PROTHÈSE AMOVIBLE
MCU-PH
Faculté d’odontologie
Université de Reims-Champagne-Ardenne
2, rue du Général-Koenig
51100 Reims
La réparation d’une prothèse amovible peut passer pour un acte marginal et manquant de noblesse au sein de notre exercice. Elle semble souvent problématique pour les deux protagonistes, patient et praticien : l’un souhaitant recouvrer de façon urgente une prothèse esthétique et fonctionnelle, l’autre entrevoyant d’emblée un planning de travail désorganisé.
Or, la réparation de prothèse constitue un « savoir-faire prothétique » à part entière. Le chirurgien-dentiste, éloigné d’un laboratoire de prothèse, peut tirer profit de cet acte banal pour l’image de son cabinet en mettant en évidence son savoir faire et en rendant un grand service à son patient.
Le planning du cabinet dentaire peut se trouver perturbé par l’arrivée d’une urgence, notamment lorsqu’il s’agit d’une réparation de prothèse. Grande peut être la tentation de déléguer systématiquement cet acte au laboratoire sous prétexte que « le praticien n’a pas le temps » ou que, tacitement, il ne s’en sent pas la capacité. En effet, durant la formation initiale, peu de séances sont dévolues à l’apprentissage de cet acte considéré souvent comme mineur et peu fréquent.
Or, la fracture prothétique fait partie du quotidien des motifs de consultation et elle doit être gérée au même titre que n’importe quel autre acte. Elle fait appel à une prise en charge du patient, à l’analyse d’une situation clinique, à la présentation d’un devis et ne peut donc pas être considérée à la légère.
Quelle que soit la nature des dégâts, le patient attend une solution rapide et efficace. C’est l’occasion privilégiée pour le praticien de rendre service à un patient fidèle ou de s’assurer la confiance d’un nouveau patient et d’asseoir ses compétences auprès de sa patientèle en assurant un service indispensable.
Certaines réparations peuvent être réalisées directement au cabinet dentaire, par le praticien et son assistante. D’autres plus complexes et plus étendues, nécessitent le recours au laboratoire de prothèses avec la gestion des délais que cela implique.
L’objectif de cet article est de présenter quelques techniques de réparation de prothèses amovibles réalisables au cabinet dentaire et de rationaliser l’intégration de cet acte dans l’ergonomie de l’exercice quotidien.
L’objectif de la réparation de prothèse est d’apporter une solution simple et économique. Elle doit être, autant que possible, pérenne et rapide, et ne pas priver trop longtemps le patient de sa prothèse, surtout s’il y a une incidence esthétique.
Cette réparation qui, bien entendu, doit être non pathogène, doit permettre au patient de retrouver une fonctionnalité de sa prothèse soit de façon transitoire, en attendant une nouvelle restauration, soit de façon définitive.
Différents types de réparations sont possibles en fonction du type d’endommagement prothétique. Il est essentiel de cerner rapidement la faisabilité de la réparation par le praticien, tant sur le plan technique que sur le plan de l’ergonomie.
Sur le plan technique, il faut se poser plusieurs questions. De quel type d’endommagement s’agit-il ? Quelle est son étendue ? Quelle zone de la prothèse intéresse-t-il : les dents, la base prothétique ou les deux ? De quel type de prothèse s’agit-il : prothèse à base résine ou prothèse à châssis métallique ? S’il faut remplacer une dent perdue, la possède-t-on dans le stock du cabinet ?
Sur le plan de l’ergonomie, il faut considérer la possibilité d’insérer les étapes de la réparation dans le planning de la journée sans trop perturber les séances de soins prévues, en évaluant le temps nécessaire à la réalisation des différentes étapes de la réparation (temps de prise des matériaux, aménagement des éléments prothétiques). Le patient est alors informé de ces délais et il faut lui laisser la possibilité de lire dans la salle d’attente ou de revenir plus tard.
