ODONTOLOGIE LÉGALE
Chirurgien-dentiste
Professeur honoraire
Faculté de chirurgie dentaire,
université Paris Descartes
Expert honoraire près la cour d’appel de Paris
Université Paris Descartes,
Faculté de chirurgie dentaire,
1, rue Maurice-Arnoux,
92120 Montrouge.
Dès la consultation « en urgence », la gestion des traumatismes dentaires présente un volet médico-légal qui entre dans les obligations du praticien et implique sa responsabilité professionnelle. Les lésions doivent être constatées dans le certificat initial qui les décrit avec précision. Les traitements seront ensuite gérés et enregistrés dans de nouveaux certificats jusqu’à la date de « consolidation » qui sera déterminée par la fin des traitements actifs et la stabilisation de l’état du patient.
Les traumatismes et leurs séquelles vont très souvent intéresser une longue période qui peut être comprise entre 10 ans chez un adulte et près de 30 ans pour un enfant accidenté à l’âge de 2 ans.
La responsabilité professionnelle couvrira une longue période avec une obligation des moyens mis en œuvre, de constitution du dossier du patient, de sa mise à jour permanente et de la conservation des documents médicaux.
Tous les traitements dont aura bénéficié l’accidenté doivent pouvoir être suivis ou reconstitués dans le dossier dont il aura besoin pour des raisons diverses mais toujours en rapport avec des préjudices, des réparations et des indemnisations escomptées et qui ne seront estimés qu’au moment de la consolidation (fig. 1 à 10).
Ces obligations médico-légales doivent donc être gérées, par chaque praticien concerné, de façon concomitante avec les traitements d’urgence, de transition ou de restauration permanente.
C’est un sujet auquel il est préférable de penser dès la première consultation, dans le contexte évolutif des mises en cause des responsabilités du praticien.
Dès la première consultation, qui n’a pas toujours lieu le jour de l’accident, le praticien est informé de la situation accidentelle par le patient ou son entourage et il est alors concerné, au-delà du dossier médical, par le dossier administratif. L’ensemble des deux constitue le dossier médico-légal dont le contenu relève en grande partie de sa responsabilité professionnelle.
La démarche initiale se déroule en huit points précis.
Les cinq premiers constituent l’élaboration du dossier médical initial :
• analyse de la forme clinique et démarche diagnostique :
– entretien avec le patient et son entourage,
– examen clinique,
– examen radiographique ;
• conception d’un plan de traitement ;
• prévision d’évolution, pronostic escompté avec les traitements appropriés ;
• mise en œuvre des soins d’urgence indiqués et leur suivi à court et moyen termes ;
• organisation d’un suivi thérapeutique à plus ou moins long terme en fonction de l’âge du patient.
Les trois suivants sont du domaine réglementaire et médico-légal :
• rédaction du « certificat initial descriptif » ;
• information de la victime et de ses parents si la victime est mineure ;
• obtention de son/leur « consentement » avec expression de sa/leur liberté de choix au moins pour le traitement immédiat (loi du 4 mars 2002, article du Code de la santé publique) et partage informatif de la réflexion sur les traitements à prévoir jusqu’à l’établissement de la denture adulte de l’accidenté, leur modularité en fonction des complications possibles mais aussi en rapport avec les progrès de l’art dentaire.
Sans dramatiser la situation, l’information bien conduite permet la responsabilisation de l’entourage du jeune patient dans le suivi indispensable de son cas.
Ce ne sont que des points qui sont habituels et qu’il semble superflu de rappeler. Cependant, ces éléments constitueront pour toute la durée du temps médico-légal, de l’accident à la consolidation, les pièces essentielles qui pourront témoigner de l’état initial du patient et qui resteront la référence unique, surtout chez l’enfant et l’adolescent, de l’état de la victime avant l’accident, qualifié sur le plan médico-légal d’état antérieur.
C’est une pièce maîtresse du dossier de l’accidenté à laquelle il sera toujours fait référence dans l’appréciation de l’avancée des traitements, de la survenue d’éventuelles complications et, au final, du constat des séquelles en rapport direct et certain avec l’accident au moment de la consolidation.
Le bilan clinique s’établira par comparaison de l’état initial avec l’état constaté au moment de la consolidation.
Le certificat initial est établi sur papier à en tête. Il mentionne :
• la date de la consultation et celle de l’accident (parfois différente) sans précisions sur les circonstances dont le praticien n’a pas été le témoin ;
• la description complète du contexte et des lésions, sans oubli des dents voisines ou antagonistes, de leur parodonte, des téguments, des articulations temporo-mandibulaires, etc. ;
• le compte rendu de l’examen clinique et radiographique ;
• le compte rendu opératoire des soins dispensés en urgence.
