RÉPONSE D’EXPERT
Professeur des universités en
endodontie à la faculté de chirurgie
dentaire de Rennes
Si nous savons tous qu’il faut réaliser une irrigation endodontique lors des traitements radiculaires, nous avons encore des zones d’ombre sur la bonne solution à choisir, les bonnes quantités de solution à employer et les nouvelles possibilités d’irrigation dont nous nous disposons à l’heure actuelle. Nous en savons encore moins sur l’avenir de l’irrigation endodontique qui deviendra, peut-être un jour, plus déterminante que l’action de nos limes et forets. Nous sommes allés puiser à la source !
L’irrigation endodontique est une étape indispensable du traitement endodontique et indissociable de la phase de préparation, et ce quel que soit l’état préopératoire de la pulpe. C’est un élément majeur dans le maintien de l’asepsie ou dans le cheminement vers l’antisepsie du système canalaire. Dès 1943, Grossman décrivait la nécessité d’un lavage canalaire avec une solution antiseptique, qui élimine les micro-organismes présents dans le canal, les copeaux dentinaires détachés lors de l’élargissement et qui joue le rôle de lubrifiant pour faciliter le passage instrumental tout en étant une solution non agressive pour le périapex.
Les solutions d’irrigation agissent selon deux modes d’action :
• une action purement physique, mécanique, liée à la quantité et au volume de la solution délivrée dans le canal et à la mise en suspension des débris organiques et des copeaux dentinaires ;
• une action chimique liée à la qualité et à la nature de la solution, qui est celle d’un antiseptique, d’un solvant des débris organiques, d’un chélatant et qui doit être la plus biocompatible possible.
Cette action chimique permet la dégradation et la solubilisation des substances organo-minérales en fonction des paramètres d’une solution d’irrigation : nature, concentration, temps de contact et température.
Compte tenu de ces paramètres, nous devons tout d’abord irriguer pour laver et nettoyer le système canalaire des débris organominéraux canalaires, puis pour éliminer les bactéries pouvant être présentes, pour supprimer la couche d’enduit pariétal qui est générée par l’action des instruments endodontiques sur les parois canalaires et, enfin, pour assurer la lubrification. En facilitant le passage d’instruments non encrassés, ces derniers seront alors plus efficaces. Une mouillabilité élevée de la solution d’irrigation permettra aussi une meilleure diffusion sur les parois, dans les canaux accessoires et dans les tubules dentinaires. Les solutions d’irrigation devront aussi respecter les tissus de soutien et donc être les plus biocompatibles possibles. Ces dernières années, une nouvelle notion est apparue : les solutions d’irrigation ne doivent pas modifier les propriétés mécaniques de la dentine ou avoir d’effets secondaires sur elles. En effet, certaines solutions d’irrigation à concentration élevée (hypochlorite de sodium 5 % et 9 %) peuvent, à terme, diminuer de façon significative le module d’élasticité et la résistance de la dentine.
En fonction des objectifs que nous venons de définir, une solution d’irrigation doit être antiseptique, protéolytique, chélatante, biocompatible et avoir des effets limités sur la dentine. Aucune solution ne satisfait actuellement à tous ces paramètres : il faudra donc combiner plusieurs produits pour obtenir ces différentes actions. Cependant, l’hypochlorite de sodium (NaOCl) est la solution qui correspond le mieux aux impératifs actuels de l’antisepsie en endodontie. Il possède une excellente activité antibactérienne, agit sur un large spectre bactérien et présente une rapide bactéricidie, il est sporicide, virucide (VIH, Herpes simplex virus 1 et 2, virus de l’hépatite A et B) et fongicide.
Il présente en plus une activité protéolytique qui permet, à condition d’un renouvellement fréquent de la solution, une dissolution du tissu pulpaire qui est indispensable avant l’utilisation de toute autre solution d’irrigation. Une solution chélatante, par exemple, ne produira son effet maximal qu’après dissolution préalable du contenu organique pulpaire. Cependant, cette action organolytique n’est effective qu’à partir d’une concentration d’hypochlorite de sodium de 1 %. D’autres solutions comme la chlorhexidine à 2 % sont aussi de très bonnes solutions antibactériennes, mais leur absence de propriété organolytique limite leur utilisation à quelques indications.
Outre les caractéristiques physiques liées au mouvement de flux et reflux de la solution dans le canal, l’hypochlorite de sodium est aussi un excellent lubrifiant avec une mouillabilité élevée et une cytotoxicité limitée quand cette solution est utilisée à des concentrations de 2,5 à 3,5 % et est confinée à l’endodonte.
