Clinic n° 04 du 01/04/2010

 

RÉPONSE D’EXPERT

Adeline HUET  

Assistante hospitalo-universitaire
Faculté d’odontologie de Rennes
Service odontologie pédiatrique

Nous connaissons bien sûr la gestion médicamenteuse et comportementale de l’anxiété. Nous apprécions tous les jours les analgésiques (anesthésiques) dans la gestion de la douleur. Il existe, aux côtés de ces différentes techniques « conventionnelles », des techniques non pas alternatives, mais différentes, qui peuvent s’avérer complémentaires et d’efficacité parfois spectaculaire. Vos paupières sont lourdes, très lourdes ? Et pourtant vous allez ouvrir les yeux sur l’hypnose et sa pratique en odontologie.

Dans notre pratique, nous sommes très souvent confrontés à des situations de tension et de stress chez de nombreux patients.

La communication hypnotique rend possible de détourner l’attention du patient pour la focaliser sur son monde intérieur.

Ainsi, nous encourageons les changements dans la manière de penser, de sentir et de se comporter à l’aide de suggestions.

Quel forme d’hypnose pratique-t-on aujourd’hui ?

Lorsque l’on évoque le terme « hypnose », les idées qui nous viennent en tête sont bien souvent teintées d’étrange. On imagine le pouvoir d’un individu sur un autre, l’obligeant à obéir à des ordres mêmes insensés. On se représente un patient s’endormant en suivant un pendule. On pense fluide magnétique, magie, music-hall…, bref toute une série de choses qui n’ont qu’un rapport très lointain avec l’hypnose médicale telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui.

L’hypnose « médicale » du début du XIXe en France est une hypnose traditionnelle. Elle est autoritaire, les suggestions sont directes et stéréotypées. Cette technique ne respecte pas les pensées du sujet.

Aujourd’hui on parle d’hypnose ericksonienne en référence à Milton Erickson, psychiatre américain du XXe siècle (1901-1981). Dans l’hypnose ericksonienne, l’intégrité et le libre choix sont entièrement respectés. Le thérapeute est le compagnon du patient. Il le conduit vers ses ressources intérieures.

Comment définir l’hypnose ?

L’hypnose est définie comme un état de conscience modifié, induit chez une personne par une autre personne. Il s’agit d’un fonctionnement mental particulier faisant apparaître un ensemble de modifications qui le différencie de l’état de veille habituel. On peut le comparer à un état semblable à celui qui précède l’endormissement mais le patient reste éveillé et est capable de communiquer avec l’hypnotiseur. Tout le monde a vécu une situation de transe hypnotique sans pour autant s’en rendre compte. Par exemple, faire un trajet en voiture et, à l’arrivée, être incapable de se rappeler le trajet, ou être plongé dans un livre, dans un film au point d’oublier son entourage… Chacun a donc connu ce qu’est la transe spontanée, ou transe naturelle. L’hypnose médicale est une transe induite, dans un but thérapeutique, par une autre personne. Elle a pour objectif d’amplifier un fonctionnement naturel de l ’esprit et de favoriser une dissociation suffisante et stable.

L’hypnose, présente-t-elle un intérêt dans notre pratique ?

L’hypnose est un adjuvant efficace pour contrer les effets du stress, de la peur et de la douleur, autant chez le patient que chez le praticien. Elle modifie également les rapports entre le praticien et son patient. La place donnée à l’amélioration du vécu favorise une meilleure relation de confiance du patient mais permet aussi une meilleure gestion du cabinet et des conflits (avec les patients, avec les assistantes, les confrères…).

D’un point de vue scientifique, comment agit la suggestion hypnotique ?

L’activité du cerveau est décrite, traditionnellement de la façon suivante : l’hémisphère gauche produit le langage scientifique ; le langage de l’hémisphérique droit est celui des images. Il communique des émotions plus que des idées, des métaphores plus que des concepts.

L’hypnose permettrait l’inhibition des messages du cerveau gauche (rationnel, logique et concret) et le renforcement des messages du cerveau droit (imaginaire, intuitif et abstrait). L’inhibition progressive du côté gauche réduirait les perceptions extérieures et permettrait au patient de ne réagir qu’à la voix du thérapeute.

L’hypnose provoque des changements neurophysiologiques, émotionnels, cognitifs et peut dans certains cas agir sur la perception de la douleur et son vécu émotionnel.

Y a-t-il des compétences requises pour pratiquer l’hypnose ?

Oui. L’hypnose demande une connaissance des étapes : établir une relation hypnotique, induire la transe et la dissociation, accompagner et induire la réassociation. Une formation initiale et continue est obligatoire et le patient doit être volontaire.

Il faut savoir transmettre l’information et, pour cela, connaître les effets de l’information transmise en utilisant le bon langage et la bonne forme de communication. Cette information peut être transmise de deux façons par le langage verbal et non verbal. Par ce dernier, nous sous-entendons une attitude empathique.

Le langage est très important. L’inconscient n’entend pas la négation. Pour exemple, si une personne mal avisée dit : « Ne vous inquiétez pas, n’ayez pas peur, vous n’allez pas avoir mal », le patient, lui, n’entendra que : « inquiétez, peur, mal ».

Tout le monde peut-il être hypnotisé ?

Nous sommes tous « suggestibles », c’est-à-dire que nous avons tous la capacité d’accepter les suggestions. Pour être efficaces, les suggestions doivent être individualisées et tenir compte du contexte et des représentations du patient.

Il y a néanmoins des limites avec les enfants de moins 3 ans avec qui la discussion peut être difficile et les personnes avec des problèmes psychiatriques, névrotiques.

Comment se déroule une séance hypnotique ?

