Clinic n° 05 du 01/05/2010

 

INTERVIEW

Anne-Chantal de Divonne  

Près de 10 ans après la publication du livre blanc* sur l’avenir de l’odontologie à l’hôpital, Éric Gérard se veut optimiste. Le président du SNOHP** note plusieurs évolutions positives, la progression des effectifs, le renforcement des services existants et la perspective de mesures financières compensatoires. La loi « hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) constitue aussi une étape fondamentale parce qu’elle crée un internat qualifiant et qu’elle place ainsi l’odontologie au même rang que les spécialités médicales.

Comment a évolué l’odontologie à l’hôpital depuis 10 ans ?

Le nombre des chirurgiens-dentistes qui ont une activité à l’hôpital avec un statut de praticien hospitalier a plus que doublé en 10 ans. Aujourd’hui, il y a 61 praticiens hospitaliers à temps plein et 94 à temps partiel (75 postes à temps plein et 134 postes à temps partiel budgétés selon le Centre national de gestion de la fonction publique hospitalière). Cette évolution positive montre bien que les pouvoirs publics ont pris conscience de l’intérêt de l’odontologie hospitalière. Avec une restriction tout de même, cette progression a plus bénéficié aux services déjà existants. Il n’y a pas eu de création de nouveaux services, ou extrêmement peu.

Autre aspect positif, de nouveaux textes de loi ont donné aux vacataires la possibilité d’avoir des collaborateurs, ce qui n’était pas possible lors de la publication du livre blanc. Cette évolution permet maintenant aux chirurgiens-dentistes libéraux et universitaires de partager leur exercice entre la ville et l’hôpital. Cela bénéficie à l’hôpital qui peut ainsi s’attacher les compétences de praticiens de ville. Il faut aussi noter qu’aujourd’hui, la conférence des chefs de service d’odontologie n’est plus uniquement constituée de chefs de service adossés à des CSERD***, mais élargie aux services d’odontologie des CHU et des CHR.

Il y a 10 ans, vous demandiez un service d’odontologie pour tous les CHU. Qu’en est-il aujourd’hui ?

On constate que ce n’est malheureusement pas le cas : 9 CHU – Angers, Amiens, Besançon, Saint-Étienne, Rouen, Caen, Grenoble, Tours et Poitiers – ne disposent toujours pas de service d’odontologie clairement identifié et placé sous la responsabilité de praticiens hospitaliers odontologistes. Cependant, incités en ce sens par les conférences des doyens et des chefs de service, les pouvoirs publics prennent aujourd’hui conscience de cette nécessité. Ces services d’odontologie pourraient accueillir des étudiants encadrés par des odontologistes et être des terrains de stages pratiques, ce qui serait une des réponses au problème de la formation clinique posé par l’augmentation du numerus clausus.

Les autorités de tutelle semblent aussi se préoccuper des difficultés financières des services d’odontologie.

Quelles mesures financières comptent-elles appliquer ?

Les difficultés financières de nos services résultent de l’inadaptation de la nomenclature actuelle des actes à l’exercice hospitalier. Nous prenons en charge des patients fragilisés – des patients avec de lourds handicaps traités sous sédation, des patients avec des troubles de l’hémostase, des malades victimes de cancer… – qui nécessitent de passer plus de temps au fauteuil que les autres et qui requièrent un plateau technique important. Or, la nomenclature ne prend pas en compte les surcoûts liés aux missions spécifiques de l’hôpital, en dehors d’une hospitalisation. D’où la fragilité de nos comptes de résultat. Il faut ajouter à cela le fait que chaque service doit contribuer au financement de l’infrastructure générale de l’établissement hospitalier. Dans nos comptes de résultat analytiques (CREA), 20 % de nos dépenses sont ainsi affectées aux frais généraux de l’établissement. Une réflexion est aujourd’hui en cours pour créer une mission d’intérêt général (MIG) qui compenserait l’insuffisance de recettes liée à la nomenclature et permettrait un retour à l’équilibre budgétaire.

Les pouvoirs publics ont-ils pris des engagements concrets ?

À très court terme, l’engagement a été pris d’aider les services d’odontologie, qu’ils soient ou non universitaires. Une commission chargée de faire des propositions va prochainement s’installer, c’est dans ce cadre qu’un système de mesures compensatoires sera étudié.

Selon vous, la loi HPST est-elle favorable à l’odontologie hospitalière ?

Oui, car l’odontologie trouve enfin sa place à côté des autres disciplines. Le terme odontologie est utilisé dans plusieurs passages du texte à côté de ceux de médecine, chirurgie et obstétrique lorsque les activités des établissements de santé sont citées. C’est nouveau. Il y a encore 10 ans, le mot odontologie n’apparaissait guère. C’est pour moi le signe que notre discipline est reconnue. Cela dit, le passage le plus important de la loi est l’article 43 qui crée un troisième cycle long d’études en odontologie, appelé internat en odontologie.

Quel est l’intérêt de cet internat pour l’odontologie hospitalière ?

Ces internes seront les spécialistes d’une discipline avec des compétences reconnues à l’égal des autres internes issus de la filière médicale. Les praticiens hospitaliers de demain, à temps plein ou partiel, seront tous issus de l’internat comme le sont déjà tous les praticiens hospitaliers en médecine et en pharmacie.

Nous nous orientons vers un internat qualifiant à trois voies. La voie de l’ODF, en dehors des universités, débouche principalement sur un exercice de ville. Enrevanche, les deux autres voies constituent une évolution fondamentale pour l’odontologie hospitalière.

La voie de la chirurgie orale sera le futur vivier des praticiens à exercice hospitalier dans le domaine de la chirurgie buccale pour des actes nécessitant un plateau technique médicalisé.

Une troisième voie doit permettre de former des praticiens spécialisés pour l’odontologie de recours. Il est question de l’appeler « odontologie polyvalente », ou encore « réhabilitation orale ». Je préférerais lui attribuer le nom de « médecine bucco-dentaire hospitalière ». Quoi qu’il en soit, les praticiens devront y acquérir des compétences pour prendre en charge des malades spécifiques, des personnes handicapées, des personnes âgées dépendantes, des patients atteints de pathologies de médecine interne…

* Le livre blanc Odontologie à l’hôpital : quel avenir ?, rédigé en 1999 par le Syndicat national des odontologistes hospitaliers et préfacé par le président du conseil national de l’Ordre d’alors, André Robert, peut être consulté sur le site du Syndicat : www.snohp.fr

** Syndicat national des odontologistes des hôpitaux publics.

*** Centres de soins, d’enseignement et de recherches dentaires