PRÉVENTION
MCU-PH
Membre de l’Association française de médecine
bucco-dentaire du sport (AFMBS)
Sous-section de santé publique
UFR d’odontologie
Université Victor-Segalen Bordeaux 2
16, cours de la Marne
33082 Bordeaux cedex
Les dents et les maxillaires sont très souvent sujets aux traumatismes d’origines diverses. L’activité sportive est génératrice de risques accrus de traumatismes, notamment au niveau du massif facial. À défaut de pouvoir annihiler l’ensemble des facteurs de risques, il est néanmoins possible de réduire le nombre et l’intensité des blessures par le port d’une protection intrabuccale adaptée.
L’activité sportive est l’une des principales sources de traumatismes bucco-dentaires et maxillaires. À la différence des accidents de la vie courante qui surviennent, par exemple, au domicile ou à l’école, ils peuvent être efficacement prévenus lors de la pratique d’un sport reconnu à risque, par le port d’une protection intrabuccale.
Historiquement, c’est à la boxe que nous devons la protection intrabuccale (PIB). Son utilisation par le boxeur « prize fighter », était motivée par des critères « médico-économiques » puisque le protège-bouche servait à le préserver des lésions labiales invalidantes et, donc, lui permettait de maintenir son activité sportive lucrative.
Les boxeurs ont d’abord tenté de se protéger à l’aide d’une bande de coton dissimulée sous la lèvre supérieure, puis il fallut attendre les années 1890 et l’intervention de Woolf Krause, chirurgien-dentiste londonien, pour que soit proposé un moyen de protection fondé sur des critères toujours d’actualité : absorption de l’énergie d’impact et adaptation de la protection aux structures buccales du sportif pour supprimer le risque de nuisances autogènes. Il utilisa pour cela une bande de matériau gommeux, la gutta-percha, chauffée puis placée sur le bloc incisif maxillaire. Bien que sectoriel, nous pouvons considérer ce dispositif comme le premier protège-bouche adaptable.
Quelques découvertes techniques plus tard, l’essor du caoutchouc vulcanisé permit à Philip Krause (futur patricien dentiste) de proposer une version plus aboutie que la protection sectorielle de son père Woolf, et réalisée après prise d’empreintes maxillaire et mandibulaire du sportif : la première protection sur mesure était née [1].
D’abord destinée à son usage personnel au sein de la section boxe du Victoria Boys Athletic Club, Krause équipa ensuite ses copains de club dont Ted Kid Lewis. En 1921, Lewis fut, bien involontairement, à l’origine d’un formidable coup de projecteur médiatique en faveur du protège-bouche. En effet, lors d’un combat contre Britton pour la ceinture mondiale et après le refus de Lewis d’enlever sa protection, une mémorable bataille générale opposa sur le ring les camps des deux adversaires. L’intervention de la police permit de stopper les hostilités mais la publicité apportée à cette altercation généralisa l’utilisation du protège-bouche à l’entraînement [2]. Cependant, il fallut attendre 1927 pour que le protège-bouche fasse réglementairement partie de l’équipement du boxeur et, de ce fait, soit accepté lors de combats officiels [1, 2].
Après les travaux de Woolf et de Krause, l’évolution des protège-dents s’est surtout bornée à la mise au point de matériaux, tel que le caoutchouc synthétique, ou de techniques, telle que l’inclusion de bulles d’air [3], avec comme objectifs communs l’amélioration de l’absorption et de la dissipation de l’énergie d’impact pour limiter les traumatismes dentaires.
Tout récemment, le protège-dents a évolué dans sa conception et dans son champ d’application. La première phase a été la prise en considération de l’importance de l’aspect ventilatoire. Des travaux préconisent le port d’une protection dans une position temporo-mandibulo-maxillaire compatible avec une ventilation buccale mâchoires serrées efficace [4, 5]. En effet, à partir du moment où l’activité impose un débit ventilatoire supérieur à 30 à 40 l/min, le sujet sportif passe d’une ventilation nasale à une ventilation buccale pour diminuer son effort ventilatoire [6]. Si la protection ne permet pas cette ventilation de suppléance mâchoires serrées, le sportif aura tendance à ouvrir la bouche [7] et ce geste va augmenter le risque de traumatisme sur une mandibule désolidarisée du massif facial [4, 5].
La seconde phase est consécutive à des travaux qui ont montré l’intérêt du port d’une protection pour limiter le risque de commotion cérébrale et de traumatisme du rachis cervical. Une participation des muscles de la chaîne hyoïdienne dans le maintien de la tête et du cou est actuellement proposée [5].
Ainsi, la protection intrabuccale n’est donc plus uniquement une protection des lèvres ou des dents, mais elle participe bien à la protection des structures bucco-dentaires, cranio-faciales et cervicales.
En 1999, l’American Dental Association (ADA) et l’Academy of Sport Dentistry (ASD) ont établi une liste de sports et d’activités de loisirs pour lesquels ils recommandent l’utilisation d’une protection intrabuccale bien adaptée [8]. Sont cités les arts martiaux, le base-ball, le basket-ball, la boxe, le cyclisme, le football, la gymnastique, l’haltérophilie, le handball, le hockey, la lutte, le parachutisme, le rugby, le skateboard, le ski, les sports équestres, le squash, le surf, le volley-ball et le water-polo.
