Gotlib, Tardi ou Greg… la bande dessinée l’habite. Diplômé en 1979, Alain Ravouna ouvre son cabinet en 1982 dans le quartier de la Croix-Rousse, à Lyon. Un quartier à la fois populaire et branché. C’est là qu’est né, en 2006, le Festival de la bande dessinée de Lyon*. Alain Ravouna est à l’origine de cet événement avec quelques amis passionnés. Un rendez-vous incontournable du 9e art en France. Sa 5e édition se tient les 19 et 20 juin au Palais du Commerce à Lyon.
Vous êtes mordu de bande dessinée depuis longtemps ?
À 5 ans, je dévorais l’hebdomadaire Mickey et de petites revues pour apprendre à lire que l’on trouvait dans les bureaux de tabac sur les quais. À la maison, si on me demandait d’aller chercher le sel, il valait mieux qu’une BD ne traîne pas sur mon passage parce que je m’arrêtais pour la lire. C’est une maladie et ça ne vous quitte pas comme ça.
Quels sont les auteurs qui vous ont marqué ?
J’ai été élevé à Pilote, Achille Talon, entre autres. Spirou ou Tintin, c’était bien, mais ça restait un peu coincé : pas de fille nue, de gros mots, de sang. En 1968, tout ça a explosé avec l’arrivée de Charlie Hebdo, Métal Hurlant ou Fluide Glacial.
Un souvenir fort ?
Tintin au Congo, oui, quand même. C’est mon père qui me l’a offert alors qu’on était en vacances au bord de la mer. J’ai trouvé ça formidable. J’avais les oreillons et je me revois dans le lit avec la tête enrubannée comme un œuf de Pâques !
Avez-vous d’autres lectures ?
À 12-13 ans, j’ai énormément lu : Jules Verne, Anatole France, des romans policiers… Les Cavaliers, de Joseph Kessel, m’ont époustouflé : cet homme avec son cheval, la fierté d’aller jusqu’au bout… Et puis, Le Planétarium de Nathalie Sarraute ; le nouveau roman, ça a été un choc pour moi. Mais je n’ai plus le temps de lire, entre mon cabinet et le Festival. Alors j’empile les livres à lire…
Pourquoi avez-vous fait de la dentisterie ?
Je ne savais pas quoi faire et ma famille était programmée pour faire des études. Tous mes copains faisaient des études de médecine ou de dentisterie. Ça a été très dur au début parce que je ne suis pas du tout manuel, je suis un pur produit intellectuel. Mais j’ai appris, j’ai eu un bon enseignement et j’ai eu beaucoup de plaisir à faire ma thèse.
Sur quoi portait-elle ?
Mon directeur de thèse m’a susurré l’idée de m’intéresser à la BD. Je ne voulais pas faire une thèse scientifique et il fallait que je trouve un sujet. Ça a été : la bouche dans la bande dessinée. Il s’agissait de faire une étude morphopsychologique des personnages. J’avais une collection importante de BD et je me suis rendu compte que le caractère des personnages était rendu à travers l’aspect physique. Le visage exprime l’émotion et la bouche est très importante : les dents, le sourire… La psychologie apparaît au premier coup d’œil.
Qu’est-ce qui vous intéresse dans la BD ?
Les auteurs qui ont vraiment le don de l’ellipse, cette capacité à relier deux cases sans donner d’explications. Un exemple : dans la première case, le personnage ferme une porte ; dans la suivante,il est au volant de sa voiture. Il y a des gens qui ne savent pas relier, faire fonctionner cela. Et puis, les scénarios m’intéressent. C’est ce qu’il y a de plus important, comme au cinéma.
Dessinez-vous ?
J’en suis incapable. C’est presque un handicap. Je pourrais gagner le concours du plus mauvais dessin !
Collectionnez-vous des planches, des dessins ?
Quelques planches, mais surtout des tableaux d’artistes contemporains, des graffs, des gravures aussi. J’ai des patients qui sont peintres, je vais voir leurs œuvres et j’achète parfois un tableau. La peinture, c’est une émotion que je ressens à travers l’image. Et, ce qui est important, c’est qu’il y a une interaction à travers les différents modes de création. D’ailleurs, j’ai un leitmotiv pour le Festival : la BD est au cœur d’une transversalité.
Que voulez-vous dire ?
Ce sont les résonances et l’interactivité qui comptent. Les artistes ne sont pas installés dans une seule spécialité. Gainsbourg est un très bon exemple : compositeur, musicien et chanteur, il était aussi peintre et comédien. La bande dessinée est au cœur d’un tout : animation, cinéma…
Comment est né le festival ?
Avec un ami, on avait cette idée depuis un certain temps, mais ça traînait. Et puis, j’ai eu la chance de rencontrer des personnes comme le premier adjoint à la culture du 4e arrondissement de Lyon qui m’a dit : « On va t’aider. » Il voulait faire bouger le quartier. La première année, en 2005, a été compliquée et ça n’a pas marché. Mais un groupe de jeunes nous a rejoints et leur énergie nous a boostés. Le premier festival, en 2006, a attiré 3 000 personnes. Il faisait une chaleur effroyable et ça s’est terminé par une tempête. On a bien rigolé. Ce qui nous a portés, c’est une histoire d’amitié.
Votre rôle est-il compliqué ?
Le plus difficile ce n’est pas d’y penser, c’est de faire ! Il faut savoir ce qui se passe, se déplacer : représentation, discussions, relationnel… Notre ambition, c’est d’arriver en peloton de tête parmi les 300 festivals ou salons dans ce domaine : Angoulême, Saint-Malo, Blois… On a d’ailleurs lancé une journée professionnelle de rencontres autour de plusieurs thèmes.
Votre auteur préféré ?
La star, c’est Gotlib, c’est lui qui a fait entrer le mouvement dans la bande dessinée, et c’est ma jeunesse. Avant, on n’avait pas l’impression de voir bouger les personnages, les voitures… Et puis, on a vu Tarzan se déplacer dans les arbres, grâce à son coup de crayon, les expressions du personnage. Mais il y en a d’autres, comme Jacques Tardi, de jeunes talents aussi, comme Enrique Fernandez et son graphisme exceptionnel ou Michel Plessis qui a su transformer un roman en BD avec le Vent dans les saules, de Kenneth Graham ; c’est merveilleux !
J’essaie de dissocier journées au cabinet et bande dessinée, c’est essentiel. J’ai le même cabinet depuis 30 ans et j’habite à côté : c’est un luxe et je gagne du temps. Il y a bien sûr des bandes dessinées dans ma salle d’attente, mais c’est ma maison qui en est envahie : plus de 6 000, il y en a partout, dans les chambres, dans les placards. Notre fantasme avec ma femme est d’avoir une grande pièce avec une immense bibliothèque et une échelle !