Clinic n° 05 du 01/05/2010

 

PRÉVENTION

Lucienne BIGEARD*   Raphaël BOUDAS**   Anne-Marie MUSSET***  


*Maître de conférences des Universités, praticien
hospitalier, Section épidémiologie-prévention
Faculté de chirurgie dentaire de Strasbourg
1, place de l’Hôpital
67000 Strasbourg
**Docteur en chirurgie dentaire
Faculté de chirurgie dentaire de Strasbourg
1, place de l’Hôpital
67000 Strasbourg
***Professeur des Universités, praticien
hospitalier, Section épidémiologie-prévention
Faculté de chirurgie dentaire de Strasbourg
1, place de l’Hôpital
67000 Strasbourg

En France, moins de 20 % de la population concentrent près de 60 % des besoins en soins dentaires. On décrit ainsi des groupes minoritaires ayant une prévalence de la carie supérieure à la moyenne. Face à ces inégalités, l’identification du patient à risque carieux est nécessaire. Les tests d’évaluation des paramètres salivaires permettent une appréciation objective du risque carieux du patient afin de déterminer, avec lui, un programme de prévention adapté.

La prévalence de la carie dentaire a connu une nette diminution dans les pays industrialisés au cours des dernières décennies. Les facteurs responsables sont multiples et difficiles à individualiser. Les habitudes alimentaires (consommation de sucres, rythme des repas et des collations), le mode de vie, la qualité de l’accès aux soins, l’hygiène bucco-dentaire et les apports de fluorures par les voies systémique et topique concourent tous à influencer l’état bucco-dentaire de la population.

Depuis les années 1970, le facteur majeur et déterminant dans la diminution de la carie, que ce soit en France ou dans l’ensemble des pays industrialisés, est certainement le développement de l’utilisation de fluor sous toutes ses formes [1-3].

Non seulement la prévalence de la carie a diminué mais également la gravité de l’atteinte carieuse s’est globalement réduite. C’est la conséquence d’un meilleur suivi des patients et d’une détection plus précoce des caries grâce à des programmes de prévention et de dépistage réguliers.

Dans des populations présentant une amélioration générale de l’état dentaire, on décrit toutefois des groupes minoritaires qui ont une prévalence de la carie supérieure à la moyenne. Moins de 20 % de la population peuvent concentrer près de 60 % des besoins en soins dentaires [4]. Face à ces inégalités devant la maladie, l’identification du patient à risque carieux est nécessaire. La difficulté, pour l’épidémiologiste comme pour le praticien, réside dans l’identification de ces groupes à risque avant qu’ils ne soient atteints par la maladie.

La revue des études épidémiologiques permet de recenser globalement les facteurs augmentant les risques de carie dans diverses populations. Mais une fois ce travail effectué, se pose le problème du choix de la stratégie préventive optimale pour chaque individu identifié. La prolifération de l’information scientifique disponible sur la santé bucco-dentaire rend nécessaire la recherche d’une approche « fondée sur la meilleure preuve » (EBD : evidence-based dentistry). Celle-ci nous permettra de définir des protocoles individualisés de prise en charge des patients à risque carieux. Encore faut-il maîtriser la détermination du risque carieux de chaque patient, cette détermination faisant appel à des critères établis selon les protocoles évoqués ci-dessus (EBD) mais aussi largement à l’appréciation personnelle du praticien.

La carie dentaire dans le monde

La carie dentaire reste un problème majeur de santé publique dans de nombreux pays industrialisés. Elle y affecte de 60 à 90 % des enfants d’âge scolaire et la grande majorité des adultes. Elle est également très importante en Asie et en Amérique latine, alors que l’atteinte carieuse est moins sévère dans les pays africains [2, 5].

