Clinic n° 06 du 01/06/2010

 

RÉPONSE D’EXPERT

Michel LE GALL  

Maître de conférences
des Universités
Responsable du Département
d’orthopédie dento-faciale à la
faculté d’odontologie de Marseille

Qu’il s’agisse de consultations tardives ou de récidives de traitements orthodontiques, nous voyons tous les jours des patients qui nous expriment leurs doléances sur les « chevauchements » de leurs dents antérieures. Pour les faibles manques d’espace, le remodelage des faces proximales des dents, ou stripping des Anglo-Saxons, peut dispenser d’un traitement plus lourd avec ou sans extraction. Mais, est-il aussi séduisant qu’il en a l’air ? Est-il sûr et sans danger ? En plus du « pourquoi », nous avons voulu savoir « comment » !

Qu’est ce que le stripping ?

Encore appelé remodelage amélaire interproximal, le stripping correspond à une réduction du diamètre mésio-distal des unités dentaires. C’est donc une réduction des surfaces proximales des dents réalisée dans l’épaisseur de l’émail par action manuelle ou mécanique.

Ce procédé thérapeutique provoque une diminution de l’espace nécessaire et, de ce fait, un gain d’espace au niveau de l’arcade dentaire.

Cette intervention est indolore car située dans un tissu non innervé.

Quelles sont les grandes indications du stripping chez l’adulte ?

On décrit :

• le gain de place dans les situations de dysharmonie dento-maxillaire (DDM) qui n’excèdent pas 4 à 5 mm ;

• la dysharmonie dento-dentaire (DDD). Certaines dents ou groupe de dents peuvent présenter des dissymétries de volume, voire de forme ;

• l’équilibration du volume dentaire, au maxillaire après extraction ou absence d’une incisive inférieure, à la mandibule lors d’une vestibulo-version incisive ;

• la diminution des espaces interdentaires inesthétiques (triangle noir) apparus après migration du parodonte marginal.

Quels sont les avantages du stripping ?

La sculpture amélaire évite l’acte d’extraction et ses conséquences. On peut envisager de 4 à 6 mm de gain au niveau d’une arcade. Tout encombrement plus important relèverait d’une thérapeutique fondée sur des extractions de prémolaires.

Le stripping permet en outre :

• une économie de tissu dentaire. L’extraction de 2 prémolaires entraîne une perte de volume dentaire d’environ 15 mm, nécessaire dans les cas d’encombrement sévère. Dans le cas d’extraction de 1 incisive mandibulaire, la sculpture amélaire interproximale peut devenir une solution de remplacement intéressante ;

• une économie de mouvements. Les déplacements des dents étant limités, les risques de résorption radiculaire sont fortement diminués ;

• une économie de temps. Parce qu’il n’y a pas d’espace d’extraction à refermer et parce que le mouvement des dents est réduit, la durée du traitement est largement inférieure à celle des traitements avec extraction de 1 incisive (de 30 à 50 % en moins).

Enfin, il n’y a pas de dégradation esthétique : la sculpture amélaire interproximale évite le risque d’apparition de zones triangulaires inesthétique consécutives à l’augmentation des espaces interdentaires et à la diminution de la hauteur de crête.

Quels sont les inconvénients que présente le stripping ?

Le stripping a des effets :

• sur le parodonte. Lorsque la réduction est effectuée sur dents alignées (secteur postérieur pour un gain de place antérieur), il y a diminution de l’espace interproximal et, par conséquent, du septum. Chez les patients au parodonte affaibli, cela peut empêcher l’utilisation de brossettes interdentaires et aggraver la maladie parodontale ;

• sur l’émail, notamment son épaisseur. Il n’y a pas de corrélation entre la taille des dents et l’épaisseur de l’émail ; la dent la plus large n’a pas toujours l’émail le plus épais. La couche d’émail des incisives n’atteint pas 1 mm. En revanche, à partir de la face distale des canines, la couche dépasse 1 mm. À l’exception de l’incisive latérale supérieure, les épaisseurs distales sont légèrement plus marquées que les épaisseurs mésiales (la différence s’accentue pour la canine et la seconde prémolaire inférieure). Savoir quelle quantité d’émail peut être retirée, c’est savoir jusqu’où l’on peut traiter sans extraction. On peut recommander de ne pas dépasser la moitié de l’épaisseur de l’émail, mais cette réduction tient compte aussi de la forme des dents, sachant qu’une dent triangulaire permet une réduction plus importante qu’une autre.

Le stripping réduit-il l’espace interproximal ?

Sur les dents alignées, la réduction amélaire affecte sans aucun doute le volume de l’espace interproximal : le point de contact devient une surface, l’extrémité gingivale de cette surface de contact migre en direction gingivale, l’espace interproximal diminue alors en hauteur et en largeur. L’espace interradiculaire diminuera d’autant et la largeur de l’os spongieux sera réduite.

