Joe Bunni est un chirurgien-dentiste à part. Son regard presque amusé et son naturel bienveillant entraînent d'emblée dans l'univers qui l'habite : abysses, rivages, surface de l'eau. Un monde entre ciel et eau qu'il capte avec enthousiasme et humanisme. Et pour lequel il s'engage sans concession. Son combat : le respect et la protection des fonds marins. L'avenir de l'humanité en dépend.
Dans le cabinet dentaire de Joe Bunni, situé à quelques mètres du Bataclan, salle de concert parisienne, il y a toujours de la musique, du jazz surtout. Accrochées aux murs, des photos sous-marines de coraux, d'algues ou de cétacés prises lors de ses mémorables plongées. Posées sur les tables, des pétitions à signer contre le massacre d'espèces protégées comme les requins à pointe blanche ou les tortues luths. On entend couler un filet d'eau dans un tout petit bassin disposé près d'une fenêtre. L'atmosphère est à la détente, à l'esthétisme mais, surtout à la rêverie. Une rêverie mâtinée de beauté et d'émotion.
Mon objectif est de sensibiliser le plus grand nombre de personnes à la protection de la faune et de la flore maritime. Il faut toucher les gens, insister, ne pas arrêter. Même si on peut parfois être découragé.
Pour faire des photos de bébés phoques, je dois monter de plus en plus vers le nord, à cause de la fonte des glaces. Le pôle Nord, que j'aime particulièrement, est en train de disparaître : ça me fait mal au coeur. Il faudrait que les parents, les adultes entendent le message. Le commandant Cousteau disait déjà la même chose aux générations précédentes. La situation est alarmante.
J'ai créé l'association SOS Océans1 pour la préservation du milieu marin et le partage équitable de ses ressources. Nos actions sont concrètes : pose de tags acoustiques et satellitaires sur les requins de l'atoll de Rangiroa, en Polynésie française, pour connaître la dynamique des espèces, financement d'associations sur le terrain... Je fais aussi des interventions dans les écoles primaires et les collèges : ça me remonte le moral, il y a un fort potentiel chez les enfants. La nature, l'environnement, c'est leur patrimoine. Et puis, j'ai publié un premier livre de 250 photos, Joe Bunni Impressionniste de l'océan2, préfacé par Jean-Michel Cousteau, avec le soutien du WWF. Les droits sont reversés à l'association.
Oui, il est déjà maquetté et fait plus de 400 pages. C'est un projet magnifique, à la fois photographique et poétique, destiné à une diffusion internationale.
Je suis un de ceux qui collectent le plus de pétitions en France. Avec les membres de l'association, nous pouvons réunir 2 000 signatures pour une seule cause. Nous envoyons pétition sur pétition aux gouvernements concernés. C'est de cette façon que nous avons arrêté le commerce des ailerons de requins en Polynésie française.
D'origine moitié britannique moitié libanaise, je suis né au Caire où je suis resté jusqu'à mes 9 ans. Après une année au Liban, j'ai vécu au Koweït, à la fin des années 1960 : c'est là que j'ai commencé à plonger en apnée et à faire de la chasse sous-marine, au harpon. Au bord de la plage, il y avait des myriades de petits poissons, des mulets, des étoiles de mer, de tout. On ne voit plus ça aujourd'hui. Excepté dans les réserves naturelles, les parcs nationaux ou dans les zones de guerre, de conflits, où il n'y a plus ni commerce, ni trafic maritime, ni pêche. Au Soudan par exemple, après toutes ces années de guerre, la nature a repris le dessus.
J'ai vécu jusquà mes 17 ans en Angleterre où j'ai fait mes études. De nationalité française depuis 1976, je suis quelque temps après venu en France où j'ai repris des études. J'ai obtenu mon diplôme à la faculté dentaire de Montrouge en 1983, me suis très vite mis à l'implantologie et ai enseigné en postuniversitaire.
J'ai passé mon premier niveau de plongée aux Maldives et j'ai fait ma première plongée bouteille en 1986 en Martinique, au rocher du Diamant. Par ailleurs, je suis aussi karatéka, depuis 36 ans : j'ai toujours été sportif.
À 9 ans, j'avais un Kodac Instamatic. Je le possède toujours. Plus tard, j'ai pris beaucoup de photos de dents, d'implants. Et puis je me suis dit que je voulais photographier la mer, sa faune, sa flore. Je suis autodidacte, que ce soit en argentique ou en numérique.
Pour prendre en photo un ours blanc, je me suis approché sous l'eau à 50 cm : l'ours a attaqué le dôme dans lequel je me trouvais et a tout arraché. Une autre fois, j'ai pris une photo dans la gueule d'un dragon de Komodo, en Indonésie : ce varan fait dans les 2 ou 3 mètres. Un jour aussi, à Zanzibar, le Zodiac est tombé en panne et j'ai dû nager 4 heures avec tout mon matériel sans paniquer.
Je ne sais pas à quand ça remonte. Il y a une dimension de plus dans l'eau car vous flottez, vous volez, vous tournez, vous êtes un oiseau. C'est une sensation incroyable. Et vous regardez autrement, à 360°, d'en haut, de côté, d'en bas...
Il faut profiter de la vie !
Je m'entraîne dans une piscine parisienne au minimum 2 fois 2 heures par semaine et je voyage 5 fois par an, entre 6 et 7 semaines par an. Je pars en fonction des rythmes des espèces que je prévois de photographier : fin juillet pour le narval au pôle Nord, à cause de la glace ; en août, pour les cachalots aux Açores... J'adore revenir à mon cabinet, ce n'est jamais une corvée. Je travaille 5 jours et demi par semaine avec mes 2 assistantes qui se relaient. Entre 2 patients, je m'installe devant mes ordinateurs, dans mon bureau, et je travaille mes photos, mes maquettes. Mes patients sont fiers et s'impliquent souvent : pétitions, idées, soutien.
1. www.sosoceans.com 2. Vis-à-vis Éditions.