ÉTHIQUE
Chirurgien-dentiste, titulaire d’une maîtrise de philosophie et d’un master d’éthique médicale et biologique.
La médecine bucco-dentaire est épistémologiquement un art.
L’Organisation internationale de normalisation a publié une norme ISO1 par laquelle on doit désormais désigner, sous l’appellation « médecine bucco-dentaire », les anciennes chirurgie dentaire française et médecine dentaire suisse ou canadienne. J’ai eu cependant le grand regret de lire « que la science odontostomatologique n’est pas un art, mais bien une science médicale ».
Chagrin d’abord, car la science est de la science. Et l’a toujours été. Si on se laissait convaincre par l’idée que seule la science d’aujourd’hui est bien de la science, que faire alors d’un Claude Bernard ? d’un Lavoisier ? La science est une discipline, une activité, une pratique, un art et, à ce titre, l’odontologie n’a pas attendu une norme ISO, ni les années 2000, pour être une activité scientifique. Bien sûr, on peut discuter les méthodes, les « croyances » scientifiques d’une époque, mais nous avons nous-mêmes les croyances scientifiques de notre époque. Ah ! l’arrogance de la dernière pluie.
Ensuite, la « science odontostomatologique » n’est pas la « médecine bucco-dentaire ». Faire de la science n’est pas être un praticien de santé. Un chercheur n’est pas forcément médecin et certains biologistes ont beaucoup fait pour la médecine sans avoir jamais prescrit aucun traitement. Que notre pratique quotidienne repose sur des études scientifiques plus larges et mieux contrôlées, c’est entendu et appréciable. Que la médecine bucco-dentaire soit plus « scientifique », on peut en convenir. Que nous ayons enfin atteint le stade de science, c’est une méprise de fond. Pour deux raisons. La première est que la pratique médicale est un art, une praxis, une jonglerie permanente entre les connaissances, les symptômes, le terrain du patient et le contexte particulier de réalisation des soins2. Ce n’est pas une activité centrée sur la production de connaissances mais d’actions. La seconde est que de la science, quand elle valide un fait, on en attend certitude, reproductibilité et valeur universelle. Et je mets au défi quiconque d’affirmer que c’est ce qu’on peut garantir à un individu lorsqu’il nous consulte.
Cette évolution des normes est à saluer. Et notre exercice restera toujours un « art », une pratique tournée vers l’individu (en témoigne le terme anglais qui reste dentistry). C’est une heureuse synthèse entre les différentes formulations francophones. Veillons en même temps à ce que les moyens et la reconnaissance suivent, car les responsabilités et les capacités que semble solliciter ce terme médicalisé excèdent encore probablement ce que le public et les autorités peuvent accompagner.
« Parmi les dépenses de santé, les soins dentaires occupent une place particulièrement importante. » (Oui peut-être 5 % des dépenses, une cause nationale certainement.) « Les prix sont élevés. » (Pas plus que dans les pays comparables et pour les soins : moins chers qu’en Hongrie !) « Nous mettons à votre disposition un service de conseil. » « Quels sont les honoraires généralement constatés pour ce type de prothèse ? » (Comme si tout était équivalent.) On se plaint de l’Assurance maladie (à raison), mais méfions-nous encore plus de la privatisation totale du système d’assurance santé bucco-dentaire.
1. ISO 1942 : 2009. Voir aussi La Lettre n° 85 de l’Ordre national des chirurgiens-dentistes.
2. C’est d’ailleurs l’evidence based medicine qui reconnaît au praticien ce rôle intégrateur.