RÉPONSE D’EXPERT
Docteur en chirurgie dentaire Membre de la Société marocaine de parodontologie et implantologie Membre de la Société française de parodontologie et implantologie Exercice privé, Oujda (Maroc)
Nul ne peut ignorer le rôle bénéfique du fluor dans la réduction de la carie dentaire dans les sociétés industrialisées. En parallèle, la profession a pris conscience des dangers d’une supplémentation exagérée en fluorures. L’expression « bilan fluoré » a fait son chemin dans nos démarches préventives pour modérer ses apports multiples qui risquent d’aboutir à une fluorose. Aux côtés des fluoroses légères aux conséquences uniquement inesthétiques, il existe des fluoroses endémiques où le fluor devient un véritable toxique. Dyschromies et dysplasies dentaires se conjuguent pour donner lieu à des préjudices non seulement esthétiques mais également fonctionnels, parfois d’une sévérité intense.
La fluorose est due à un surdosage en fluor pendant plusieurs mois ou années (supérieur à 1,5 mg/j chez l’enfant et à 0,1 mg/kg chez le nourrisson) survenant lors de la période de minéralisation des dents, qui débute dès le troisième mois de vie in utero et se termine vers l’âge de 12 ans environ [1]. C’est entre 0 et 4 ans que l’enfant est particulièrement vulnérable aux excès de fluor. La fluorose dentaire est caractérisée par une série de défauts de l’émail associés à une hypoplasie ou à une hypominéralisation de l’émail et de la dentine.
Dans les sociétés industrialisées, l’eau du robinet est contrôlée de manière plus ou moins stricte en ce qui concerne le contenu en minéraux et en ions. Elle ne risque pas d’engendrer de fluoroses, même discrètes, s’il n’y a pas multiplication d’autres sources fluorées.
Dans des pays en développement, notamment certains pays du bassin méditerranéen, l’eau consommée est issue des forages et des sources, souvent trop riches en fluorures. Ce phénomène peut être aggravé par des résidus et des déchets industriels. On parle alors de fluorose endémique qui n’est autre chose qu’une intoxication au fluor, aux conséquences parfois gravissimes.
La fluorose se manifeste dans la très grande majorité des cas par un aspect tacheté de l’émail. Pour éviter une flurorure, il convient de s’abstenir de multiplier les apports fluorés médicamenteux ou alimentaires en respectant les recommandations de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et des sociétés savantes [2, 3]. En effet, c’est l’accumulation et la méconnaissance des sources d’apport de fluor qui sont à l’origine de la plupart des cas de fluorose dentaire.
En présence d’une forte quantité de fluorures, la structure de l’émail se trouve altérée par l’inhibition compétitive de la fixation du calcium au cours du processus de minéralisation.
Les premières manifestations de la fluorose dentaire s’expriment par l’apparition de petites taches blanches sur les dents, puis de taches jaunâtres et brunâtres. L’émail fluorotique est de mauvaise qualité, de texture irrégulière, poreuse et crayeuse, et il s’effrite dans les cas sévères. La formation même de l’émail se trouve alors perturbée et les dents ainsi (mal) formées se brisent facilement. La sévérité des atteintes est directement proportionnelle à la quantité de fluorures absorbée.
On emploie encore la classification de Dean (1942) pour les fluoroses (6 degrés de sévérité de l’aspect clinique) (fig. 1 et 2).
La classification (et ses critères) de la fluorose dentaire est la suivante :
• normalité. L’émail se présente sous la structure habituelle semi-transparente et semi-vitriforme. La surface est lisse, régulière, brillante et habituellement d’un blanc crème pâle ;
• suspicion de fluorose. On observe certaines aberrations concernant la translucidité de l’émail. Quelques rares opacités blanches diffuses peuvent s’observer ;
• très légère. Des petites portions de la dent, opaques, sont réparties irrégulièrement mais ne touchent pas plus de 25 % de la surface de la dent. On inclut fréquemment dans cette classification les dents ne montrant pas plus de 1 à 2 mm d’opacités blanches au sommet des cuspides des prémolaires et des deuxièmes molaires ;
• légère. Les opacités blanches de l’émail sont plus étendues mais n’atteignent pas 50 % de la surface de la dent ;
• modérée. Toutes les surfaces amélaires de la dent sont affectées et les surfaces sujettes aux contraintes occlusales montrent des usures. Des taches brunes, très fortement inesthétiques, sont présentes ;
• sévère. Toutes les surfaces sont touchées et l’hypoplasie est si marquée que la forme générale de la dent peut en être atteinte. Le signe diagnostique majeur de cette forme est la présence d’un émail « piqué » plus ou moins étendu, sujet aux fractures et d’aspect « corrodé ».