Si l’hypochlorite de sodium est la solution de choix en endodontie, il n’a aucune propriété chélatante et ne permet donc pas d’éliminer la smear layer, ou enduit pariétal, des parois canalaires (fig. 1). Il faut donc systématiquement associer, lors de la phase finale de l’irrigation, une solution chélatante. Préconisée par Nygaard-Ostby dès 1957, la solution d’EDTA (acide éthylène diamine tétracétique) est actuellement la solution chélatante la plus utilisée même si l’acide citrique à 10 % produit aussi une bonne action déminéralisante. La concentration préconisée depuis de nombreuses années varie de 15 à 17 % (fig. 2). Cependant, des études in vitro montrent qu’une diminution de la concentration des solutions d’EDTA serait opportune. En effet, si les concentrations de 15 à 17 % sont efficaces dans l’élimination de l’enduit pariétal, elles provoquent aussi une déminéralisation excessive de la dentine péritubulaire et intratubulaire alors que des solutions voisines de 10 % évitent cet effet indésirable (fig. 3).
Dans certains cas d’infection endodontique persistante ou d’allergies à l’hypochlorite de sodium, il peut être conseillé d’utiliser une solution à base de chlorhexidine à 2 %. Cette concentration, la seule active sur les bactéries de la flore endodontique résistantes aux antiseptiques classiques, n’est cependant pas encore disponible en France. La chlorhexidine est un très bon antibactérien mais n’a aucune propriété protéolytique ou chélatante. Elle doit donc être considérée comme une solution d’appoint mais en aucun cas l’alternative à l’hypochlorite de sodium. De plus, elle peut être à l’origine de la formation d’un précipité brunâtre insoluble si elle est mise au contact d’hypochlorite de sodium ou chauffée aux ultrasons.
S’il est démontré depuis longtemps que le chauffage d’une solution d’hypochlorite de sodium potentialise in vitro son effet antibactérien et augmente sa capacité organolytique, la vibration ou l’agitation des solutions est toujours un sujet d’actualité. Apparues dès 1982 avec l’utilisation des ultrasons, la vibration sonique et l’agitation mécanique ont fait l’objet de nombreuses études ces dernières années (fig. 4). De la simple agitation manuelle à l’aide d’une lime K ou d’un cône de gutta à l’emploi d’instruments plus sophistiqués comme le RinsEndo® (Dürr Dental), des systèmes soniques tels que l’EndoActivator® (Dentsply Tulsa) ou la seringue Vibringe® (Vibringe), ou des agitateurs polymères à usage unique F-file® (Plastic-Endo) montés sur contre-angle endodontique, il est indéniable que l’agitation permet physiquement une meilleure mise en suspension des débris, une propulsion de la solution sur les parois, tubules et canaux latéraux. Une récente étude de Paragliola et al. (2010) montre que, en termes de pénétration d’une solution d’irrigation dans les tubulies du tiers apical, les ultrasons utilisés maintenant en technique « passive », c’est-à-dire sans contact direct avec les parois canalaires, sont toujours supérieurs aux soniques et à l’agitation manuelle. Cette étape d’agitation est surtout significative sur l’activité antibactérienne lors de l’utilisation d’hypochlorite de sodium en permettant un meilleur nettoyage des parois et en désorganisant le biofilm bactérien ; en rinçage final, il n’a pas été démontré que les propriétés chélatantes de l’EDTA étaient améliorées par l’activation. L’avantage des activateurs de solutions d’irrigation pourrait aussi résider dans leur capacité à désorganiser de façon mécanique le biofilm canalaire, à l’origine d’échecs des traitements.
Actuellement, le manque d’études cliniques sur le sujet ne permet pas de montrer la supériorité d’un de ces systèmes en termes de pronostic thérapeutique.