En France, le port d’une protection intrabuccale est obligatoire pour la boxe et le football américain, il est conseillé pour le rugby et le basket-ball, mais les règlements ne précisent pas le type de protection à utiliser.
Le message de « prévention par la protection intrabuccale » doit s’appuyer, d’une part sur les facteurs de risque spécifiques au sport pratiqué, par exemple l’utilisation d’accessoires comme la crosse du hockeyeur sur glace [9, 10], et d’autre part sur les facteurs de prédisposition bucco-dentaires.
En effet, l’examen par le chirurgien-dentiste peut révéler un contexte bucco-dentaire susceptible de prédisposer aux traumatismes :
• la présence d’obturations coronaires volumineuses, d’atteintes parodontales, de pontiques de bridge de longue portée [11] ;
• un surplomb exagéré qui non seulement aggrave le niveau de lésions dentaires mais également augmente la fréquence des traumatismes des incisives maxillaires ainsi que le nombre de dents touchées par le traumatisme [12] ;
• le recouvrement labial, la lèvre représentant la première ligne de défense par l’absorption de l’énergie d’impact. La présence d’une lèvre étroite traduira un risque significativement augmenté de traumatisme dentaire par rapport à une lèvre volumineuse [13] ;
• le mode de ventilation. Les enfants avec une ventilation nasale présentent un risque significativement moins important de traumatisme dentaire que ceux ayant une ventilation par le nez et la bouche ou encore uniquement par la bouche [14] ;
• enfin, la présence d’un appareil d’orthodontie qui, bien que nécessaire pour éliminer certains facteurs de prédisposition bucco-dentaires, représente une source importante de traumatismes [15].
À partir de la classification de l’American Society for Testing and Materials (ASTM), deux catégories de protection intrabuccale peuvent être actuellement considérées [8] :
• type II, protection intrabuccale adaptable par formage à l’eau chaude ;
• type III, protection intrabuccale sur mesure :
– par thermoformage : sous vide, à haute température et haute pression ;
– par injection : à chaud, à température ambiante et polymérisation à chaud ;
– par pression : à température ambiante et polymérisation à chaud.
Ces protections intrabuccales sont adaptées par formage à l’eau chaude d’un matériau généralement de type copolymère de polyéthylène et d’acétate de polyvinyle (PVAC-PE) [16, 17]. Elles représentent près de 90 % des dispositifs utilisés par les sportifs [18].
Les propriétés de certains modèles peuvent être altérées par des épaisseurs insuffisantes [19]. Cependant, Ranalli et al. [18] notent une évolution de ces dispositifs par le maintien d’une épaisseur occlusale suffisante et la présence d’un espace antérieur facilitant la ventilation.
Le chirurgien-dentiste qui achète un modèle de type II pour l’adapter à son patient doit vérifier qu’il est conforme à la réglementation européenne sur les équipements de protection individuelle (EPI) par l’apposition du logo « CE ». Dans le cas contraire, il se comporterait comme un importateur de protection intrabuccale et devrait en assurer les obligations réglementaires, c’est-à-dire déclarer le dispositif et faire effectuer un examen de conformité par l’un des laboratoires notifiés.
Cette protection est réalisée après prise d’empreintes par un chirurgien-dentiste.
Deux modes de confection sont actuellement décrits :
• mode sans maquette : le thermoformage [15]
• mode avec maquette : l’injection [5, 18] et la pression [20].
Les techniques de thermoformage utilisent principalement des plaques de PVAC-PE [15].
La technique par vide d’air permet de confectionner une protection intrabuccale sur mesure monocouche. Elle présente l’intérêt d’un coût plus faible que les autres, mais deux inconvénients majeurs sont à noter : une mémoire d’élasticité importante [21] et un risque d’épaisseur incisale insuffisante en fonction du niveau d’étirement de la plaque lors de la préparation. Pour Guevara et al. [16], cette protection intrabuccale peut se montrer moins performante que certains modèles de type II.
La technique de thermoformage à haute température et haute pression a été mise au point pour pallier les inconvénients de la technique par vide d’air. Elle permet la confection de protections intrabuccales multicouches [8, 15]. L’utilisation d’une chaleur élevée et d’une pression importante va limiter le risque d’effet mémoire [15]. Les inconvénients de cette technique sont la difficulté pour maîtriser les épaisseurs et le coût.
Ces techniques nécessitent la confection d’une maquette préfigurant la protection intrabuccale (fig. 1 et 2), ce qui a pour avantage une parfaite maîtrise des critères de forme et d’épaisseur [22]. Le matériau utilisé peut être un PVAC-PE [5, 18], une résine acrylique avec ou sans adjonction d’un caoutchouc synthétique élastique [5, 20], ou encore un silicone [23]. L’inconvénient de cette technique est son coût.