Un autre indice de classification est celui de Thylstrup-Fejerskov (1978) qui reconnaît 9 degrés dans la fluorose, allant d’un aspect normal de l’émail après séchage prolongé aux pertes de substance plus ou moins étendues au niveau des surfaces lisses et occlusales.
Les fluoroses endémiques résultent d’un excès d’absorption des fluorures que l’on trouve abondamment dans la croûte terrestre et qui peuvent atteindre par endroits et à la surface (eau de puits, eau de forage) des concentrations extrêmement élevées. Celles-ci peuvent avoisiner 100 à 1 000 fois les concentrations bénéfiques qui restent très faibles (aux alentours de 0,05 mg/kg/j). Pour l’OMS, la concentration optimale du fluor dans les eaux de consommation doit être inférieure à 1 mg/l. Au-delà de 1,5 mg/l, le fluor exerce des effets toxiques au niveau des dents et des os.
La fluorose dentaire ne survient que durant la période de minéralisation des dents, essentiellement entre 6 mois et 4 ans. En revanche, la fluorose osseuse peut survenir à n’importe quel âge.
L’apport des fluorures peut provenir de diverses sources.
• Le sel fluoré. Il représente le plus gros apport alimentaire de fluor. Il contient 250 mg/kg de fluorures sous forme de fluorures de potassium. Il est autorisé dans les cantines scolaires depuis 1993 mais n’est pas autorisé en France dans les préparations industrielles. Avant l’âge de 2 ans, l’enfant consomme très peu de sel. Après 2 ans, on évalue à environ 0,25 mg/j la dose moyenne de fluor absorbée par l’intermédiaire du sel fluoré lors des repas.
• L’eau du robinet. La teneur maximale autorisée dans l’eau du robinet est de 1,5 mg/l. En France, 85 % de la population vivent dans des communes où la teneur en fluor de cette eau est inférieure ou égale à 0,30 mg/l. Seuls 3 % des Français disposent d’une eau du robinet dont la teneur en fluor est supérieure ou égale à 0,7 mg/l. Il est possible de vérifier le taux local de fluor sur les brochures d’information accompagnant la facture d’eau ou en se renseignant auprès de la mairie ou de la Direction départementale des affaires sociales et sanitaires (DDASS).
• Les eaux embouteillées. Les quantités de fluor sont variables, allant de moins de 0,1 à 9 mg/l (la limite de quantité réglementaire maximale est de 5 mg/l depuis 2008). Le risque de fluorose existe par la seule consommation de certaines eaux minérales à taux de fluor élevé. L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) a fixé une valeur limite en fluor des eaux minérales ce qui permet aux nourrissons et aux enfants, si elle n’est pas atteinte, de les boire sans risque d’apparition de fluorose. Cette limite est fixée à 0,5 mg/l lorsqu’il n’y a pas de supplémentation médicamenteuse fluorée et à 0,3 mg/l s’il y a supplémentation médicamenteuse. Sur l’étiquetage de ces eaux minérales figure la mention : « Convient pour la préparation des aliments des nourrissons. »
• Les autres sources de fluor. Elles se présentent sous forme de comprimés, gouttes, dentifrices, gels et vernis fluorés. Une fois de plus, le plus important est de ne pas multiplier les apports fluorés et de procéder à un bilan fluoré en cas de doute.
Il n’existe aucun traitement de la fluorose dentaire ou osseuse. La prévention joue donc un rôle majeur. Si la consommation d’eau trop riche en fluor constitue le risque le plus fréquent de fluo-rose, d’autres sources d’intoxication sont possibles, notamment d’origine industrielle.
La prévention de la fluorose dentaire ou osseuse repose essentiellement sur le recours, dès la prime enfance, à des eaux d’alimentation à teneur en fluor conforme aux normes requises. Là où ce recours s’avère matériellement ou économiquement impossible, des techniques de défluoration de l’eau, par floculation ou absorption, peuvent être mises en œuvre.
Sur le plan thérapeutique ou, plus exactement, sur celui de la réparation des préjudices esthétiques, les traitements vont de la micro-abrasion amélaire aux recouvrements prothétiques en passant par les éclaircissements dans certaines situations.
La microabrasion amélaire ne donne des résultats satisfaisants que dans les cas peu sévères avec des atteintes superficielles. Le blanchiment, qu’il soit réalisé au fauteuil ou en ambulatoire, voire les deux ensemble, donne très souvent des résultats surprenants (fig. 3 et 4). Les techniques restauratrices peuvent corriger certaines anomalies plus ou moins limitées en étendue (fig. 5 et 6). Les prothèses constituent le traitement de choix, notamment lorsque la fluorose est sévère, avec des pertes de substance affectant l’esthétique et la fonction (fig. 7 et 8).