Petit ou grand, le changement de type d'exercice après une quinzaine d'années, cela se prépare. Se poser les bonnes questions et bien définir ses objectifs est essentiel pour le mener à bien. Témoignages.
nAspiration à travailler dans de meilleures conditions, à être plus rentable, à retrouver le goût du métier qu'on a choisi... conduisent un jour à l'envie ou au besoin de changer sa façon d'exercer. « Avec une double vie professionnelle de praticien et de syndicaliste, j'étais systématiquement en retard et sous tension permanente... Je subissais toutes ces contraintes. J'étais devenu une caricature. Seule la passion pour mon métier ne s'était pas érodée » reconnaît sans complaisance Éric Verdier qui, à 46 ans, a fait le choix de quitter Paris pour s'installer dans un petit village de la Drôme. Avant de se décider pour ce choix de vie qui supposait de mettre tout en commun (le management, le plateau technique, les honoraires... dans le cadre d'une SELARL), il s'est accordé 3 mois de repos.
Les manifestations de la démotivation peuvent être différentes pour chacun. Elles conduisent toutes au questionnement : que puis-je faire pour travailler comme j'en ai envie ? Mais beaucoup de praticiens peinent à aller jusqu'au bout de la démarche, parce qu'ils ne savent pas comment s'y prendre et que, à leur insu, leurs résistances au changement sont multiples. Pour apporter un éclairage, Laurent Allouche a organisé - dans le cadre du dernier congrès de l'ADF de novembre 2009 - la conférence « Après quinze ans d'exercice, je modifie ma pratique ». Un sujet qui s'est imposé de lui-même parce que la plupart des praticiens expérimentés ressentent après des années d'exercice le besoin de tout changer. « Ils prennent conscience que les infrastructures dans lesquelles ils travaillent et les choix organisationnels sont aujourd'hui totalement inadaptés. Ils sont aussi mal à l'aise dans le management des équipes et n'ont pas de vision de chef d'entreprise. Ce qui prime dans le désir de changement est le désir d'acquérir une vraie qualité de vie professionnelle, ce qui engendrera fatalement une qualité de vie personnelle accrue », analyse Laurent Allouche.
La conviction de ne plus pouvoir continuer à travailler comme « un creuseur de trous » ni à entendre les patients s'exclamer « Mais, c'est la chaîne chez vous ! » a, entre autres, conduit Jean Bitton, ainsi que ses associés, à remettre totalement en question leur fonctionnement. La volonté de quitter le local professionnel trop exigu - installé au sein de la maison de Jean Bitton à Audincourt, au bord du Doubs - s'impose assez rapidement. En revanche, le choix de l'emplacement du futur cabinet à Montbéliard plutôt qu'à Audincourt, la décision de faire construire et l'élaboration du projet sont le fruit d'une longue réflexion. Pari risqué financièrement, également, pour Yvonne T., chirurgien-dentiste dans une petite localité des Côtes-d'Armor qui, elle, se lance seule dans l'aventure. Après le décès de son mari dont elle reprend le cabinet, elle décide de faire construire dans le même bourg avec l'idée de s'installer avec un ou deux associés. Il lui faudra beaucoup de temps pour mener à bien son projet de nouvelle installation : presque 4 ans.
