ENDODONTIE
Patricia BATAILLON LINEZ* Marc LINEZ** Alain GAMBIEZ*** Anne CLAISSE**** Étienne DEVEAUX*****
*Département d’odontologie conservatrice et endodontie
Faculté d’odontologie
place de Verdun, 59000 Lille
**Département d’odontologie conservatrice et endodontie
Faculté d’odontologie
place de Verdun, 59000 Lille
***Département d’odontologie conservatrice et endodontie
Faculté d’odontologie
place de Verdun, 59000 Lille
****Département d’odontologie conservatrice et endodontie
Faculté d’odontologie
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*****Département d’odontologie conservatrice et endodontie
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La complexité du réseau canalaire endodontique est une réalité. Des racines et canaux supplémentaires ou de morphologie particulière peuvent exister sur toutes les dents. Les molaires mandibulaires n’échappent pas à ces critères. Leur racine mésiale présente un canal supplémentaire dans plus de 10 % des cas. De même, les deuxièmes molaires dont les racines apparaissent fusionnées arborent fréquemment une morphologie canalaire en C.
En endodontie, les complexités radiculaires et canalaires sont une réalité. Vertucci [1], en analysant quelque 2 400 dents, a montré que la morphologie pulpaire ne se résumait pas à un seul canal s’étendant de la chambre pulpaire jusqu’à l’apex mais plutôt à 8 types de configurations différentes. Par la suite, grâce aux progrès technologiques [2], de nombreuses publications ont confirmé cette grande variabilité, tant en nombre de racines qu’en nombre de canaux [3, 4]. Des raisons génétiques, ethniques et de sexe sont souvent évoquées pour expliquer ces configurations particulières [5]. Les molaires mandibulaires n’échappent pas à ces critères. Les premières molaires mandibulaires peuvent présenter une racine supplémentaire, souvent disto-linguale, dont la fréquence est étroitement corrélée au caractère ethnique [6, 7]. Ce type d’anatomie a été décrit pour la première fois par Carabelli [8] et porte le nom de radix entomolaris. Il est également possible de trouver une racine supplémentaire en vestibulaire, plus fréquemment située en mésial. Dans ce cas, la dénomination radix paramolaris est employée [9]. Quant aux deuxièmes molaires mandibulaires, elles adoptent fréquemment une configuration canalaire en forme de C. Une incidence de 44,5 % a été rapportée [10].
Cet article s’intéresse à cette morphologie particulière des deuxièmes molaires mandibulaires mais aussi à la présence d’un troisième canal dans la racine mésiale des premières et deuxièmes molaires mandibulaires. Lors d’un traitement endodontique initial, il est très important de rechercher cette variation anatomique pour diminuer le risque d’échec. Un retraitement endodontique d’une molaire possédant plusieurs racines ou canaux présente toujours un taux de succès significativement moindre que celui d’une prémolaire ou d’une incisive [11].
Toutes les publications qui traitent d’anatomies canalaires particulières font référence à la classification de Vertucci [1] qui date de 1984. Celle-ci identifie 8 types de configurations, numérotées de I à VIII (tableau 1). Une localisation préférentielle de ces différentes configurations est retrouvée dans l’étude de Vertucci (tableau 2). C’est la deuxième prémolaire maxillaire qui, pour l’auteur, présente la plus grande variabilité. Les molaires mandibulaires viennent ensuite. La première molaire mandibulaire arbore des configurations de type I, II, IV, V, VI et VIII. La deuxième molaire mandibulaire possède plutôt des configurations de type I, II, IV et V. La fréquence varie en fonction de la racine, mésiale ou distale. La racine mésiale de la première molaire adopte plus fréquemment une anatomie de type IV, celle de la deuxième molaire est plutôt de type II.
Nous avons entrepris une analyse de plusieurs centaines de coupes transversales de la racine mésiale de premières molaires mandibulaires. Cette étude nous a permis de confirmer les données de Vertucci. Mais, dans notre analyse, les configurations de type VII et VIII, rares, n’ont pas été retrouvées (fig. 1). D’autres configurations n’ont pu être classées en raison de morphologies canalaires apicales particulières (fig. 2 et 3).
La configuration de type VIII n’a été objectivée qu’une seule fois par Vertucci. Plus récemment, quelques publications ont fait état de cette anatomie. Navarro et al [12] en 2007, dans une étude associant des publications de cas particuliers à deux études in vitro par tomographie et microscopie électronique, a évalué cette particularité à environ 13 % des cas pour la première molaire mandibulaire. Ce pourcentage ne peut être considéré comme négligeable car c’est tout un traitement endoprothétique qui peut être remis en cause par l’oubli de ce canal supplémentaire. Sa situation et sa morphologie peuvent être variables mais il est indispensable de systématiser sa recherche pour le détecter et le traiter (fig. 4 à 6).
Chaque cas doit être examiné sous différentes incidences radiographiques pour affiner le diagnostic [13]. Des incidences disto-excentrées (incidence de Walton) sont préférées pour les molaires aux incidences mésio-excentrées (incidence de Clark). Ces incidences consistent à décaler de 20° en distal ou en mésial le tube radiogène par rapport à une incidence orthogonale. La visualisation de racines assez larges dans le sens sagittal et dans le sens transversal doit faire suspecter un canal supplémentaire (fig. 7 et 8).