Les enfants

Les indices très bas relevés en Amérique du Nord résultent de mesures de prévention collective fondées principalement sur la fluoruration de l’eau de boisson. De plus, la population dispose largement de produits fluorés et bénéficie de mesures de prévention individuelles [6]. En Europe, les indices CAOD (dents adultes cariées, absentes et obturées) sont inférieurs à 2 pour l’ensemble des pays qui ont mis en place des programmes de fluoration. Les pays qui ont commencé plus de 15 ans avant la France atteignent même des indices inférieurs à 1.

L’amélioration spectaculaire de la santé buccodentaire semble connaître un seuil limite en dessous duquel il est difficile de descendre [5, 7]. La carie dentaire n’est pas éradiquée mais seulement contrôlée jusqu’à un certain niveau.

Quant aux pays d’Europe centrale et de l’Est, qui ont été confrontés à divers problèmes, ils ont vu leurs indices CAOD augmenter largement au-dessus de 2 [8, 9].

Les adultes

Chez les adultes jeunes, les actions de prévention montrent leurs effets et on observe une diminution des caries dans les pays où l’amélioration de l’état dentaire a débuté dans les années 1970. On assiste à une amélioration de cet état dans les pays industrialisés [10]. En corollaire, on observe une diminution du nombre de dents cariées et non traitées, de l’édentation et des prothèses dentaires [8].

La carie dentaire en France

Les enfants et les adolescents

En France, les différentes enquêtes épidémiologiques nationales ont montré une importante diminution de la prévalence de la carie dentaire à tout âge chez les enfants et les adolescents. [11 -14]. Le pourcentage d’enfants de 6 ans totalement indemnes de carie a augmenté (32,2 % en 1987, 48,6 % en 1991 et 63,4 % en 2006). Des enquêtes régionales montrent également une amélioration et, actuellement, on estime à 55,5 % la proportion d’enfants sans caries à l’âge de 6 ans. Les premières molaires permanentes sont particulièrement atteintes : une étude réalisée par la Mutualité sociale agricole (MSA) en 1997 [15] a conclu que 85 % des premières molaires de ses assurés âgés de 20 à 24 ans étaient cariées, absentes ou obturées. Dans une population âgée de 7 à 22 ans, les remboursements des soins des premières molaires permanentes de la MSA représente 40 % des soins conservateurs, 65 % des soins prothétiques et 12 % des extractions.

Le CAOD à 12 ans était évalué à 1,23 en 2006 [14]. Toutefois, une étude de 2008 dans l’est de la France [4] décrit un indice CAOD à 12 ans supérieur ou égal à 4 chez plus de 20 % des enfants et confirme ainsi les résultats des études précédentes de 1998 où 20 % de la population cumulaient 80 % des caries [13].

Les adultes

En France, dans la tranche d’âge 35-44 ans, on a relevé en 1994 un indice CAOD moyen de 14,6 ; il s’élevait à 23,3 pour la tranche d’âge 65-74 ans en 1995 [16, 17]. De façon générale, bien que la prévalence des caries ait diminué de façon notable chez les jeunes adultes dans plusieurs pays industrialisés, elles continuent à être la principale raison de l’édentation. On constate qu’un enfant indemne de caries a plus de chances qu’une autre d’être un adulte indemne de caries.

Les raisons de l’amélioration de l’état bucco-dentaire

La diminution de la proportion de dents cariées et non traitées traduit une meilleure fréquentation des cabinets dentaires et un haut niveau de soins dentaires. Mais l’hygiène bucco-dentaire chez l’enfant, objectivée par les relevés d’indice de plaque, ne s’est pas améliorée de manière significative [11, 12].

Les objectifs fixés par l’Organisation mondiale de la santé pour l’année 2015 sont les suivants : 80 %, d’enfants de 6 ans indemnes de caries ; à 12 ans : CAOD inférieur à 1,5 ; à 18 ans : pas de dents absentes pour cause de carie ; tranche d’âge 35-44 ans : CAOD inférieur à 10, moins de 2 % d’édentés, 90 % avec au moins 20 dents naturelles ; tranche d’âge 65-74 ans : moins de 10 % d’édentés.