Entendons-nous sur le terme « rinçage final ». S’il s’agit de « rincer » la solution d’hypochlorite de sodium, la réponse est oui puisque nous avons vu que l’hypochlorite de sodium seul ne pouvait répondre à tous les objectifs de l’irrigation. Il faut donc dans ce cas faire un rinçage final « flush flow » avec une solution chélatante. S’il s’agit en revanche de l’emploi d’une solution pour éliminer la dernière solution mise en place dans le canal, c’est un point discutable. S’il est satisfaisant de penser qu’après une irrigation renouvelée entre chaque instrument endodontique d’hypochlorite de sodium 2,5 % pendant la phase de préparation et une irrigation finale avec une solution d’EDTA (3 ml pendant 1 à 3 minutes), un rinçage de cette dernière solution doit être effectué pour laver le système canalaire des derniers débris mis en suspension par l’EDTA, le choix de la solution de rinçage reste sujet à controverse :
– soit l’on décide de rincer le canal avec de l’hypochlorite de sodium et, dans ce cas, il faut limiter sa concentration (2,5-3,5 %) pour ne pas augmenter le risque d’érosion dentinaire ;
– soit on rince au sérum physiologique, ce qui permet d’éliminer l’excédent d’EDTA et les débris mais nécessite une solution supplémentaire.
Cependant, l’EDTA a une action chélatante autolimitative, c’est-à-dire que la déminéralisation est de 20-30 µm à 5 minutes puis 30-40 µm au bout de 30 minutes pour stopper à 50 µm au bout de 24-48 heures. Cette autolimitation serait le fait des changements de pH pendant la déminéralisation de la dentine. Sachant que le temps d’action dans le canal ne doit pas excéder 3 minutes et que le séchage aux pointes de papier permet d’absorber l’excès de solution, une étude in vitro a montré qu’en microscopie électronique à balayage (MEB), l’état de surface des parois canalaires n’était pas modifié après séchage sans rinçage d’une solution d’EDTA à faible concentration (8 %).
La rotation continue a considérablement modifié l’approche du traitement endodontique. Souvent synonyme de gain de temps pour les praticiens, l’utilisation de la rotation continue a parfois conduit à une réduction du temps nécessaire et minimal de l’étape de l’irrigation. Il ne faut pas oublier que l’irrigation commence dès l’ouverture de la chambre pulpaire et que son action se poursuit jusqu’au moment du séchage des canaux avant la mise en place d’une médication interséance ou de l’obturation canalaire définitive. Le temps requis pour optimiser les propriétés des différentes solutions (NaOCl et EDTA) est au minimum de 20 à 30 minutes.
L’idée de ne pas utiliser de limes pour préparer le système canalaire peut paraître séduisante quand on considère la complexité de l’anatomie canalaire et que l’on recense les inconvénients actuels de la préparation canalaire mécanique : absence de préparation de la totalité de l’endodonte (isthmes et parois non instrumentées), risque de fracture instrumentale, création d’un enduit pariétal à éliminer… Dès 1993, Lussi a proposé la NIT (non instrumental technique) pour préparer et obturer des canaux. Le principe était fondé sur un nettoyage automatisé du système canalaire par des turbulences hydrodynamiques générées par des variations de pression sous l’action d’un moteur produisant une fréquence d’environ 200 Hz. Ces turbulences permettaient le renouvellement du liquide de rinçage (NaOCl 1-5,25 %). Cette technique devait être réalisée sous vide (15 millibars). L’appareillage, la nécessité d’obtenir un vide le plus complet possible et l’absence de résultats positifs in vivo sur animal n’ont pas permis une diffusion importante de cette méthode dont les résultats n’ont été satisfaisants qu’in vitro.
La difficulté actuelle est d’apporter de façon tridimensionnelle la solution d’irrigation au plus près des bactéries qui colonisent les tubules et les isthmes souvent non atteints par les instruments endodontiques. Les voies de recherche s’orientent beaucoup vers les moyens d’activation des solutions que nous avons décrits, voire vers des techniques d’antisepsie utilisant le laser, l’ozone ou la photoactivation. Chercheurs et industriels se penchent toujours sur l’idée d’une préparation plus biologique et moins mécaniste qui passera certainement, dans les années à venir, par une réduction de l’utilisation d’instruments endodontiques à la faveur d’une ou deux solutions qui pourraient répondre aux objectifs de l’irrigation canalaire, tout en étant actives sur le biofilm bactérien endocanalaire comme les techniques de photodésinfection actuellement étudiées par plusieurs équipes européennes.
Tant que cette problématique n’est pas résolue, l’irrigation, considérée comme l’étape clé de l’antisepsie en endodontie, doit faire l’objet d’un protocole précis pour ce qui concerne les solutions utilisées : concentration, volume, temps d’application.
• Haute Autorité de santé. Le traitement endodontique : rapport d’évaluation technologique. Paris : HAS, 2008 : 29-31.
• Les dossiers de l’ADF. Médicaments et dispositifs médicaux en endodontie : les solutions d’irrigation endodontiques. Paris : ADF, 2008 : 14-24.