La protection intrabuccale est considérée comme un équipement de protection individuelle de conception complexe destiné à protéger contre les risques intermédiaires. Elle est concernée par la directive 89/686/CEE transposée dans le droit français sous la forme du décret n° 94-689 du 5 août 1994 du ministère de l’Industrie relatif à la prévention des risques résultant de l’usage des équipements de protection individuelle pour la pratique sportive ou de loisir.
Ce décret impose le respect d’exigences essentielles qui concernent les principes de conception, l’innocuité des équipements de protection individuelle, ou encore les facteurs de confort et d’efficacité.
En adéquation avec ces éléments réglementaires, de nombreuses publications précisent les caractéristiques auxquelles doit répondre une protection intrabuccale [4, 5, 17, 19, 24, 25].
La protection intrabuccale doit :
• protéger les tissus mous (la langue, les lèvres et les joues) ;
• protéger du choc violent interarcades ;
• réduire le risque de lésion des dents antérieures maxillaires ;
• réduire le risque de commotion cérébrale ;
• réduire le risque d’atteinte cervicale.
La protection intrabuccale doit :
• occuper les espaces édentés ;
• être confortable, inodore et insipide ;
• présenter de bonnes absorption et dissipation de l’énergie d’impact ;
• présenter une bonne rétention ;
• ne pas perturber la phonation ;
• ne pas perturber la ventilation buccale mâchoires serrées.
La protection intrabuccale doit présenter une épaisseur :
• du volet vestibulaire de 3 à 4 mm ;
• du volet palatin de 1 mm ;
• du bourrelet occlusal d’au moins 2 mm.
La protection intrabuccale doit recouvrir les dents maxillaires jusqu’à la deuxième molaire.
Les limites du volet vestibulaire maxillaire doivent se terminer à 2 mm du fond du vestibule.
Les limites de la portion vestibulaire doivent être arrondies et celles de la portion palatine doivent être fines.
Le bourrelet occlusal doit permettre un engrènement des dents mandibulaires.
La protection intrabuccale doit comporter l’aménagement d’un espace libre antérieur.
Ainsi, la réalisation d’une protection intrabuccale sur mesure (de type III) nécessite :
• une prise d’empreinte des arcades maxillaire et mandibulaire qui prend en compte le fond du vestibule ;
• la détermination d’une position temporo-mandibulo-maxillaire permettant l’aménagement d’un espace libre antérieur (fig. 3 et 4) ;
• le contrôle des propriétés, ainsi que des critères de forme et d’épaisseur.
Des études fondées sur des analyses bactériologiques rapportent la contamination de protections intrabuccales par des bactéries et des Candida [2627-28]. Glass et al. [26] citent 2 cas d’affection à distance pour lesquels la protection intrabuccale serait un possible vecteur de transmission.
Au regard de ces résultats, des recommandations d’hygiène de la protection intrabuccale sont proposées : immédiatement après usage, elle doit être nettoyée avec du savon et une brosse à dents puis rincée à l’eau ou avec un bain de bouche et enfin séchée minutieusement avant d’être conservée à l’abri de la chaleur et de la lumière dans une boîte de rangement rigide, perforée et identifiée [26, 28].
Avant une nouvelle utilisation, elle doit être rincée à l’aide d’un bain de bouche de confort ou faiblement antiseptique (0,2 % de chlorhexidine) [28].
S’il n’y a pas de modification des structures bucco-dentaires, Welbury et al. [28] proposent une durée de 2 à 3 ans pour une protection intrabuccale sur mesure en matériau PVAC-PE. Cependant, des critères comme l’intensité et le mode d’utilisation par le sportif (durée de port hebdomadaire, entretien, mode de conservation) vont influencer la vitesse de dégradation de la protection et, donc, sa durée de conservation. Des études de fatigabilité sont à mener dans ce domaine.
Le port d’un appareil d’orthodontie peut prédisposer aux traumatismes bucco-dentaires [15]. La protection intrabuccale apparaît comme indiquée dans la pratique sportive des personnes appareillées. Malheureusement, celle qui est adaptée à l’état buccodentaire initial n’évoluera pas en même tant que les structures soumises au traitement d’orthodontie. Son renouvellement à court terme sera donc nécessaire. Ainsi, considérant le coût d’une protection intrabuccale sur mesure, des orthodontistes peuvent préconiser le port d’une protection adaptable (de type II), sur le principe que « ce sera toujours mieux que de ne rien porter » [29].
Afin de prolonger la durée d’adaptation de la protection intrabuccale, des auteurs ont proposé des modèles sur mesure (de type III) unimaxillaires obtenus par thermoformage et comportant un espace libre au niveau de l’intrados de la protection intrabuccale, en regard de la face vestibulaire des dents de l’arcade maxillaire [2930-31]. Cependant, l’inconvénient majeur des protections intrabuccales proposées est l’absence de recouvrement de la face vestibulaire des dents mandibulaires.
Le chirurgien-dentiste est un intervenant à part entière dans la prise en charge médicale du sportif.
Dans le cadre de la prévention des traumatismes, son intervention spécifique va permettre de dépister et traiter les facteurs de prédisposition bucco-dentaires, ainsi que de conseiller le port d’une protection intrabuccale lorsque l’activité sportive pratiquée est risquée ou lorsque des facteurs de prédisposition persistent.