En France, malgré une amélioration très importante de la santé dentaire, tous les objectifs fixés par l’OMS ne sont pas atteints. Il semble qu’on assiste à un arrêt de l’évolution de l’amélioration de l’état dentaire de la population. Les mesures en place ne semblent pas permettre d’éradiquer totalement la maladie carieuse [18].

L’étiologie et l’évolution de la maladie carieuse

La carie dentaire est une pathologie infectieuse transmissible. Des bactéries spécifiques acidogènes colonisant les surfaces dentaires sont reconnues comme le facteur étiologique de la carie dentaire. Une baisse du pH provoquée par une prise alimentaire de glucides métabolisés par les bactéries crée les conditions d’une déminéralisation de la surface de l’émail. Une remontée de pH permet une précipitation des ions minéraux présents, principalement les ions calcium et phosphate mais aussi les autres ions d’origine alimentaire ou thérapeutique. Le processus carieux se déclenche lorsque les séquences de déminéralisation prennent le pas sur la reminéralisation pouvant aller jusqu’à la dissolution du cristal.

Le biofilm bactérien

La flore buccale se constitue dès la naissance, à partir de l’environnement et principalement au contact de la flore maternelle, ainsi qu’entre l’âge de 7 et 30 mois, au cours de la mise en place de la denture temporaire, période qualifiée de « fenêtre d’infectiosité » [19]. Ultérieurement, l’éruption des premières dents fournit les niches et les sites de fixation des bactéries. Celles-ci adhèrent aux surfaces dentaires par l’intermédiaire de la pellicule exogène acquise d’origine salivaire et vont former des coagrégats. C’est ainsi que la colonisation initiale par les streptocoques (Streptococcus salivarius, Streptococcus mitis) est suivie d’une coagrégation avec des actinomycètes (Actinomyces odontolyticus) pour former, à la surface des dents, un biofilm bactérien sur lequel d’autres bactéries pourront alors se fixer. Ces colonisations successives aboutissent à la constitution d’un biofilm oral de plus en plus complexe, appelé communément la plaque dentaire.

Les facteurs modificateurs de risque

Le processus infectieux qui est à l’origine de la maladie carieuse est influencé par des facteurs qui varient d’un individu à l’autre et qui modifient le risque carieux [19, 20]. Les facteurs de risque de la carie dentaire sont les facteurs associés significativement à une augmentation du risque d’installation ou de progression d’une pathologie identifiée dans des études prospectives. Ils sont soit externes, ou exogènes, liés à l’alimentation, au comportement : la prise itérative de sirops pédiatriques sucrés, par exemple, est un facteur d’augmentation du risque carieux [21] ; soit internes, ou endogènes (structure des tissus dentaires, quantité et qualité de la salive) [22].

Une salive abondante à pouvoir tampon suffisant est un facteur qui diminue le risque carieux. À l’inverse, une hyposialie ou bien le manque de facteurs immunitaires dans la salive augmente ce risque.

La détermination individuelle du risque carieux [23]

La revue des études épidémiologiques a permis de recenser globalement les facteurs augmentant les risques de carie dans diverses populations. Dans des populations présentant une amélioration générale de l’état dentaire grâce aux programmes collectifs de prévention fondés principalement sur le fluor, on décrit des groupes minoritaires qui ont une prévalence de la carie supérieure à la moyenne [20]. Moins de 20 % de la population peuvent concentrer près de 60 % des besoins en soins dentaires [10]. Pour déterminer le niveau de risque carieux d’un patient, il faut évaluer l’importance de ses facteurs de risque [24].

Les tests d’évaluation du risque carieux

Le taux de Streptococcus mutans est un prédicteur de la carie dentaire chez les jeunes enfants [15]. La numération des colonies de S. mutans et de lactobacilles peut être réalisée au cabinet dentaire, aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte, et permet de déterminer l’importance de la colonisation bactérienne. Un certain nombre de tests sont disponibles (Ivoclar Vivadent, GC Corporation) [25, 26].