Trajectoires encore toutes différentes pour Catherine D. et Raef Hoballah. Après avoir succédé à son père et consacré 17 ans à son propre cabinet en province, Catherine D. suit mari et enfants à Paris. Pour se préparer au changement, elle a acquis une compétence en occlusodontie. Depuis qu'elle travaille à Paris comme omnipraticienne dans le XVIIe arrondissement, elle a plusieurs fois refusé de s'associer, pour garder le statut de collaboratrice. « J'ai retrouvé le plaisir dans le travail en étant débarrassée de l'obligation de rentabilité. Je consacre - au minimum - 1 heure par patient au lieu d'une demi-heure, ce qui me permet d'effectuer le traitement le plus complet possible. C'est la relation à la personne qui me motive et je profite de la grande liberté que j'ai choisie pour me perfectionner dans l'approche psychologique du patient. Je continue toujours à avoir envie de me projeter. »
C'est une même volonté d'avoir des horaires de travail moins élastiques et d'être dégagé des charges administratives, comme des contraintes de gestion, qui a mené Raef Hoballah à quitter le libéral. Après une douzaine d'années en cabinet de groupe - d'abord à Lyon puis en Côte d'Ivoire et, enfin, en SCM pendant 6 ans à Pont-L'évêque (Isère) -, il décide en 1996 de devenir salarié au sein des Mutuelles de France Isère à Lyon. « Cela m'a permis de devancer les contraintes actuelles de plus en plus présentes dans le «management» d'un cabinet dentaire. Le centre dentaire mutualiste permet une dynamique de groupe, ce qui est très important. Je dispose d'un plateau technique très convenable même s'il est vrai qu'il faut savoir patienter pour obtenir de nouveaux matériels. Mon volant de patientèle est à la fois suffisant, régulier, et il se renouvelle plus aisément que dans le privé. » Outre le fait d'être bien secondé par des assistantes, ce qui lui permet de se consacrer exclusivement aux soins de ses patients, il souligne - parmi les autres avantages du salariat - la facilité de suivre les formations souhaitées.
Qu'il soit radical ou non, le changement d'exercice est avant tout un projet professionnel lié à un choix de vie très personnel : il est donc impossible de dresser un vade-mecum des bonnes étapes à entreprendre. S'il est essentiel de s'autoquestionner, de s'informer, de visiter de nouvelles installations de confrères et de croiser des témoignages, chacun mène son propre cheminement pour trouver le mode d'exercice qui lui convient le mieux à une période donnée. Changer, c'est facile... à condition de s'en donner les moyens !
Pour passer à l'acte, il faut souvent une conjonction d'éléments. Après s'être investi dans une formation en développement personnel qui lui a permis de formaliser ses intuitions, Éric Verdier a eu la possibilité de vendre ses parts de SCM (société civile de moyens) à son associé en 2006 et de rejoindre une consoeur qui avait un projet d'agrandissement professionnel dans la Drôme. Il va pouvoir réaliser son rêve : être responsable de la santé dentaire dans une zone rurale avec un vrai rôle social d'accompagnant qui aide ses patients à clarifier et à formaliser leurs souhaits. « Comme la plupart des jeunes qui s'installent, j'ai travaillé pendant des années - 23 ans - sans objectif ni stratégie. Aujourd'hui je sais pourquoi je vais au cabinet : pour proposer la meilleure offre dans la zone rurale où je me suis implanté, parce que j'ai choisi d'être un chirurgien-dentiste à bouche et non un chirurgien-dentiste à dents. J'ai une vision de mon exercice qui me permet de me projeter dans l'avenir. »
Éric Verdier n'entend pas donner de conseils et encore moins de recettes pour se préparer au changement d'exercice. « Le vrai changement, il faut l'opérer en soi ». Quel chirurgien-dentiste veux-je être, quelle est ma mission- autrement dit, comment j'entends me positionner, quelle est ma vision, que faut-il que j'apprenne pour satisfaire les demandes de
ma patientèle ? Les réponses à cet autoquestionnement lui ont permis de constituer la clé de voûte de son projet dans la Drôme. « Si j'ai choisi d'accepter une baisse importante de mes revenus dans un premier temps, c'est pour devenir le praticien sans concession que je suis au fond de moi » affirme ce « jusqu'au-boutiste ».
