PARODONTOLOGIE
Leïla LAKHDAR* Amal BOUZIANE** Oumkeltoum ENNIBI***
*Spécialiste au service
de parodontologie
CCTD, CHU Ibn-Sina
BP 6212
Avenue Mohammed El Jazouli
Rabat, Maroc.
**Spécialiste au service
de parodontologie
CCTD, CHU Ibn-Sina
BP 6212
Avenue Mohammed El Jazouli
Rabat, Maroc.
***Professeur de l’enseignement
supérieur, chef du service
de parodontologie
CCTD, CHU Ibn-Sina
BP 6212
Avenue Mohammed El Jazouli
Rabat, Maroc.
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Aujourd’hui, il est bien établi que le tabac est un facteur de risque majeur en parodontologie. En effet, plusieurs travaux ont démontré l’effet nocif du tabac sur la cicatrisation après thérapeutique chirurgicale (chirurgie osseuse, muco-gingivale et implantaire) comme non chirurgicale. Cependant, aucune étude ne rapporte l’effet du tabac sur la chirurgie parodontale mineure qui, souvent, s’accompagne d’une cicatrisation rapide et favorable. Dans cet article, une frénectomie chez une patiente fumeuse nous montre ces effets.
Actuellement, si l’étiologie bactérienne dans le développement des maladies parodontales est bien établie, la consommation tabagique joue également un rôle déterminant dans l’amplification du processus de destruction tissulaire observé dans ces pathologies. Par ailleurs, au cours des 10 dernières années, de nombreuses études cliniques ont clairement démontré l’effet néfaste du tabac sur la cicatrisation tissulaire après les traitements parodontaux chirurgicaux et non chirurgicaux. En effet, dans un contexte tabagique, la chirurgie plastique parodontale et régénératrice est accompagnée le plus souvent d’échec thérapeutique, contre-indiquant ainsi ces types de chirurgies chez les patients fumeurs [1]. Cependant, pour la chirurgie parodontale mineure comme la frénectomie, aucune étude n’indique le retard de cicatrisation dû au tabagisme.
Il s’agit d’une patiente en bon état de santé général apparent fumant 10 cigarettes par jour. Elle présente une parodontite chronique marginale localisée. Après assainissement parodontal, le traitement orthodontique est indiqué. Comme le frein labial médian supérieur est à insertion haute intrapapillaire, épais et associé à un diastème interincisif (fig. 1), une frénectomie est décidée afin de prévenir la récidive du diastème antérieur après dépose de l’appareillage orthodontique. En préopératoire, à l’examen clinique, la patiente présente un indice de plaque et un indice gingival faibles (< 1).
Après frénectomie et suture des berges (fig. 2), un bain de bouche à base de chlorhexidine est prescrit. Une semaine plus tard, la patiente est revue pour ablation des sutures (fig. 3) puis pour contrôle de la cicatrisation au bout de 2 semaines (fig. 4). L’apparition, au niveau muqueux, de rougeurs et de taches blanches est observée, indiquant une altération de la cicatrisation.
Le rôle du tabac dans l’apparition de ces lésions est suspecté. Par conséquent, la patiente est informée des effets nocifs du tabagisme. À la suite de cela, elle réduit sa consommation de tabac et une amélioration progressive de l’aspect de sa muqueuse est observée au bout de 6 semaines (fig. 5) puis de 2 mois (fig. 6).
L’effet néfaste du tabac sur la cicatrisation après thérapeutique parodontale chirurgicale et non chirurgicale est bien souligné par plusieurs études [1 -8]. En effet, le tabac a été identifié comme l’une des variables majeures de prédiction en ce qui concerne la réponse à la thérapeutique parodontale [9 -12], incluant le traitement non chirurgical et chirurgical (chirurgie osseuse, muco-gingivale et implant) à cause du taux élevé d’échecs décrit chez les patients fumeurs.
La majorité des études montrent des résultats moins satisfaisants des techniques de chirurgie plastique parodontale (lambeau positionné coronairement et greffe gingivale) chez les fumeurs par rapport aux non-fumeurs [13].Cependant, concernant les actes chirurgicaux mineurs tels la frénectomie qui intéresse uniquement la muqueuse, comme dans le cas clinique présenté ici, la littérature médicale ne rapporte pas d’échec ni de réponse défavorable associés au tabac. Néanmoins, il a été démontré que le tabac compromet la cicatrisation de la plaie en perturbant les systèmes immunitaires spécifiques et non spécifiques, en altérant les fibroblastes et la production de collagène [14] et en entraînant une vasoconstriction avec ralentissement du flux sanguin, endommageant ainsi la revascularisation des tissus mous [15, 16]. Par ailleurs, au niveau des tissus mous, en raison de l’agression répétée par le goudron et les autres produits de la fumée de cigarette (au nombre de 200 environ), la muqueuse est comme « asphyxiée » et présente des plages de kératose réactionnelle ou des lésions leucoplasiques [17].
Chez notre patiente, l’acte chirurgical, quoique mineur, a provoqué une exposition directe du tissu conjonctif aux effets néfastes du tabac. En effet, les substances contenues dans le tabac ainsi que la fumée seraient cytotoxiques pour les cellules impliquées dans la cicatrisation [18]. En outre, il a été démontré que les lésions blanches de la muqueuse buccale sont en relation directe avec l’endroit où les produits du tabac sont absorbés chez 50 à 60 % des fumeurs [19] et que des médiateurs de l’inflammation, telles la prostaglandine E2 (PGE2) et l’interleukine 1 (IL1), sont augmentés au niveau de ces lésions [18], ce qui contribue probablement à l’érythème observé. La sévérité de ces lésions muqueuses étant liée à la quantité et à la durée (fréquence) de la consommation de tabac [20], elles régressent le plus souvent avec la diminution ou l’arrêt du tabac [21]. Cela est mis en évidence chez notre patiente de façon progressive à partir la 6e semaine postopératoire, patiente qui, après avoir reçu l’information sur les effets néfastes du tabagisme ayant sans doute provoqué les effets constatés chez elle, a considérablement réduit sa consommation de tabac, ce qui a permis l’amélioration observée de la cicatrisation à 2 mois.
Les patients fumeurs sont à haut risque de développer des lésions orales et répondent moins favorablement à la thérapeutique parodontale même mineure que les non-fumeurs. En effet, la frénectomie, acte simple sans suites opératoires et à cicatrisation rapide chez un patient sain, peut se compliquer chez le patient fumeur et entraîner l’apparition de lésions au niveau de la muqueuse buccale pouvant se transformer en une réelle pathologie buccale. Toutefois, ces données nécessitent des études contrôlées afin de démontrer l’effet néfaste du tabac sur la cicatrisation après chirurgie parodontale mineure et son impact sur les résultats à long terme, contre-indiquant ou non l’acte, ou incitant le parodontiste à faire adopter par le patient un programme d’arrêt du tabac avant la chirurgie.