Il comporte, surtout chez l’enfant et l’adolescent, des mentions sur :
• les réserves concernant l’avenir et les complications possibles ;
• les difficultés à prévoir (orthopédie dento-faciale/prothèse) ;
• l’obligation de suivi clinique et radiographique durant toute la croissance, avec une périodicité minimale établie en fonction du cas clinique ;
• la prévision de restaurations prothétiques (transitoires et permanentes) ;
• l’éventuelle perte de la (ou des) dent(s) concernée(s) et son (leur) remplacement.
En aucun cas, dans ce certificat initial, il ne sera mentionné :
• d’évaluation de préjudices ;
• de date de consolidation ;
• de devis.
Voici des exemples de quelques phrases clés pour le dossier d’un enfant ou d’un adolescent :
• un suivi clinique et radiographique régulier devra être assuré jusqu’à l’établissement de la denture adulte stable vers l’âge de 18 ans ;
• toutes les réserves d’usage doivent être formulées concernant le devenir pulpaire et radiculaire de la (des) dent(s) traumatisée(s) et de ses (leurs) voisines pour lesquelles toute complication serait l’objet d’une aggravation de l’état ;
• une attention particulière devra être respectée lors du traitement d’orthodontie dont pourrait devoir bénéficier l’accidenté ;
• la restauration transitoire fonctionnelle et esthétique sera renouvelée régulièrement et devra être remplacée par une restauration prothétique d’usage à l’âge adulte.
Les devis, souvent demandés par les assureurs dès la déclaration d’accident, seront éventuellement proposés, s’ils sont justifiés, uniquement en ce qui concerne les prothèses provisoires ou de transition. Ils seront rédigés sur une feuille à part, indépendante du certificat initial.
Les prothèses d’usage à l’âge adulte qui seraient envisagées ne feront jamais, à ce moment, l’objet d’un devis estimatif en termes de coût comme d’évaluation technique afin de ne pas obérer l’avenir, surtout dans les cas complexes.
Ce certificat, comme tout autre certificat, engagera la responsabilité du signataire.
La démarche diagnostique et le plan de traitement à court et moyen termes s’accompagneront d’une démarche pronostique envisageant un aboutissement thérapeutique par une restauration prothétique adaptée en fonction de l’âge de l’intéressé.
À ce stade, c’est l’information du patient et de ses parents qui doit être parfaitement conduite afin que le suivi clinique et thérapeutique soit observé, quelles que soient :
• l’évolution des lésions en rapport avec la croissance et le développement ;
• l’apparition de complications obligeant à des adaptations des plans de traitement envisagés ;
• les circonstances de changement de lieu d’habitation, de praticien, de contexte familial ou personnel, etc.
Dans tous les cas, chez l’enfant et l’adolescent, la démarche globale initiale devra être remise en cause régulièrement et les points précédemment évoqués remis en question. Rediscutés, ils feront l’objet d’une nouvelle information du patient et de ses parents.
Cette information doit être bien comprise des patients et des parents afin d’éviter toute défaillance de leur part. Il est souvent indiqué de la consigner par écrit (lettre à un correspondant ou à un autre praticien traitant, certificat, etc.).
Des certificats médicaux intermédiaires seront rédigés régulièrement pour indiquer l’évolution de la situation clinique et ses conséquences thérapeutiques. Ces certificats seront souvent sollicités par les assureurs qui diligenteront, dans les cas les plus complexes, des examens de contrôle réguliers par leurs experts.
Ils seront les liens indispensables dans les cas très fréquents de changement de praticien pour des raisons diverses. Ils feront partie du dossier médico-légal qui suivra l’accidenté de l’urgence à la consolidation.
Toute lésion traumatique aboutit rarement à une « guérison », qui signerait un retour à l’état initial, mais pratiquement toujours à une « consolidation », qui permet d’évaluer l’état séquellaire résiduel.
La date de consolidation apparaît comme le moment où l’état du blessé cesse d’évoluer et correspond le plus souvent à l’arrêt des traitements.
C’est à partir de cette date que peuvent être évalués les préjudices définitifs dont pourra faire état le patient :
• incapacité permanente partielle ;
• incapacité temporaire de travail ou, pour les jeunes, interruption de scolarité ;
• préjudices de la douleur ;
• préjudice d’agrément ;
• préjudice juvénile ;
• perte de chance.
Le certificat final descriptif, qui peut être dénommé aussi certificat de guérison ou certificat de consolidation, est simple et intervient à la fin des traitements actifs.