Il convient de préciser que plus nous nous éloignons vers les dents postérieures, plus le septum va s’élargir parce que les dents postérieures ont un bombé proximal plus marqué que les dents antérieures.

Sur les dents en malposition, l’incidence sur l’espace interproximal est moins évidente et plus controversée. Qu’il s’agisse de dents en rotation ou en éventail, elles s’encastrent de telle façon que l’embrasure est réduite au minimum et qu’elles sont quasi en contact au niveau de collets. La largeur des septums est alors très réduite et de toute façon inférieure aux valeurs des septums de dents alignées.

Comment réagit le parodonte superficiel à une modification de l’espace interproximal ?

Certes, la réduction de l’espace interproximal conduit à une situation de rétention de plaque dentaire qui peut favoriser, compte tenu de la susceptibilité de l’épithélium du col et de la diminution du tissu conjonctif papillaire, l’évolution des problèmes parodontaux.

La prépondérance va à la qualité du contrôle de la plaque dentaire. La largeur de la papille est secondaire dans les situations où la plaque est bien éliminée. Il faut noter qu’il est plus facile de bien nettoyer des dents alignées que des dents en malposition.

Cependant, les conditions anatomiques influençant l’accumulation de la plaque, il est important de parfaitement polir les surfaces après réduction amélaire.

Le stripping peut-il provoquer des proximités radiculaires ?

Oui, s’il est effectué sur des dents dont les axes verticaux ne sont pas corrects ou si l’anatomie radiculaire est anormale (coudure).

Sur des dents correctement alignées, verticales et anatomiquement normales, la réduction amélaire, limitée à 0,5 mm, ne provoque en aucun cas de proximité radiculaire. Au contraire, compte tenu de l’anatomie radiculaire de certaines d’entre elles (notamment les incisives inférieures), l’alignement avec réduction amélaire peut élargir l’espace interdentaire et écarter les racines.

Comment obtenir une réduction aussi précise que possible ?

Les instruments réducteurs sont classés en 2 catégories.

Les instruments non rotatifs (fig. 1) sont des lames en acier recouvertes d’un matériau abrasif (carborandum) montées ou non sur un support qui sert de manche pour faciliter le mouvement. Ces lames peuvent être abrasives sur 1 ou 2 faces et présenter une granulométrie qui varie de 0,1 à 0,40 µm. Elles existent en plusieurs largeurs.

Les instruments rotatifs ou assimilés regroupent :

• les disques diamantés (fig. 2), qui sont utilisés sur contre-angle conventionnel et sont recouverts de grains de taille standard ou extrafin sur 1 ou 2 faces ;

• les disques segmentés oscillants (disque OS de Komet) (fig. 3) avec revêtement abrasif sur 1 ou 2 faces, dont la fréquence de travail varie de 2 500 à 5 000 oscillations par minute et qui nécessitent un spray abondant ;

• les lames abrasives montées sur contre-angle spécifique (Orthofile SDC-IRS de chez Gac Dentsply) (fig. 4) qui effectuent un mouvement d’aller-retour horizontal (de 4 000 à 6 000 par minute) reproduisant l’acte manuel tout en étant plus précises que lui ;

• les fraises diamantées. Montées sur turbine, les plus fines peuvent atteindre 0,18 mm à leur extrémité libre et 0,78 mm à l’autre extrémité (Horico 166F010 avec grain de 30) ;

• les fraises en carbure de tungstène. À fissures fines, montées sur turbine, elles peuvent être coniques ou crantées ou, comme le préconise Sheridan, coniques crantées (réf. 699L). Elles mesurent 0,6 mm à leur extrémité libre et 0,9 mm à l’autre extrémité.

L’évaluation des quantités d’émail supprimées se fait au moyen de jauges calibrées (de 0,05 à 0,5 mm) permettant de mesurer l’espace interproximal (fig. 56789 à 10).

Faut-il réaliser un polissage après tout acte de stripping ?

Les instruments utilisés pour réduire l’émail interproximal laissent des sillons ou des rainures de 10 à 30 µm de largeur, la lame abrasive étant la plus nocive car les sillons formés sont les plus profonds.

Le polissage est donc un acte indispensable pour éviter de favoriser le dépôt de plaque dentaire. Il se réalise avec :

• des instruments rotatifs tels que les fraises diamantées de finition (granulométrie la plus fine possible, 15 µm), qui permettent de redonner un contour esthétique aux points de contact, des fraises en carbure de tungstène qui se présentent sous la forme de lames (de 8 à 30 lames) ou de disques à polir ;

• des instruments manuels. Ce sont essentiellement des lames fines en polyester ou en métal aux granulométries extrêmement fines qui peuvent être conjointement utilisées avec des pâtes de polissage.

