RÉPONSE D’EXPERT
Exercice privé limité à l’endodontie et à la traumatologie dentaire (Rouen, 76) ; UMRS 872, Équipe 5, Physiopathologie orale moléculaire ; post-doctorant, université de Paris-Diderot ; University of Birmingham, College of Medical and Dental School, associate researcher.
Les traumatismes bucco-dentaires se traduisent très souvent par des complications endodontiques et parodontales. Chez l’enfant, où les traumatismes battent leur plein, le choix du bon médicament appliqué au bon moment est crucial.
L’hydroxyde de calcium est utilisé pour le coiffage pulpaire depuis plus de 60 ans. Il reste, au sein de la communauté scientifique, le gold standard pour les études in vitro. Néanmoins, les cliniciens préfèrent de plus en plus utiliser le mineral trioxide aggregate (ProRoot MTA®, Dentsply Maillefer, France) qui permet d’obtenir un pont dentinaire de meilleure qualité [1] et, surtout, qui adhère aux parois bordant la cavité d’exposition [2]. Avec l’hydroxyde de calcium, le pont obtenu présente des inclusions cellulaires (d’où son nom « ostéodentine »), des porosités et n’adhère pas aux parois. On note également une persistance d’une couche de tissu nécrotique à son contact. Ces insuffisances seraient à l’origine des nombreux échecs cliniques responsables de la mauvaise presse faite au coiffage pulpaire.
Une autre indication d’utilisation de ce matériau est la temporisation entre deux séances d’endodontie. Pour certains auteurs, son utilisation est nécessaire pour compléter la désinfection du canal avant son obturation définitive.
Il persiste à ce jour deux écoles en endodontie. L’une, dite scandinave, pour laquelle l’utilisation doit être systématique lorsque la dent est infectée ; l’autre, dite américaine, pour laquelle, même si une désinfection complémentaire peut être démontrée, la temporisation avec l’hydroxyde de calcium ne permet pas d’optimiser le pronostic du traitement [3].
La littérature médicale vient en abondance étayer les arguments des deux camps, et bien malin est celui qui peut prétendre détenir la vérité…
Force est de constater, comme dans beaucoup d’autres situations en endodontie, que les mécanismes d’action de ce matériau ne sont toujours pas expliqués. Seules les propriétés antibactériennes fondées sur la forte basicité du matériau sont mises en avant. Cette conception est probablement trop limitatitve. Par exemple, l’action de déminéralisation de la dentine par l’hydroxyde de calcium (entre autres) a récemment été démontrée par le laboratoire du professeur Anthony Smith à Birmingham dans lequel j’ai eu la chance de travailler pendant 2 années. Cette action de déminéralisation a comme avantage de permettre le relargage de protéines non collagéniques de la dentine, initialement enfermées dans la matrice au cours de la minéralisation. Parmi celles-ci, le facteur de croissance TGF-–1, connu entre autres pour ses propriétés anti-inflammatoires, est largement libéré.
À partir de ces résultats, on s’interroge depuis quelques années sur l’opportunité de l’utilisation de ce médicament, non pas comme seul produit désinfectant mais bien comme matériau ayant une action biologique, notamment sur la lésion apicale inflammatoire. Ces interrogations viennent d’être confortées par une publication récente dans le Journal of Endodontics dans laquelle les auteurs mettent en évidence une expression différentielle de marqueurs (les métalloprotéinases matricielles notamment) dans les lésions associées à des dents traitées avec ce matériau ou non [4].
En biologie, il n’y a rien de magique… Les propriétés recherchées pour un matériau en endodontie sont, primo, une bonne étanchéité, secundo, une bonne tolérance par les tissus avec lesquels il est amené à être en contact direct et, tertio, idéalement, une activité biologique propre. Initialement mis au point comme matériau d’obturation apicale en chirurgie, le MTA a été particulièrement plébiscité pour son aptitude à l’étanchéité, même en cas de contamination modérée par le sang.
De façon assez empirique, il a ensuite été utilisé dans des situations cliniques pour lesquelles aucune solution satisfaisante n’existait, notamment le coiffage pulpaire (fig. 1 à 3) et le traitement des perforations.
