaxé avec de l’eau refroidie par des glaçons, et pour permettre la mise en bouche [7] (fig. 3).

Un porte-empreinte de prothèse complète (Cerpac®) adapté est sélectionné. Afin d’assurer la rétention de l’alginate, du sparadrap est placé dans son intrados avec adjonction de l’adhésif.

La perte de substance étant relativement limitée, elle n’est pas comblée par une compresse.

Réalisation du porte-empreinte individuel

Le porte-empreinte individuel est fabriqué en résine autopolymérisable et une extension distale recouvrant largement la perte de substance est réalisée (fig. 4).

Empreinte secondaire

Le porte-empreinte individuel est d’abord ajusté au niveau des bords pour qu’ils n’interfèrent pas sur le jeu extrême de la musculature fonctionnelle : le patient ayant du mal à les effectuer correctement, on l’aide par des tractions labiales et jugales en plus des mouvements de déglutition et des mouvements de la tête (flexions latérales et frontales).

Puis les bords sont réglés et la perte de substance est enregistrée en plusieurs étapes avec l’aide de matériau polyéther de haute viscosité (Permadyne® orange, 3M ESPE) puis de moyenne viscosité (Impregum™ F, 3M ESPE), déposé sur tous les bords. Les excès sont éliminés entre chaque étape.

Le surfaçage final est réalisé avec un produit très fluide et avec un temps de prise long, un polysulfure light (Permlastic® light, Kerr), sous pression digitale, pendant qu’on aide le patient à réaliser tous les mouvements musculaires nécessaires, les mouvements de déglutition et des exercices phonétiques demandant une contraction du voile [8].

Les empreintes sont traitées au laboratoire, de façon habituelle après un coffrage soigneux (fig. 5 6 à 7).

L’enregistrement du rapport intermaxillaire est réalisé avec des bases d’occlusion en gomme laque (true base) et des bourrelets en stents.

Essai des maquettes en cire

La cire étant un matériau déformable, l’extension palatine n’a pas été réalisée lors de cette étape. Le rapport intermaxillaire et l’esthétique sont validés.

Polymérisation

La mise en moufle et la polymérisation de la résine sont pratiquées de façon habituelle, l’extension palatine ayant été renforcée par un fil de renfort dans son épaisseur (fig. 8 et 9).

Mise en bouche

Une longue séance est consacrée à l’enseignement de l’utilisation des prothèses.

Le patient est tout particulièrement guidé à poser et déposer sa prothèse maxillaire.

Les explications les plus complètes et détaillées lui sont données pour lui éviter toute surprise : tout ce qui peut survenir doit avoir été prévu et paraître normal et logique. Les conseils d’usage concernant l’hygiène et la fonction sont longuement démontrés.

Un test de déglutition d’eau avec la tête penchée le plus possible en avant est effectué : la communication bucco-nasale semble partiellement oblitérée mais il subsiste une légère fuite entraînant un rebasage avec de la résine à prise retardée (Coe-Soft®, GC) de la balle obturatrice (fig. 10).

Des séances chez un orthophoniste sont prescrites pour que le patient retrouve une bonne élocution.

Suivi

Les équilibrations et retouches nécessaires sont réalisées, lors des rendez-vous ultérieurs, en fonction de l’intégration des prothèses et des doléances du patient.

À chaque rendez-vous, un contrôle de la perméabilité de la communication bucco-nasale par un test de déglutition est effectué jusqu’à obtention de l’oblitération complète de celle-ci avec remplacement et/ou renouvellement de la résine à prise retardée à chaque séance.

Cependant, le patient continue de se plaindre d’un manque de stabilité de la prothèse lors des mouvements (phonation). À ce sujet, son orthophoniste lui a fait remarquer que sa prothèse « est trop lourde ». Une réfection de base est alors décidée.

Empreinte tertiaire

Tout d’abord, une clé en résine Duralay® (Keliance) est réalisée pour stabiliser l’occlusion, cette dernière devant être conservée.

Un surfaçage global de la prothèse est réalisé avec un matériau très fluide du type Permadyne® bleue afin de la stabiliser en bouche.