L’utilisation de moyens visuels complémentaires tels que les loupes et le microscope opératoire s’avère une aide précieuse pour découvrir ce troisième canal [14]. Cet examen visuel est complété par un sondage attentif du pont dentinaire ou isthme reliant le canal mésio-vestibulaire au canal mésio-lingual. L’examen des couleurs dentinaires de l’isthme est également important car il oriente la recherche du canal supplémentaire.
L’acte endodontique est une thérapeutique qui demande une grande réflexion. La recherche du troisième canal est plus aisée lors d’un traitement endodontique initial. Lors d’un retraitement, la modification des couleurs dentinaires, associée à des produits d’obturation dont le retrait total s’avère souvent difficile, complique la recherche. L’utilisation d’inserts ultrasonores spécifiques (du type ET18 D Satelec) peut être très utile (fig. 9 à 15).
Il est néanmoins rarissime d’être confronté à une morphologie de type VIII. Dans la plupart des situations cliniques, le canal supplémentaire rejoint le canal mésio-vestibulaire ou le canal mésio-lingual.
Cette particularité reste exceptionnelle à notre connaissance. Elle n’a fait l’objet d’aucune publication à ce jour. La principale caractéristique des deuxièmes molaires mandibulaires réside dans leur propension à présenter une morphologie canalaire en C [15]. La recherche de cette particularité anatomique doit également être systématique. L’échec ou la guérison endodontique est directement corrélé au traitement total du réseau canalaire (fig. 16 à 20).
Cette caractéristique a été rapportée sur les premières prémolaires mandibulaires (de 10 à 18 %) par différents auteurs [16, 17] et sur les premières et deuxièmes molaires maxillaires [18]. Il s’agit alors d’une réunion des canaux vestibulaires. Les troisièmes molaires maxillaires et mandibulaires peuvent également présenter une configuration en C (fig. 21 et 22). Celle-ci reste néanmoins plus fréquemment évoquée pour les deuxièmes molaires mandibulaires.
Les racines des molaires présentant cette configuration sont toujours partiellement, voire totalement, fusionnées (fig. 23 à 25). Cette fusion entraîne une chambre pulpaire profonde. Cela augmente la difficulté du traitement canalaire tant au niveau de son accessibilité qu’à celui de son débridement.
D’un point de vue histologique, la gaine épithéliale de Hertwig est responsable de cette morphologie. La séparation des racines au niveau de la jonction amélo-dentinaire est contrariée, voire avortée, et entraîne alors une fusion radiculaire [19]. Manning a également émis l’hypothèse que l’apposition de cément au cours du temps pouvait aboutir à une coalescence secondaire et former ainsi une morphologie en C [20].
Plusieurs configurations canalaires en C sont répertoriées selon le type et le niveau de fusion qui s’est opéré. Les classifications anatomiques et radiographiques de Melton et al. en 1991 [21] puis de Fan et al. en 2004 et 2007 [22, 23] distinguent 5 types de configurations (fig. 26 et 27).
La morphologie canalaire en C n’est, cette fois, pas à ranger dans le domaine de l’exceptionnel. De nombreuses études ont évalué l’incidence de ce type de configuration qui varie de 10 à 44,5 %. Ce dernier chiffre, qui peut paraître important, a été déterminé par Jin et al. [10] par un procédé de tomographie volumique assistée par ordinateur. Ces pourcentages évoluent en fonction du caractère ethnique avec une prévalence asiatique plus importante que les autres [24]. Dans 70 % des cas, une symétrie controlatérale est retrouvée [25].
La restauration de ces dents à anatomie particulière au moyen d’ancrages radiculaires est délicate. La coalescence des canaux liée à une épaisseur des parois canalaires qui, dans certaines régions, peut être très faible, augmente le risque de perforation. Une technique de collage par matériau composite, sans tenon, sera à privilégier lorsque la chambre pulpaire sera profonde car elle permettra d’assurer la rétention du matériau de reconstitution coronaire. Si un tenon s’avère nécessaire, sa longueur devra être minimisée. Il devra être uniquement positionné en distal et être fixé par scellement adhésif (utilisation de ciment verre ionomère modifié par adjonction de résine, ou CVIMAR) ou par collage. La réalisation d’une reconstitution corono-radiculaire à tenon en fibre de verre reste vraisemblablement la restauration de choix pour ce type de configuration. Les exemples cliniques qui suivent (fig. 28 à 35) viennent illustrer ces propos.
Les premières et deuxièmes molaires mandibulaires sont, comme toutes les autres dents, susceptibles d’arborer une anatomie particulière, voire complexe. L’existence d’une morphologie « atypique » doit être systématiquement envisagée. Si les principes de préparation et d’obturation canalaire sont respectés au même titre que ceux de la restauration coronaire ou corono-radiculaire, le pronostic de conservation est équivalent à celui des autres dents. L’extraction de telles dents en première intention suivie de la réalisation d’une technique implantaire reste très controversée.