Toutes les réparations ne sont pas réalisables au cabinet (fracture de châssis métallique, importantes pertes de substance, impossibilité d’assembler les pièces fracturées). Mais certaines peuvent tout à fait être prises en charge dans une journée d’omnipratique. Il s’agit de :
• fractures simples de la base résine ;
• fêlures ;
• réparation d’un bord ;
• réparation de 1, voire de 2 dents prothétiques fracturées ou désolidarisées de la base en résine.
Il est à noter que le patient, instruit par les soins du praticien, ne répare pas lui-même sa prothèse. Cette initiative de sa part, encouragée par certains kits de réparation vendus en boutique ou sur catalogue (avec même DVD à l’appui), relativement coûteux de surcroît, conduit le plus souvent à une instabilité et, de toute façon, à une consultation chez le chirurgien-dentiste. Ce dernier doit alors gérer les méfaits de la réparation « maison » pour retrouver des bases prothétiques saines, avec les complications techniques que cela implique et la prise en compte du temps dévolu à la réparation.
Il est nécessaire également de savoir dire au patient que la réparation n’est pas possible (fig. 1)…
Quelques principes de base permettent efficacité, simplification et fiabilité de la réparation.
Il est indispensable de comprendre pourquoi il y a eu fracture ou fêlure : chute de la prothèse, fatigue des matériaux. La fêlure ou la fracture est le plus souvent due à une instabilité de la base prothétique sur ses appuis dentaires et ostéo-muqueux ou à un défaut d’équilibre occlusal (abrasion de dents en résine, résorption osseuse). Cette analyse peut orienter l’étendue de la réparation vers une restauration prothétique globale.
La prothèse confiée par le patient est décontaminée puis nettoyée soigneusement à la brosse (voire aux ultrasons). Le protocole recommandé [1] pour les prothèses en résine est une immersion de 15 minutes en solution d’hypochlorite de sodium à 0,5 %. La décontamination au four à micro-ondes semble également très efficace. Ces prothèses sont immergées dans un récipient en verre rempli d’eau et placées 6 minutes à une puissance de 650 W dans le micro-ondes [2]. Les prothèses à base métallique peuvent être décontaminées par une solution iodophore ou un spray de glutaraldéhyde à 2 % selon le temps recommandé par le fabricant. Tous ces traitements doivent être suivis d’un rinçage prolongé.
Quant aux empreintes à l’alginate parfois utilisées dans le protocole de certaines réparations, elles sont décontaminées par pulvérisation d’un spray d’hypochlorite de sodium à 0,5 % ou de glutaraldéhyde à 2 % sur l’empreinte. Elles sont ensuite enfermées dans un sachet étanche pendant 10 minutes [2].
Il est indispensable de conserver les informations de l’intrados et de l’occlusion.
Pour toute réparation impliquant l’intrados (comme la fracture ou la fêlure d’une base), la prothèse doit être stabilisée sur une base en plâtre ou en silicone de haute viscosité pour servir de support à la réparation.
Lorsque la fracture implique un bord prothétique, le praticien doit procéder à une empreinte prothèse en place.
Une empreinte ou un moulage clé de l’antagoniste doit être envisagé quand la réparation implique des dents prothétiques. Cela permet un gain de temps appréciable lors de la réintégration de la prothèse en bouche.
À noter : la viscoélasticité des tissus de soutien sous-prothétiques doit être gérée dans un protocole d’empreinte prise prothèse en place. Il est impossible de remettre en place une prothèse amovible sur un moulage issu d’une empreinte à l’alginate prise isolément.
Une autre exigence est de pouvoir assembler les fragments de la prothèse pour stabiliser momentanément la fracture le temps d’une empreinte ou de la coulée d’un socle en vue de la réparation. Les fragments peuvent être stabilisés, par exemple, à la colle cyanoacrylate en prenant soin d’éviter les excès risquant d’atteindre les doigts de l’opérateur.
Pour réparer la base prothétique, les berges du site à réparer doivent être aménagées sous la forme d’un chanfrein long et profond de 1 à 3 mm au minimum pour permettre une bonne intégration de la résine d’apport.
