Clinic n° 05 du 01/05/2010

 

ÉTHIQUE

Guillaume SAVARD  

Chirurgien-dentiste, titulaire d’une maîtrise de philosophie et d’un master d’éthique médicale et biologique.

Quand la parodontologie en aura fini avec le symptôme.

Sans être spécialement qualifié sur la chose parodontologique, il me semble que les maladies parodontales ont, au cours du siècle passé, subi de nombreux classements et redéfinitions. J’ai gardé de tout cela le sentiment d’une science qui travaille, qui tâtonne, qui progresse, qui accroît son savoir et sa capacité à l’action sur les phénomènes. C’est un point très intéressant et sur lequel je pense qu’un retour, ou un petit détour épistémologique, peut s’avérer utile (quoique nécessairement bref ici).

Mon argument central est que la parodontologie est en train, progressivement, lentement (car c’est un changement de paradigme pour ainsi dire), de se débarrasser de son ancienne focale (sur les symptômes) pour chercher ailleurs un classement, une nosographie plus efficace (terrain, bactériologie, génétique, interactions à l’hôte, capacité immunologique et réponse inflammatoire, etc.).

En remontant un peu dans le temps, à la lecture de L’Art du Dentiste1, les auteurs décrivent une classification théorique, qu’ils jugent sans grande utilité pour la clinique, en : gingivites traumatiques, essentielles, toxiques, et spécifiques. Dans l’ouvrage, il est décrit plus pragmatiquement : (1) l’inflammation aiguë des gencives, (2) l’inflammation et la tuméfaction chroniques des gencives compliquées d’un déchaussement des dents, (3) l’hypertrophie ou l’accroissement morbide des gencives2. Les auteurs insistent sur le fait que la « constitution » – nous dirions le terrain – influe sur le développement, la forme, la gravité et les manifestations à « irritations locales » équivalentes. Beau lien, déjà, avec le reste de l’individu. L’ouvrage note que toutes les influences du contexte peuvent « être contrariées par l’observation stricte des règles d’hygiène des dents » ! Le traitement passe alors par des extractions, l’élimination du tartre, au besoin en plusieurs séances, et l’usage de lotions3.

À l’instar de la situation actuelle, il existe une distinction entre une nosographie théorique, scientifique, qui cherche son fondement dans des causes, et une classification clinique, destinée à choisir le traitement. C’est pourtant quand les deux se rejoignent qu’on obtient le meilleur d’un art médical.

Dans Naissance de la clinique, au chapitre X., Michel Foucault montre comment la médecine, à une époque, fut incapable de penser autrement que par les fièvres : on classait alors les fièvres selon leurs symptômes et l’inflammation était, pour faire court, la maladie. Il a fallu Bichat, Broussais et la découverte des lésions tissulaires pour sortir de ce qui devenait une impasse.

J’y vois un parallèle, dans cette focalisation sur le symptôme, avec cette manière qu’on a eu de se centrer sur la gingivite : l’inflammation gingivale. Et je crois pouvoir avancer qu’avec les progrès de la parodontologie (la science), nous allons sortir de cette focale pour atteindre une nosographie mieux fondée scientifiquement pour la parodontie (la praxis). Et j’imagine qu’alors le classement clinique (diagnostique et par là thérapeutique) des affections du parodonte se superposera à la catégorisation scientifique. Nous aurions désormais plus de capacité de savoir et de pouvoir. Mieux comprises, les maladies seront mieux soignées et prévenues.

1. Harris, Austin et Andrieu, L’Art du Dentiste. Paris : J.-G. Baillières et fils, 1884.

2. … (4) inflammation mercurielle des gencives, (5) ulcération des gencives, chez les enfants, avec exfoliation des procès alvéolaires, (6) adhérence des gencives aux joues, (7) tumeurs des gencives ; épulis.

3. Aux compositions parfois très poétiques : noix de galle pulvérisée, écorce de quinquina pulvérisée, racine d’iris de Florence et infusion de roses.