Avant de faire construire un cabinet qui réponde à leur conception, Jean Bitton et ses associés se sont livrés à un travail d'autocritique dans un esprit constructif car, comme l'a dit Gandhi : « Il faut commencer à changer en soi ce que l'on veut changer autour de soi. » Pas de maîtrise des dépenses au sein de la SCM, inefficacité du secrétariat avec une seule personne affectée à trois praticiens, absence de plan de soins... « Pointer tous les dysfonctionnements n'aurait servi à rien si chacun n'était pas prêt à modifier son propre comportement », souligne Jean Bitton. Fort d'une entente amicale exceptionnelle qui s'est établie bien au-delà des liens professionnels, un vrai dialogue a pu s'établir entre les trois protagonistes. Après avoir visité des cabinets de confrères pour mieux cerner de quel type ils voulaient se rapprocher, chacun a défini ce qu'il voulait en termes de local, d'équipe et d'organisation. « Il ne faut pas hésiter à se montrer ambitieux dans ses souhaits et laisser exprimer sa passion car le projet aura tendance à s'émousser avec le temps », conseille le docteur Laure Tisserand-Decreuse. Au terme d'un travail de 18 mois, le projet d'entreprise se matérialise : un cabinet de 250 m2 en rez-de-chaussée établi dans un immeuble de bureaux dans la zone franche de Montbéliard, distant de 7 km de leur ancien cabinet. C'est une SCI qui a acheté les locaux et les loue à une SCM très réduite. Les 3 associés ont voulu l'indépendance totale de chaque unité (achat des consommables, maintenance des équipements, gestion de la stérilisation, agenda, 2 lignes de téléphone individualisées pour chacun) avec 3 blocs opératoires distincts pour développer la chirurgie et former à l'implantologie. Malgré un investissement très important (500 000 euros chacun pour l'acquisition des locaux, les travaux, le plateau technique), Laure Tisserand-Decreuse, la plus jeune associée, affirme avec le recul : « La première année, la pression financière a été la plus importante pour moi mais j'ai eu raison de ne pas avoir peur. »
Yvonne T. mûrit son projet. Elle suit des conférences sur la gestion de cabinet, épluche dans les moindres détails les reportages consacrés aux nouvelles installations. Une fois acheté le terrain, elle conçoit les plans d'un cabinet de 145 m2, avec 3 pièces de travail et 2 fauteuils. « Je savais exactement ce que je voulais, comment organiser la circulation dans le cabinet depuis le sas d'entrée, là où je voulais des cloisons vitrées et non opaques... J'ai confié à l'architecte un projet très abouti, anticipant la démarche qualité. J'ai aussi veillé à ce qu'il soit entièrement modulable pour permettre tout type de transformation. » Maintenant, elle en profite. Ce qu'Yvonne T. n'avait pas prévu ? Qu'en juin 2003, après 1 an de travaux, elle ne trouverait pas, parmi les jeunes collaborateurs, des personnes partageant la même conception de l'exercice qu'elle pour s'associer. La troisième pièce est devenue un cabinet de podologie où exerce l'un de ses enfants. Aujourd'hui, elle exerce donc seule avec deux assistantes et passe d'un fauteuil à l'autre sans perdre 7 minutes entre chaque patient. Bilan ? « J'ai beaucoup gagné en confort, mais j'ai des remboursements importants alors que le chiffre d'affaires reste limité et je suis obligée de refuser de nouveaux patients. Je pense que ma structure devrait me permettre, à terme, de revendre mon cabinet. J'y pense depuis le début, bien sûr pour des raisons économiques évidentes mais surtout afin de passer le flambeau et que mes patients ne soient pas abandonnés. »
Pour changer d'exercice...
Les questions qu'il faut se poser
• Ma mission est-elle la même que lorsque j'ai débuté ?
• Quel type de cabinet je veux offrir ?
• Quels sont les dysfonctionnements actuels dont je ne veux plus ?
• Comment ai-je envie de travailler (local, équipe, organisation) ?
• Comment me perfectionner pour répondre aux attentes de mes patients ?
Prendre le temps de...
• Visiter des cabinets de confrères, consulter les reportages d'aménagement de la presse spécialisée.
• Mûrir son projet et l'enrichir.
• Anticiper sur les évolutions que pourra connaître le cabinet (intégration de collaborateurs) et prévoir un aménagement techniquement modulable.
• Mettre en place la nouvelle organisation du cabinet et la rôder parfaitement avant de déménager dans les nouveaux locaux.