• Les tests salivaires de quantification de S. mutans

Les tests salivaires de quantification permettent une appréciation objective du risque carieux car le taux salivaire de S. mutans est corrélé positivement à l’incidence carieuse. Ce taux reflète l’incidence carieuse car S. mutans est responsable de la phase de déclenchement de la lésion carieuse alors que les lactobacilles oraux ont un rôle dans l’évolution de cette lésion [27].

Deux types de tests sont utilisables au cabinet dentaire : les tests à lecture retardée et les tests à lecture immédiate.

• Les tests à lecture retardée : CRT Bacteria® (Ivoclar Vivadent) [25]

Après mastication d’un bloc de paraffine et recueil de la salive dans le gobelet gradué, ensemencement et incubation pendant 48 heures dans une étuve à 37°C d’une plaquette de gélose, on peut, par comparaison avec la référence fournie par le fabriquant, évaluer le nombre d’unités formant colonies (UFC) (fig. 1 et 2).

Interprétation

Un taux salivaire de S. mutans

– supérieur à 105 UFC/ml correspond à un risque carieux élevé ;

– inférieur à 105 UFC/ml correspond à un risque carieux faible.

Intérêts et limites des tests à lecture retardée

L’utilisation de ces tests est simple et ils représentent un excellent outil de motivation du patient qui visualise les colonies bactériennes sur les géloses après incubation. La comparaison de deux tests effectués chez le même patient avant et après modification des habitudes d’hygiène permet de concrétiser visuellement la diminution des colonies bactériennes. Bien que le délai de 48 heures reste raisonnable, les patients sont parfois en demande d’une réponse rapide. La binarité du résultat (risque élevé/risque faible) ne permet pas une quantification exacte du nombre de colonies (celle-ci est plus coûteuse et ne peut être réalisée au cabinet), sa précision est toutefois suffisante pour sensibiliser le patient et le motiver à la santé bucco-dentaire.

• Les tests à lecture immédiate : Saliva-Check Mutans® (GC Corporation)

Fondés sur le principe d’une détection rapide des S. mutans par utilisation des techniques d’immunohistochimie, les tests à lecture immédiate [26] font intervenir des anticorps monoclonaux spécifiques. Le test change de couleur lorsque le taux salivaire de S. mutans dépasse la valeur de 5.105 U/ml de salive (fig. 3).

Interprétation

On réalise la quantification du taux salivaire de S. mutans en U/ml de salive par lecture visuelle directe de la fenêtre de test. Le taux salivaire de S. mutans est donc classé selon deux niveaux d’exposition : supérieur ou inférieur à 5.105 U/ml de salive.

Si le taux salivaire de S. mutans est supérieur à 5.105 U/ml de salive, on est en présence d’un risque carieux élevé (présence d’une ligne rouge à la fenêtre T), alors que s’il est inférieur à 5.105 U/ml de salive, cela correspond à un risque carieux faible (absence d’une ligne rouge à la fenêtre T).

Avantages et limites des tests à lecture immédiate

L’avantage principal de ces tests est la rapidité d’obtention du résultat (15 min) au prix d’une manipulation rigoureuse et du suivi du protocole opératoire. L’interprétation demande une certaine expérience.

Les tests d’évaluation du pouvoir tampon salivaire

Le pouvoir tampon reflète la capacité salivaire à tamponner le pH buccal, c’est-à-dire à limiter l’acidification du milieu due à la dégradation des glucides alimentaires par les bactéries buccales. Il existe différents tests permettant de mesurer le pouvoir tampon salivaire de manière presque immédiate : CRT Buffer® d’Ivoclar Vivadent [25] et Saliva-Check Buffer® de GC Corporation [26].