La surface prothétique doit également être activée chimiquement par un nettoyage énergique avec du monomère avant l’application de la résine.
Lorsque la réparation concerne une prothèse amovible instable et devant être renouvelée, un rebasage direct en bouche peut être indiqué. Il exige un choix judicieux de la résine d’apport : mélange poudre et monomère de consistance fluide et thixotropique, ayant une exothermie de prise différée, permettant un moulage des structures d’appui (résine Unifast™III Live pink [rose veiné] ou Pink [rose], GC) (fig. 2 et 3).
Si cette étape s’intègre dans le contexte d’une mise en condition tissulaire, le rebasage peut être réalisé à l’aide d’une résine à prise retardée (Fitt® Kerr ; Tissue conditionner®, GC…).
Si la réparation comprend une phase de prise de la résine en bouche, le patient est mis en occlusion avant durcissement du matériau.
Pendant toute la phase plastique de la résine, le mouvement insertion-désinsertion est impérativement réalisé pour assurer la désinsertion finale de la prothèse et éviter de voir fuser la résine dans des contre-dépouilles.
Il est évidemment hors de question de remettre la prothèse au patient entre deux portes. L’intégration occlusale au retour de la prothèse est toujours vérifiée soigneusement, quel que soit le type de réparation et qu’elle ait été réalisée par le praticien ou le prothésiste.
Dans les cas extrêmes où le patient ne peut se déplacer (patient très âgé, dépendant, à mobilité réduite), il sera demandé à son entourage d’être attentif au moindre inconfort, quitte à envisager une intervention directement auprès du patient, si possible…
Certaines réparations ne sont réalisables que par le prothésiste (tableau 1). Il s’agit des fractures :
• multiples avec perte de substance ;
• d’armature nécessitant une soudure.
Les plus fines fêlures sont visibles par transparence. Il est nécessaire de les neutraliser dès leur détection car elles évoluent invariablement vers la fracture. Cela évite l’intervention en urgence pour une fracture complexe.
L’intrados de la prothèse est stabilisé sur une base en plâtre à prise rapide (Snow White®, Kerr) ou en silicone de haute viscosité (fig. 4).
La prothèse est désinsérée de sa base en silicone puis la fêlure est ouverte à la fraise. Un biseau large est réalisé à la périphérie pour permettre la rétention de la résine (fig. 5).
La partie biseautée est nettoyée et activée par du monomère. Après repositionnement de la prothèse sur la base silicone, la résine est déposée sur le site (fig. 6). L’ensemble est placé dans une enceinte de type « autocuiseur » ou simplement placé sous l’eau chaude (dans ce cas, la polymérisation de la résine est de moins bonne qualité : de nombreuses bulles et porosités se constituent). Les finitions consistent à retrouver l’épaisseur et l’état de surface prothétique d’origine par fraisage puis polissage.
La fracture est nette, les deux parties de la prothèse se repositionnent sans déformation et les surfaces fracturées ne sont pas polluées (le patient n’a pas tenté de réparer sa prothèse lui-même).
Les fragments sont assemblés à la colle cyanoacrylate (fig. 7) pour stabiliser et enregistrer l’intrados sur une base en plâtre ou en silicone (fig. 8). La prothèse est ensuite récupérée, le trait de fracture recollé est recassé. Les berges sont préparées (biseau, activation au monomère) (fig. 9).
Une fois les fragments repositionnés sur la base, la résine fluide est déposée sur le site fracturé puis polymérisée (fig. 10).
La perte d’un fragment nécessite une prise d’empreinte prothèse en place. L’empreinte désinsérée de la prothèse est traitée au plâtre à prise rapide. Après application d’un isolant plâtre/résine sur le moulage, la perte de substance est compensée par ajout de résine selon un protocole identique.
Pour résoudre le problème de la désolidarisation d’une dent (fig. 11 et 12), plusieurs options sont envisageables en fonction de la situation : dent en résine, en porcelaine, récupérée indemne ou bien fracturée ou encore perdue.