Il peut être rédigé par :
• le praticien traitant, seulement dans les cas les plus bénins, avec les réserves d’usage ;
• un praticien spécialisé dans le cadre d’une expertise d’assurance, d’une expertise amiable contradictoire en fonction des instances auxquelles il sera destiné ;
• un expert judiciaire.
Il comporte, succinctement :
• le rappel des faits ;
• le rappel du certificat initial (s’il existe) ;
• le rappel des traitements entrepris.
Il décrit :
• l’état de santé stabilisé à la fin des traitements ;
• les lésions résiduelles constatées (séquelles).
Il envisage :
• l’évolution possible (stabilisation, amélioration ou aggravation…) ;
• des propositions de traitements encore à faire ;
• les préjudices éventuels accompagnés (ou non) de leur évaluation (proposition) en fonction de leur destination.
Il ne comporte (en principe) pas de devis chiffré.
Il ne doit pas être rédigé à la demande des assurances s’il ne répond pas à la définition établie.
Il engage la responsabilité du signataire (comme tout autre certificat).
La responsabilité des praticiens est permanente, comme dans tout exercice soumis au Code de la santé publique, en ce qui concerne leurs devoirs généraux et leurs devoirs envers les malades : humanité, obligation permanente des moyens mis en œuvre, qualité des soins conformes aux données avérées de la science et délivrés suivant les règles de l’art, etc.
En traumatologie, l’information du patient et de ses parents est primordiale afin qu’ils acceptent le contrat de soins proposé et qu’ils participent pendant un temps souvent long au suivi clinique et thérapeutique du cas présenté par leur enfant.
Le contexte sera parfois perturbé par les évolutions familiales des intéressés, par les complications cliniques qui peuvent survenir et par des changements de praticiens.
La responsabilité du praticien dans le temps est soumise aux principes généraux du droit commun.
Avant le 4 mars 2002, elle était de 30 ans, étendue pour les enfants et les adolescents à 30 ans à partir de la majorité (art. 2262 du Code civil).
Depuis la loi du 4 mars 2002 (loi Kouchner), la prescription en matière de responsabilité médicale est de 10 ans à compter de la consolidation du dommage (art. L. 142-28).
Nous remarquerons que la responsabilité civile peut être engagée pendant 25 ou 30 ans pour un enfant ayant subi un traumatisme à l’âge de 3 ans, en fonction de la date de consolidation qui aura été déterminée.
Nous remarquerons, de plus, que cette consolidation pourra toujours être remise en question et donc, le dossier médico-légal être de nouveau ouvert.
Nous insisterons sur deux points spécifiques que sont la constitution du dossier du patient et la conservation des éléments qu’il contient.
L’importance du dossier médical dépasse largement l’intérêt purement clinique ou même théorique :
• c’est la « clé médico-légale » qui gouverne la consignation de toutes les données diagnostiques, pronostiques, cliniques et thérapeutiques dès le constat initial ;
• c’est la « mémoire médico-légale » dans laquelle seront enregistrés tous les événements survenus lors des traitements, simples, complexes ou compliqués, jusqu’à la situation terminale permettant de conclure à une consolidation. Cette mémoire sera très étendue dans le temps chez les accidentés très jeunes, les résultats permanents et les restaurations d’usage ne pouvant être appréciés qu’à la fin de la croissance, en denture adulte stable ;
• c’est la référence médico-légale incontournable qui sera utilisée par les experts, les assurances ou les juges pour évaluer les incapacités, les infirmités et les préjudices résiduels.
La constitution et la bonne tenue du dossier médical sont indiscutablement de la responsabilité des praticiens.
De part et d’autre des victimes, de leurs parents et de leurs assurances, figureront éventuellement, en amont, les « tiers responsables » de l’accident et leur assureur, mais ensuite, jusqu’à la réparation, tous les praticiens responsables des traitements qu’ils auront mis en œuvre.
C’est un aspect que le praticien ne doit pas perdre de vue dans son rôle d’information et de conseil auprès de l’entourage des jeunes accidentés.
Les parents sont les premiers concernés par la conservation du dossier médico-légal de leur enfant :
• déclaration d’accident ;
• correspondances avec les assureurs ;
• correspondances avec les professionnels de santé ;
• certificats médicaux ;
• devis et relevés d’honoraires ;
• dossier médical complet.
Le dossier médical et les pièces qui s’y rapportent, en particulier celles d’imagerie (radiographies et photographies), devront être impérativement conservés pour une durée variable en fonction du cas et de l’âge de l’accidenté.
Comme nous l’avons déjà dit, cette durée s’étendra jusqu’à au moins 10 années après la consolidation des lésions, ce qui peut, pour un enfant de 3 ans, atteindre près de 30 ans dans certains cas !