Le test CRT Buffer® (Ivoclar Vivadent)

Le CRT Buffer permet de déterminer le pouvoir tampon de la salive au moyen d’une bandelette de test munie d’un indicateur spécial. La salive stimulée est recueillie dans un gobelet gradué.

La détermination du taux de sécrétion salivaire (ml/min) est alors réalisée :

– sécrétion normale : 1 ml/min ;

– sécrétion faible : < 0,7 ml/min.

À l’aide d’une pipette, on dépose de la salive sur toute la partie test jaune de la bandelette. Pour déterminer le pouvoir tampon de la salive, on compare la couleur de la plage de test avec celle de la fiche d’interprétation.

Le test Saliva-Check Buffer® (GC Corporation)

Fondé sur le même principe que le précédent (fig. 4), il permet, en outre, de mesurer directement le pH salivaire. Pour cela, il suffit de prélever un échantillon de salive dans une coupelle et d’imprégner tout d’abord les languettes de papier pH pour la mesure du pH salivaire. La lecture s’appuie sur la différenciation colorimétrique du papier en fonction du pH de la solution, l’échelle de pH du fabricant allant de 5,0 à 7,8.

Intérêts et limites des tests d’évaluation du pouvoir tampon

L’avantage des tests du pouvoir tampon salivaire est leur rapidité d’exécution et de lecture (lecture immédiate). Ces tests sont donc très utiles pour l’évaluation du risque carieux du patient car le pouvoir tampon salivaire en est un paramètre important. Cependant, le risque carieux devra être évalué à partir de l’ensemble des critères tels que le taux de bactéries cariogènes, le débit salivaire, les antécédents bucco-dentaires du patient (facteurs socio-économiques, facteurs alimentaires).

L’évaluation des facteurs de risque du patient

La difficulté, pour l’épidémiologiste, réside dans l’identification des enfants ou groupes à risque avant qu’ils ne soient atteints par la maladie. L’étude de la prévalence de la carie en denture temporaire vers l’âge de 3 ans semble avoir une valeur de prédiction limitée pour identifier les enfants qui développeront plus tard des caries des dents permanentes. Cela est peut-être dû à la diminution de la prévalence de la carie observée et à l’influence des programmes de traitements sur l’histoire naturelle de la maladie [3]. L’utilisation de fluorures, le niveau d’hygiène bucco-dentaire, la présence de S. mutans, le niveau d’instruction de la mère et les habitudes alimentaires sont des facteurs à prendre en compte et à réévaluer régulièrement. La plupart de ces facteurs peuvent considérablement évoluer dans le temps pour un enfant donné [7]. Un niveau socio-économique défavorable est constamment un facteur d’aggravation de l’état de santé des enfants. L’apport de fluorures systémiques aux populations défavorisées réduit significativement les inégalités vis-à-vis de la carie dentaire [28, 29]. L’évaluation des facteurs de risque d’un patient a pour but de permettre de déterminer une stratégie de prophylaxie individuelle de la carie.

Application. Évaluation des facteurs de risque fondée sur l’expertise clinique chez le patient fragilisé : atteint de polyarthrite rhumatoïde [30]

Le patient fragilisé est caractérisé par un état physiopathologique entraînant un accroissement du risque d’apparition de pathologies bucco-dentaires. Il existe de nombreuses pathologies systémiques pouvant fragiliser l’individu et augmenter les facteurs de risque d’atteinte carieuse ou parodontale. Certaines d’entre elles peuvent diminuer les défenses immunitaires de l’individu, ce sont les immuno-déficiences acquises ou innées (aplasies médullaires, agranulocytoses chroniques). D’autres modifient certains paramètres physiologiques pouvant augmenter le risque d’apparition de pathologies bucco-dentaires telles que les maladies auto-immunes (polyarthrite rhumatoïde, lupus, syndrome de Gougerot-Sjögren). Le praticien doit donc évaluer individuellement le risque carieux pour ces patients fragilisés qui nécessitent une prise en charge spécifique et des mesures prophylactiques appropriées.