Pour une dent intégrée à une fonction de groupe, la réalisation d’une clé occlusale est inutile : l’équilibration de l’occlusion en bouche est plus rapide. En revanche, une clé occlusale de la dent replacée dans son logement avant préparation favorise son repositionnement (fig. 13 14 à 15).
Résine
Le siège de la dent est préparé pour ménager un volume suffisant à la résine d’apport en prenant soin de préserver la ligne vestibulaire du collet (fig. 16).
Le talon de la dent est également fraisé pour ajouter une rétention mécanique.
Porcelaine
La désolidarisation de la dent est liée à l’absence de liaison chimique et aux infiltrations survenant au cours du temps.
Les rétentions prévues sont à débarrasser des résidus de résine (fraise de faible diamètre) et la surface de porcelaine est dépolie (fig. 17).
Les surfaces sont dépolluées au monomère (fig. 18). Dent et base sont enduites de résine ayant la consistance de miel liquide (fig. 19).
La dent retrouve sa place grâce à la clé de silicone (fig. 20).
Après polymérisation et finition de surface l’occlusion est réglée soigneusement (fig. 21).
Lorsque la dent n’est pas retrouvée, une dent de teinte et de forme les mieux adaptées est à rechercher dans le stock de dents du cabinet dentaire (fig. 22).
Le site est préparé comme décrit précédemment (fig. 23). La dent est préparée pour s’adapter au site de la dent perdue (fig. 24).
Le protocole de solidarisation à la résine est identique à celui du cas décrit précédemment.
Fracture de la base, perte d’un bord et désolidarisation d’une dent
Ce cas cumule plusieurs types de dégâts subis par une prothèse : la fracture, la désolidarisation d’une dent et la perte d’un bord.
La fracture nette permet le repositionnement des deux fragments sans déformation et leur immobilisation par la colle cyanoacrylate (fig. 25 et 26) pour permettre la prise d’empreinte (fig. 27).
Le moulage qui en est issu permet de reconstituer le bord de la prothèse (fig. 28). Une restauration à la cire permet de reconstituer la zone de résine perdue et de repositionner la dent. Une clé en silicone est réalisée (fig. 29). Elle maintient la dent pendant la prise de la résine de soutien et sert de moule à la restauration du bord.
La prothèse peut être rendue au patient après réglages occlusaux (fig. 30).
Ces différentes séquences, intégrant le temps de prise des différents matériaux, sont à organiser en fonction du planning de la journée.
La réparation d’une prothèse amovible est d’un grand secours pour les patients. Réalisée en direct au cabinet dentaire, elle leur offre un gain de temps non négligeable pour retrouver fonction et esthétique.
De nombreux praticiens, éloignés de leur laboratoire de prothèses, tributaires du passage des coursiers ou des transporteurs, ne peuvent répondre aux exigences souvent compréhensibles des patients : qui ne connaît la détresse de la personne qui vient de fracturer sa prothèse un vendredi soir ou un samedi matin à la veille d’une cérémonie ou d’une fête familiale ? Pour des réparations simples comme celles présentées dans cet article, il est possible, grâce à un aménagement du planning et à une technique bien codifiée, de leur rendre ce service.
Testez vos connaissances suite à la lecture de cet article en répondant aux questions suivantes :
1. Il est conseillé au patient de réparer lui-même sa prothèse en attendant l’intervention d’un chirurgien-dentiste.
a. Vrai
b. Faux
2. Avant réparation, le protocole de décontamination recommandé pour les prothèses est :
a. une immersion de 15 minutes en solution d’hypochlorite de sodium à 0,5 %.
b. la décontamination au four à micro-ondes, immergée dans un récipient en verre, 6 minutes à 650 Watts.
c. une immersion en solution de glutaral– déhyde à 2 % pendant 30 minutes.
3. Lorsque la prothèse présente une fracture nette avec perte d’un bord, il est nécessaire de :
a. réassembler les fragments avec une colle cyanoacrylate.
b. prendre une empreinte de l’arcade du patient sans la prothèse pour la repositionner ensuite.
c. prendre une empreinte prothèse en place.
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