ÉTHIQUE
* Chirurgien-dentiste, titulaire d’une maîtrise de philosophie et d’un master d’éthique médicale et biologique.
Refuser un patient, à qui profite le crime ?
Il y a un principe qui, je vous l’assure, n’a rien d’universel et qui est inscrit profondément dans les mentalités et dans notre système, c’est le libre choix du chirurgien-dentiste par le patient. Ce ne semble pas être une mauvaise chose en soi. L’inverse est-il vrai ? Est-on libre de choisir ses patients ? D’une certaine manière, certainement. Pour autant, peut-on refuser de soigner quelqu’un, interrompre des soins si la relation se dégrade, fermer sa porte à telle ou telle catégorie de patient ?
À ces questions, le code de déontologie apporte une réponse claire : non. Sauf exceptions. À l’article R.4127-205, il est dit que : « Hors le seul cas de force majeure, tout chirurgien-dentiste doit porter secours d’extrême urgence à un patient en danger immédiat si d’autres soins ne peuvent lui être assurés. » Les situations, en cabinet de ville, ne sont pas légion mais pourraient également inclure des cas d’extrême urgence médicale si le chirurgien-dentiste est le seul professionnel présent. À l’article R. 4127-211, on lit que : « Le chirurgien-dentiste doit soigner avec la même conscience tous ses patients, quels que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminées, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard. » Que d’obligations (bien légitimes) ! On peut cependant refuser des soins (article R.4127-232) « pour des raisons personnelles ou professionnelles, à condition : 1. de ne jamais nuire de ce fait à son patient ; 2. de s’assurer de la continuité des soins et de fournir à cet effet tous renseignements utiles » et de respecter les articles précédents.
Il me semble qu’il existe différentes situations de refus (liste non close) : les irrecevables (couleur de peau, régime d’assurance maladie particulier, revenus présumés), les valables (plateau technique inadéquat pour la demande, requête abusive, non suivi des traitements, refus de régler les honoraires) et d’autres, problématiques (ne plus prendre de nouveau patient, rendez-vous non honorés, comportement du patient difficile, handicap, vieillesse, enfants).
Hormis donc les cas qui sont manifestement hors la loi1, il est important de souligner la pédagogie qui doit accompagner le refus de soin2. Je doute que se faire fermer la porte au nez apprenne grand-chose à un patient dont le comportement est inadéquat et in fine néfaste à sa santé. Il est important de justifier, en termes simples et choisis, la raison du refus et d’assurer la continuité des soins. D’expérience, une discussion « cartes sur table », ferme mais ouverte, permet de dédramatiser la situation. Parfois même, un engagement écrit ou financier (suspensif) est propre à formaliser le contrat de soin entre patient et praticien.
Dans tous les cas3, c’est la question de la confiance (mutuelle), de l’application du traitement, de son succès et de la relation de soin qui est posée. Si vous avez exprimé un jour à un patient le fait que vous n’aviez plus confiance en lui, souvenez-vous de la prise de conscience que cette inversion des rôles a provoquée ! Si vous avez recentré une discussion sur l’objectif de succès du traitement, souvenez-vous du climat de responsabilité qui s’est instauré !
1. Inscrit dans le code de santé publique, le code de déontologie a force de loi
2. En parallèle, on peut concevoir des formes d’accès aux soins, même en libéral, pour les nouveaux patients qu’on refuse (bloquer des moments pour leur accueil, même espacés ?) ou les plus précaires (espace de consultations sans rendez-vous ou sans horaire ?).
3. Hors problèmes liés aux contraintes structurelles de l’évolution du système de santé.