Une étude a été réalisée dans le cadre du Département d’épidémiologie et de santé publique de la faculté de chirurgie dentaire de Strasbourg (Pr. A.-M. Musset, Dr L. Bigeard). Cette étude exploratoire descriptive transversale avait pour but d’évaluer la santé bucco-dentaire de patients hospitalisés atteints de polyarthrite rhumatoïde. Elle a porté sur 41 sujets, âgés de 18 à 84 ans, hospitalisés dans le service de rhumatologie de l’hôpital de Strasbourg-Hautepierre (Pr J. Sibilia). Une grande majorité (70 % ; extrêmes : 0,56-0,84) d’entre eux étaient âgés de 50 à 69 ans (âge moyen : 57,8), avec 80 % (extrêmes : 0,68-0,92) de femmes.

Ces patients étaient fragilisés en raison de l’impotence fonctionnelle due aux atteintes articulaires altérant leur hygiène bucco-dentaire. De plus, la prévalence du syndrome de Gougerot-Sjögren associée à la polyarthrite rhumatoïde étant très importante, ce syndrome entraîne une diminution du flux salivaire pouvant alors augmenter le risque carieux.

Les tests d’évaluation clinique des facteurs de risque carieux Ivoclar Vivadent ont été utilisés. Afin d’évaluer le risque carieux de cette population, l’étude a mesuré le pouvoir tampon salivaire, le débit salivaire en ml/min et les taux de S. mutans et de lactobacilles salivaires (en UFC/ml). Elle a mis en évidence une forte proportion de patients présentant un taux de S. mutans supérieur à 105 UFC/ml de salive, taux qui est corrélé à un fort risque carieux lorsqu’il dépasse 105 UFC/ml de salive. Le pouvoir tampon salivaire était fortement altéré pour presque la moitié de l’échantillon et associé à un débit salivaire diminué pour plus de 40 % des sujets.

L’évaluation globale des paramètres cliniques salivaires est donc en faveur d’un risque carieux élevé pour cette population fragilisée et justifie alors une prise en charge spécifique afin de mettre en place les actions de prévention et les soins nécessaires.

Conclusion

Les techniques décrites ici optimisent la prise en charge par l’adaptation des thérapeutiques au véritable risque carieux du patient. De plus, ce sont des arguments très efficaces, le patient prenant conscience de la nécessité d’une bonne hygiène bucco-dentaire par la démonstration scientifique du praticien.

L’utilisation de ces tests permet donc de pérenniser les soins et les reconstructions prothétiques par le maintien d’une hygiène bucco-dentaire de qualité. Cette démarche s’inscrit donc dans l’évolution de l’exercice du chirurgien-dentiste passant d’un modèle traditionnel mécaniste à une approche médicale préventive [17]. Le patient à risque carieux avéré pourra ainsi bénéficier des acquis validés en matière de prévention bucco-dentaire : motivation à l’hygiène, fluoration topique (applications de fluorures topiques, scellement des puits et fissures) et fluoration systémique pour l’enfant de la naissance à l’âge de 12 ans (eaux de boisson, sel, comprimés) [28].

Si, au troisième millénaire, la qualité technique de la prise en charge thérapeutique continue de progresser comme elle l’a fait de manière exponentielle au cours du XXe siècle, l’approche préventive deviendra prépondérante. On peut en résumer simplement la philosophie de la manière suivante :

– privilégier une prise en charge globale du patient en intégrant ses caractéristiques physiques mais aussi psychiques et sociales lors de l’élaboration du programme de prévention ;

– faire participer activement le patient à la prise de décisions en utilisant les moyens pédagogiques actuels de motivation (visualisation de la plaque dentaire, analyse des paramètres salivaires…) et d’information ;

– informer et éduquer le patient, le motiver à maintenir un excellent niveau d’hygiène bucco-dentaire.

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