Les différentes étapes de la séance sont :

• l’entretien ;

• l’induction hypnotique ;

• l’approfondissement de la transe ;

• le soin dentaire ;

• la réorientation du patient.

L’entretien avec le patient : il permet de faire une observation clinique du patient, de son passé médical et dentaire, et d’évaluer son profil psychologique. Le patient nous livre ses loisirs, ce qu’il aime, son environnement familial mais aussi ce qu’il pense de l’hypnose, ses connaissances sur le sujet, ses appréhensions face à cette technique. Le praticien corrige, au besoin, certaines mauvaises conceptions susceptibles de l’enfermer dans un état défensif et méfiant. Il doit lui expliquer clairement la ligne de conduite et les diverses étapes qu’il entend suivre.

L’induction : le patient est invité à se concentrer sur les muscles de son visage et à décontracter chaque groupe musculaire ; la respiration et son contrôle sont très importants dans toute relaxation ; le praticien répétera souvent ce « leitmotiv » : votre respiration est calme et régulière. La relaxation corporelle permet au patient de se détendre afin de favoriser une meilleure ouverture buccale, un ralentissement du rythme cardiaque et respiratoire et également une meilleure efficacité de l’anesthésie. En fait, après la préparation du patient, c’est probablement l’étape la plus importante de l’intervention hypnotique.

Puis débute l’induction hypnotique en utilisant des suggestions et des métaphores.

Le praticien guide le patient vers un état de transe hypnotique légère caractérisé par différents signes : diminution de la déglutition, regard fixe ou mouvements latéraux horizontaux des yeux si les paupières sont fermées, relâchement des muscles de la face (fig. 1 et 2).

Le patient se détache petit à petit de son cadre de référence. Le déroulement est propre au praticien et au patient.

La dissociation : c’est le moment ultime de l’induction. La transe hypnotique se caractérise par la dissociation mentale et, sur le plan corporel, le patient devient cataleptique, c’est-à-dire engourdi ou immobile.

C’est un phénomène moteur qui survient fréquemment pendant les transes hypnotiques. Il est surtout observé au niveau des extrémités, particulièrement au niveau des doigts. La catalepsie peut être généralisée mais reste le plus souvent limitée à une portion du corps. C’est un phénomène spectaculaire qui étonne le patient lorsque celui-ci constate, par exemple, que son bras conserve la position que le thérapeute lui donne. Le corps peut se laisser aller à ses propres mouvements, à ses propres gestes.

Le patient vagabonde dans un univers agréable.

L’état hypnotique : durant la transe, l’imagination n’a plus rien d’une simple rêverie fantaisiste. En fait, le vécu l’emporte sur le réel. Le basculement dans cet état se fait quand la réalité interne devient plus importante que sa réalité externe.

L’état d’éveil : ce moment peut aussi être utilisé pour introduire des suggestions post-hypnotiques, sortes de prescriptions verbales, disséminées à travers le discours.

Comment réaliser une induction hypnotique ?

Les suggestions indirectes, vecteurs de l’induction hypnotique, ont pour objectif d’obtenir la dissociation. Cette technique permet de travailler avec le corps au cabinet pendant que l’esprit voyage ailleurs. La suggestion n’est pas seulement verbale ou auditive, elle peut faire appel à tous les sens : olfactif, gustatif, tactile et visuel.

L’objectif est de maintenir l’attention du patient et de stimuler sa motivation en utilisant des suggestions simples et faciles à suivre. Il ne faut pas hésiter à employer certaines techniques de répétition. Il est important d’utiliser le vocabulaire du patient. Le langage doit être travaillé dans le fond et la forme. On parle « d’une grande asepsie dans le verbe et dans le geste ». Le patient définit seul son monde. Le temps présent et les tournures affirmatives sont utilisés car l’inconscient a tendance à retenir les mots que celles-ci dénient davantage que la négation elle-même. Il est important d’utiliser des tournures encourageantes et valorisantes : c’est un recadrage positif des comportements du patient. Il faut laisser à ce dernier le temps de répondre : l’état hypnotique provoque une certaine distorsion du temps. Le praticien adapte sa voix : le ton, le ralentissement du débit de parole, l’ajustement de la cadence des phrases et les mouvements respiratoires. La voix est primordiale car c’est le seul lien qui l’unit à son patient. Elle doit être monotone et douce, et à la fois ferme lorsque l’on veut insister sur quelque chose.

Cette pratique est une aide qui vient compléter notre arsenal thérapeutique afin de faciliter certains gestes nécessitant l’anesthésie ou tout simplement la relaxation. Ce n’est pas seulement une nouvelle technique, elle apporte également un autre regard sur les soins, sur les relations avec le personnel et surtout avec le patient. Non seulement elle permet d’apporter un soutien au patient mais également elle nous aide dans notre vie personnelle et professionnelle. C’est une autre façon de communiquer qui peut compléter et améliorer notre façon actuelle de travailler.

Pour en savoir plus, vous pouvez contacter le Docteur Claude Vinot à l’Institut Émergences, information@ emergences-rennes.com

Lectures conseillées

Allain F. L’hypnose : applications en odontologie. Inf Dent 2003 ; 19 : 1247-1250.

Huet A, Lucas MM, Robert JC, Wodey E. Soins dentaires chez l’enfant. Évaluation d’une technique hypnotique. Inf Dent 2007 ; 89 : 414-416.

Ruysschaert N. Hypnose et phénomènes hypnotiques, assistance préliminaire en cas de stress pour le patient et le dentiste. Rev Belge Med Dent 2003 ; 58 : 105-117.

Vinckier F, Vansteenkiste G. Stratégie pour traiter les patients anxieux. Rev Belge Med Dent 2003 ; 58 : 209-220.

Virot C. Recherches et succès cliniques de l’hypnose contemporaine. Gap : Le Souffle d’Or, 2007.