Puis les bords sont réglés par de la Permadyne® orange et, enfin, de l’Impregum™ F pour obtenir un joint parfaitement étanche (fig. 11).

Tous les excès de Permadyne® bleue sont alors retirés dans l’intrados de la prothèse et au niveau de la perte de substance (fig. 12).

Le surfaçage final est réalisé avec un produit très fluide, à nouveau de la Permadyne® bleue, en occlusion, pendant qu’on aide le patient à réaliser tous les mouvements musculaires déjà effectués lors de l’empreinte secondaire [9] (fig. 13).

Afin d’améliorer la rétention de la prothèse, le joint postérieur est étendu tout autour de la perte de substance au maximum au niveau du palais mou (fig. 14 et 15).

Dès la nouvelle mise en bouche, la rétention semble meilleure mais il y a persistance d’une fuite bucco-nasale des liquides quand le patient baisse la tête, qui est corrigée par un ajout successif de silicone souple (GC Reline® soft et ultrasoft) de longue durée pour obtenir un joint souple s’adaptant au mieux à la physionomie statique et dynamique du patient (fig. 16 et 17).

Contrôle

À nouveau le test de déglutition est effectué sans aucune fuite cette fois, l’élocution est presque totalement rétablie.

Le patient est très satisfait : il avait décidé de ne pas assister au baptême de son petit-fils du fait des inconvénients qu’il vivait mais, grâce aux résultats obtenus, il participera à cette fête. Pour nous, il n’est pas de plus beau remerciement !

Conclusion

L’observation clinique rigoureuse a permis d’établir un plan de traitement précis, adapté aux particularités de ce cas [10].

Grâce à des moyens techniques simples, nous avons pu redonner à notre malade des capacités de mastication, des facilités d’élocution, des possibilités de déglutition et une apparence normale.

Bibliographie

  • 1. Delaire J. Anatomie et physiologie vélopharyngée : incidences sur la croissance mandibulaire. Déduction thérapeutique. Act Odonto-Stomatol 1988;162:283-308.
  • 2. Benoist M. Réhabilitation et prothèse maxillo-faciale. Paris : Julien Prélat, 1978.
  • 3. Leydier J. Obturateurs vélopalatins. Act Odonto-Stomatol 1988;162:397-405.
  • 4. Souyris F. Affections vélopalatines. Encycl Med Chir (Elsevier, Éditions techniques, Paris) Odontologie 1999;22-056-A-30.
  • 5. Giumelli B, Saade K, Le Bars P. Traitement prothétique des pertes de substance acquises des maxillaires en cancérologie. Encycl Med Chir (Elsevier, Éditions techniques, Paris) Odontologie 2000;23-393-A-10.
  • 6. Brogniez V. Réhabilitation prothétique dentaire après traitement carcinologique oral. Rev Belge Med Dent 1994;49:91-101.
  • 7. Rignon-Bret JM. Les empreintes en prothèse complète immédiate. Inform Dent 1988;16:1315-1323.
  • 8. Detrait C, Postaire M. Prothèse maxillo-faciale chez le patient totalement édenté. Cah Prothese 2002;119:17-28.
  • 9. Postaire M, Daas M, Naser B. Réfection intégrale des bases prothétiques complètes. Empreinte de réadaptation extemporanée. Clinique et laboratoire. Cah Prothese 1998;101:39-44.
  • 10. Etienne O, Taddéï C. Fente labio-maxillaire. Démarche conduisant à une restauration prothétique composite. Cah Prothese 2008;142:13-20.

Remerciements

Tous nos remerciements au laboratoire de Didier Raux pour ses réalisations prothétiques.

Évaluez-vous

1. L’étanchéité entre le pharynx buccal et le pharynx nasal est obtenue :

a. par la partie postérieure de la langue

b. par le voile

c. par la muqueuse pharyngée

2. La prothèse obturatrice est constituée :

a. d’une plaque palatine et d’une pièce obturatrice amovible

b. par un ensemble monobloc

Découvrez les bonnes réponses et la suite du questionnaire sur www.editionscdp.fr