Il faut attirer l’attention sur le fait que la diminution de la couche de l’émail lors du polissage ne doit pas se rajouter à celle préalablement obtenue avec les instruments réducteurs.

Doit-on protéger les pans d’émail « strippés » par application de sealant ?

Mangoury a averti que l’emploi d’un sealant interférait avec le processus naturel de reminéralisation intense des surfaces d’émail réduites.

En revanche, la prescription de bains fluorés peut pallier tout risque d’hypersensibilité.

Quels sont les grands principes qui encadrent le stripping ?

Les principes énoncés sont inspirés de Sheridan.

Premier principe : remodeler le contour amélaire dans la même séance que la pose de l’appareil orthodontique afin :

• de ne pas modifier la position des dents et d’assurer une fidélité parfaite en cas de collage indirect ;

• d’être certain que l’appareil soit bien supporté par le patient ;

• de pas perdre la place gagnée par cette réduction amélaire ;

• d’éviter l’apparition d’espaces inesthétiques dus à la réduction alors que les dents ne sont pas encore déplacées (fig. 111213 à 14).

Deuxième principe : ne pas sculpter les dents en rotation afin de ne pas sculpter en dehors des zones de contact interproximales normales là où la largeur d’émail est la plus grande.

Troisième principe : sculpter en priorité les molaires et les prémolaires car :

• l’épaisseur de l’émail est la plus importante au niveau des prémolaires et molaires et l’espace interradiculaire y est le plus large ;

• l’épaisseur d’émail des incisives inférieures peut être très fine sans qu’il soit possible de l’évaluer avec précision ;

• il faut maintenir une forme naturelle et esthétique aux dents les plus visibles ;

• ce sont les dents qui présentent le plus de reconstitutions et d’obturations proximales à l’âge adulte.

Ceci n’est envisageable qu’à la condition expresse que les mouvements des dents latérales ne perturbent ni ne modifient de façon trop importante les rapports interarcades.

Quatrième principe : utiliser un matériel approprié pour la réduction et le polissage dont on connaît l’épaisseur et son effet sur l’émail (granulométrie) en évitant les lames abrasives qui créent des rainures profondes qu’on élimine avec difficulté.

Cinquième principe : ne pas sculpter sans protection gingivale, voire labiale afin :

• de descendre l’instrument réducteur sous le point de contact et d’éviter la formation de surplomb d’émail ;

• de rendre la sculpture complètement indolore ;

• d’éviter tout saignement gingival.

Comment procéder pour réaliser un stripping ?

1. Pour ne pas enlever trop d’émail, il faut mesurer la largeur de la dent à l’aide d’un pied à coulisse non seulement avant mais encore pendant la réduction amélaire. Comme solution de rechange, l’épaisseur d’émail enlevée peut être déterminée à l’aide de jauges d’épaisseur.

2. Il faut mettre en place une cale de protection quand le geste n’est pas sûr, ou un cône interdentaire afin d’écarter légèrement les dents, ce qui facilite la sculpture.

3. On choisit l’instrument réducteur adapté en granulométrie en fonction de la quantité d’émail à enlever. Si l’on commence avec un disque revêtu d’un grain normal, il faut considérer qu’un retrait supplémentaire est encore réalisé lors de la procédure de finition à suivre.

D’une façon générale, avant toute décision de réduction amélaire, il est important de prendre en considération, pour chaque patient, l’anatomie radiculaire et coronaire, l’état et la largeur des septums ainsi que l’axe des dents.

Un examen rétroalvéolaire est donc nécessaire et une collaboration avec un parodontologiste est souvent indispensable.

Avec une technique raisonnée et progressive de la réduction amélaire, il est possible, à la demande, de modifier les espaces interproximaux en prenant des décisions pour chaque arcade et en étudiant chaque dent et chaque septum tout en tenant compte des modifications que peuvent entraîner ces déplacements dentaires sur les rapports avec l’arcade antagoniste.

Lectures conseillées

Amat P, Sorel O. Entretien avec John Sheridan. Rev Orthop Dento Faciale 2004;38:123-140.

Fillion D. Apport de la sculpture amélaire interproximale à l’orthodontie de l’adulte (première partie). Rev Orthop Dento Faciale 1992;26:279-293.

Fillion D. Apport de la sculpture amélaire interproximale à l’orthodontie de l’adulte (deuxième partie). Rev Orthop Dento Faciale 1993;27:189-214.

Fillion D. Apport de la sculpture amélaire interproximale à l’orthodontie de l’adulte (troisième partie). Rev Orthop Dento Faciale 1993;27:353-367.

Mangoury NH. In vivo remineralization after air-rotor stripping. J Clinic Orthod 1991;25:75-78.

Sheridan JJ. Air rotor stripping. J Clinic Orthod 1985;19:43-59.

Sheridan JJ. Air-rotor stripping update. J Clinic Orthod 1987;21:781-788.