INTERVIEW
Installé depuis 33 ans dans un cabinet d’omnipratique à Verrières-le-Buisson (91), Dominique Berger, qui est aussi expert à l’Institut médico-légal de Paris, a participé à la mission d’identification des 32 victimes françaises du tremblement de terre en Haïti. Cinq ans auparavant, il était en Thaïlande pour le tsunami. Deux missions vécues très différemment.
Quelques jours après le tsunami, j’ai rédigé avec le président de l’AFIO*, Claude Laborier, un communiqué indigné adressé à l’AFP. Nous avions constaté qu’un seul chirurgien-dentiste avait été envoyé en Thaïlande malgré le nombre important de victimes. Tout est ensuite allé très vite. Le service de santé des armées m’a proposé de partir deux jours plus tard. Le temps d’annuler mes rendez-vous, je me suis envolé, accompagné d’un jeune chirurgien-dentiste des armées. Cinq ans après, en janvier dernier, l’armée m’a rappelé pour partir en Haïti.
Les conditions n’étaient pas du tout les mêmes. À Phuket, c’était l’horreur mais nous avions la chance de loger à l’hôtel dans une chambre avec douche et de sortir pour nous détendre, d’aller au restaurant…
Oui, quand on a connu les conditions très difficiles de Haïti. Quinze jours dans ce pays ont été beaucoup plus durs que trois semaines en Thaïlande ! En Haïti, nous n’avions rien qu’une ration de combat chaque jour, de l’eau et une tente à côté de 900 personnes qui vivaient comme nous dans le jardin de l’ambassade en ruine. L’insécurité régnait, le sol continuait de trembler, des coups de feu retentissaient dans la nuit. On nous avait doté de gilets pare-balles ! Le contexte à la fois dramatique et dangereux a rendu notre tâche éprouvante.
En Thaïlande, les interventions étaient très structurées avec les équipes médico-légales issues de 35 pays. Nous étions tous dans la salle d’autopsie où l’on nous apportait les corps. Il a fallu se mettre d’accord sur des méthodes car chacun avait des habitudes différentes.
Les Allemands coupent les mains pour prélever les empreintes dactyloscopiques, les Français déposent les maxillaires… Il a fallu faire des compromis. Chaque jour, nous faisions évoluer les protocoles.
En Haïti, nous étions la seule équipe médico-légale. La seule autre structure était privée et avait une façon très mercantile de s’occuper des victimes. Il s’agissait pour elle de rendre les corps présentables aux familles…
Mais surtout, en Haïti, nous étions sur le terrain aux côtés des sauveteurs pour identifier les 32 victimes françaises localisées dans l’immeuble de l’ONU, à l’hôtel Montana, et dans quelques autres lieux précis.
La pression sur nous était très forte car les familles étaient aussi présentes… Dès qu’une victime était dégagée des décombres, nous faisions une première reconnaissance visuelle. Si les éléments concordaient (date de naissance, bijoux, prothèses dentaires, vêtements…), nous emmenions le corps à l’ambassade pour une analyse plus approfondie. Au début dans une pièce encore debout, puis à ciel ouvert dans la cour de l’ambassade à cause des risques d’effondrement.
Nous travaillons toujours en deux équipes. La police technique scientifique basée à Écully constitue la cellule « ante mortem » qui collecte toutes les données sur chaque personne à identifier auprès de son chirurgien-dentiste et de sa famille. Cette cellule nous transmet les dossiers dentaires et les radios.
Sur place, l’équipe d’identification « post mortem » se compose en principe de deux chirurgiens-dentistes et deux médecins légistes. En tant que chirurgiens-dentistes, nous essayons toujours de travailler en binôme : l’un, « mains propres », observe, écrit et lit les documents à sa disposition ; le second, « mains sales », effectue la dépose des maxillaires et décrit ce qu’il voit. Nous alternons les rôles car l’un de nous deux peut ne pas avoir tout remarqué.
Je suis devenu militaire récemment ! Pour l’accident du Concorde en 2000, je suis intervenu en tant que chirurgien-dentiste civil, expert en identification. À l’époque, 112 des 113 victimes ont été identifiées par des chirurgiens-dentistes. Quand je suis parti pour le tsunami, l’armée m’a intégré dans la réserve opérationnelle en tant qu’expert civil et m’a donné un grade militaire correspondant à mes compétences. Aujourd’hui, je suis colonel, chirurgien-dentiste en chef.
Il faut laisser le temps au temps pour récupérer psychologiquement. C’est dur… Les souvenirs restent très présents. Après le « crash » du Concorde, des cellules psychologiques ont été mises en place pour la gendarmerie. Le personnel médical en bénéficie depuis le tsunami. Ça aide !
Oui. Il faut faire ce travail qui est très important pour les familles. Sinon, elles restent dans le doute et juridiquement, tout est bloqué, la succession, les comptes, un éventuel remariage…
À 63 ans, j’ai encore de la marge. L’âge limite d’exercice d’un expert est de 70 ans !
*AFIO : Association française d’identification odontologique
Dès la fin de ses études de chirurgie dentaire, Dominique Berger se forme en criminalistique. Il devient expert auprès de la cour d’appel de Paris, orienté vers l’identification. « Je voulais participer à l’arrestation des criminels. La meilleure façon est d’identifier la victime car dans 80 % des cas, le responsable du crime se trouve dans son entourage », confie-t-il. Une quinzaine d’experts sont ainsi spécialisés en identification en France, dont trois en Île-de-France. Pendant sa période d’astreinte, une semaine sur trois, Dominique Berger peut être appelé pour déterminer l’identité d’une personne décédée. Depuis que les empreintes génétiques sont mises en avant, le nombre des missions a tendance à diminuer. Mais l’expertise du chirurgien-dentiste reste incontournable quand les corps sont carbonisés ou en très mauvais état.