Les praticiens concernés ont l’obligation de conserver le dossier du patient et de le leur délivrer s’ils le sollicitent : « Toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé détenues par les professionnels et établissements de santé, qui sont formalisés et ont contribué à l’élaboration et au suivi du diagnostic et du traitement […] » (loi du 4 mars 2002, art. L. 111-7).
L’absence de dossier médical exploitable ou l’impossibilité de le communiquer est toujours considérée comme une faute professionnelle. Elle a des conséquences importantes sur les conclusions d’un rapport d’expertise : « La perte du dossier médical par un professionnel de santé a pour effet de faire perdre au patient une chance de gagner son procès […]. L’évaluation de la “perte de chance” est en rapport avec le degré d’importance des pièces perdues » (arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 17 avril 2001).
Par conséquent, les praticiens ont l’obligation de remettre l’ensemble du dossier médical au patient qui en fait la demande.
Il est impératif de conserver les doubles des éléments médicaux :
• fiches cliniques ;
• imagerie (photographies, radiographies, scanner, etc.), modèles… ;
• certificats délivrés ;
• correspondances.
Il est toujours recommandé de faire signer un reçu détaillé des pièces remises.
Les moyens actuels permettent de dupliquer et de stoker facilement ces éléments sur des supports informatiques tout en connaissant leurs limites, souvent remises en cause. Il faut savoir que : « Le risque de pertes de données est un caractère courant et inhérent à tout système informatique. Il ne peut être opposé à l’obligation de conservation des documents dans les conditions fixées par la loi » (cour d’appel d’Aix-en-Provence du 20 décembre 2007).
Si le praticien est lié par un contrat de soins qui se forme dès lors qu’il y a accord de volontés entre le patient qui vient se faire soigner et lui qui accepte de réaliser la prestation qui lui est demandée, le patient est aussi lié par ce même contrat qui est fondé sur une réciprocité indispensable.
Il s’agit généralement d’un contrat tacite et oral, bien que les dispositions réglementaires obligent à le finaliser par un consentement si possible écrit et un devis précis signé du patient.
En traumatologie, les patients et/ou leurs parents doivent observer un certain nombre de règles attachées à ce contrat de soins. Sur le plan médical, ils ont l’obligation :
• de répondre avec véracité aux questions posées lors de l’entretien clinique ainsi qu’au questionnaire médical ;
• de respecter le calendrier des séquences de soins prévues ;
• d’observer les prescriptions délivrées ;
• de respecter les règles d’hygiène édictées ;
• d’assurer, suivant l’information délivrée, le parfait suivi clinique recommandé et conclu d’un commun accord, avec la périodicité convenue ;
• de ne pas rompre unilatéralement le contrat de soins sans en informer leur praticien.
Nous avons vu qu’ils étaient aussi largement concernés par la constitution du dossier médico-légal à la conservation duquel ils doivent aussi participer.
Toute négligence avérée sur ces points précis engagerait leur responsabilité en déchargeant d’autant celle des praticiens concernés dans la mesure où ces derniers auraient fait preuve de diligence et pris toutes les mesures de précaution nécessaires.
En matière de traumatologie, les obligations médico-légales sont permanentes.
En dehors des cas simples qui seront consolidés rapidement, on observe des complications qui apparaîtront a posteriori, au décours d’un traitement d’orthodontie dento-faciale par exemple, sans qu’il soit possible de reconstituer un dossier acceptable.
Certaines pathologies d’origine traumatique aboutissent parfois à des lésions invalidantes et irréversibles qui vont évoluer, chez l’enfant, durant toute la croissance, influer sur les traitements mis en œuvre (soins, orthodontie dento-faciale, chirurgie implantaire, prothèses) et persister tout au long de la vie.
La généralisation des protections juridiques, des recherches de responsabilité et des démarches dans le but d’indemnisation d’un préjudice met en œuvre très rapidement les processus médico-légaux dans lesquels les praticiens sont impliqués dès la consultation d’urgence, d’abord par la constitution du dossier médical puis par tous les traitements qui seront appliqués jusqu’à la date de consolidation.
La prévention des litiges et des mises en cause de nos responsabilités passe par une bonne information de nos obligations médicales, déontologiques et administratives. Elles doivent être strictement respectées tout au long des épisodes thérapeutiques qui jalonnent les années de croissance et de transition depuis l’accident jusqu’à la date de consolidation et la pose de la prothèse d’usage en denture adulte.
En ce qui concerne la traumatologie, les obligations médico-légales sont permanentes. C’est un sujet auquel il est préférable de penser dès la première consultation, dans le contexte évolutif des mises en cause de responsabilités qui ne peuvent plus être négligées.