Ces indications ont principalement exploité la bonne étanchéité du matériau même en couche mince et son excellente tolérance biologique par les cellules osseuses, pulpaires et conjonctives. Néanmoins, il a probablement d’autres propriétés intrinsèques inconnues et trop peu recherchées. La compréhension du comportement de ces matériaux permettrait probablement de définir de nouvelles indications d’utilisation.
Récemment, Tomson et al. [5] ont montré que le ProRoot MTA®, en contact avec de la dentine, permettait, comme l’hydroxyde de calcium mais avec une « meilleure rentabilité », de libérer des facteurs de croissance et d’autres cytokines. De façon très intéressante, ils montraient également que le relargage était quantitativement différent avec le MTA gris et le MTA blanc, produits présentés comme étant strictement identiques.
Le traitement d’apexification au MTA permet de soigner une dent immature avec un apex ouvert, voire même un apex en tromblon, en 2 séances. Cette approche est quand même beaucoup plus simple que la réalisation des traitements par renouvellement d’hydroxyde de calcium jusqu’à obtenir une barrière apicale.
L’objectif de cette procédure est de venir créer un bouchon apical en déposant le matériau directement dans le tiers apical de la racine avec un embout adapté (embout rectiligne du Messing Gun, Produits Dentaires SA, Suisse). Pour une description plus précise de la technique, je vous invite à consulter le chapitre consacré à ce type de traitement dans l’ouvrage sur le retraitement que nous avons cosigné avec le Dr Pertot [6].
Cette approche thérapeutique donne de très bons résultats [7]. Néanmoins, l’amélioration de la technique de revascularisation canalaire devrait, dans un avenir proche, apporter une solution encore meilleure pour le traitement de ce type de dents.
La tolérance du matériau par les tissus périapicaux est très bonne. Néanmoins, si on connaît cette très bonne tolérance avec les tissus sains, on ignore tout sur les effets d’un dépassement de matériau dans une lésion apicale ou kystique. Rien n’a été publié à ce sujet.
Il convient également de définir la notion de dépassement. Sur une dent immature, qui ne présente par définition aucune constriction apicale, le dépassement est probablement systématique…
La revascularisation canalaire consiste à induire la formation d’un nouveau tissu conjonctif dans le canal d’une dent nécrosée. La dent est préalablement désinfectée par une application topique d’antibiotiques dans le canal. Au cours de la seconde séance, un saignement est provoqué dans le canal en faisant délibérément dépasser une lime au-delà de l’apex de la dent. Le caillot formé, la cavité coronaire est obturée avec du MTA recouvert d’une obturation conventionnelle (pour plus de détails, voir Clinic, juin 2010). C’est une véritable approche d’ingénierie tissulaire en endodontie qui donne une bonne idée de ce que sera notre discipline de demain. De plus en plus de chercheurs s’intéressent à la biologie pulpaire et à l’ingénierie tissulaire. Quand j’ai commencé à m’y intéresser il y a 8 ans maintenant, peu de cliniciens se sentaient concernés. Aujourd’hui, dans les congrès sur cette thématique, de plus en plus de praticiens viennent nous rejoindre. La majorité d’entre eux sont intrigués mais, très rapidement, ils comprennent l’intérêt de la chose.
À ce titre, je vous invite à assister au prochain congrès du Pulp Biology Research Group, groupe de recherche de l’International Association of Dental Research (IADR), qui se déroulera à Genève du 18 au 20 juillet prochain (http ://www.geneva-2010.de). Pour la première fois, une approche translationnelle entre recherche fondamentale et approche clinique fera partie du programme, démontrant clairement le passage possible des éprouvettes aux instruments !
Même si tout cela est très excitant, il faut apprendre à avancer avec mesure et discernement.
Aujourd’hui, nous avons encore beaucoup à apprendre sur les processus biologiques impliqués car peu de choses sont connues. La biologie est peu tolérante. Elle ne nous permettra pas les erreurs que l’on a pu commettre avec l’empirisme de notre approche très mécaniste notamment en endodontie.
La prise en charge des dents expulsées présente plusieurs difficultés, à la fois endodontiques, parodontales, orthodontiques, etc. Tant que nous n’en savons pas plus sur le processus de cicatrisation et, surtout, sur la façon de le maîtriser parfaitement, je ne pense pas que les dents expulsées soient les meilleures candidates à la revascularisation.
Sachons être patients et, surtout, apprenons à être raisonnables et ne pas faire n’importe quoi sur nos patients dans le seul but de faire du sensationnel !