PROTHÈSE AMOVIBLE
Leila FAJRI* Nadia MERZOUK** Ahmed ABDEDINE***
*Chirurgien-dentiste, spécialiste en prothèse adjointe.
**Professeur de l'enseignement supérieur en prothèse adjointe.
***Professeur de l'enseignement supérieur en prothèse adjointe et en occlusodontie,
Chef de service de prothèse adjointe.
Faculté de médecine dentaire, Rabat,
avenue Allal-El-Fassi,
rue Mohammed Jazouli, Madinat Al Irfane, BP 6212, Rabat-Instituts, Maroc.
L'empreinte secondaire constitue une étape importante dans les restaurations prothétiques partielles. C'est de sa précision et de sa capacité à reproduire fidèlement les structures d'appui que dépendent la qualité de la reconstruction prothétique et son adaptation.
La diversité des situations cliniques a été à l'origine d'une variété de techniques d'empreinte visant à : reproduire les éléments anatomiques, tenir compte de la dualité tissulaire et enregistrer le jeu des organes périphériques.
Les auteurs se proposent de souligner l'intérêt de l'empreinte anatomo-fonctionnelle et de montrer les principales techniques d'empreinte en prothèse amovible partielle métallique (PAPM).
L'empreinte secondaire est une séquence importante dans la réalisation d'une prothèse amovible partielle métallique (PAPM) ; elle doit présenter la précision des empreintes de prothèse fixée au niveau des éléments dentaires et celle des empreintes de prothèse complète au niveau des éléments ostéo-muqueux. La finalité de l'empreinte secondaire est l'obtention du maître modèle sur lequel sera élaborée la future prothèse.
La difficulté réside dans la mixité de la surface d'appui, dentaire et muqueuse, ce qui engendre une dualité tissulaire qui doit obligatoirement être prise en compte tout au long des étapes de la réalisation de la PAPM et, en particulier, au stade de l'empreinte.
En fonction du cas clinique, le choix se portera sur l'une ou l'autre technique d'empreinte ainsi que sur le matériau à empreinte à utiliser.
Ces particularités découlent de la différence de dépressibilité entre les structures dento-parodontales et ostéo-muqueuses. En effet, sous la même pression, le parodonte se déprime de 1/10 mm alors que la compressibilité moyenne de la fibro-muqueuse (sous des selles en extension) varie de 0,4 à 2 mm (fig. 1).
De plus, les expériences de Kydd, Daly et Wheeler ont montré que, sous une pression constante, une déformation du revêtement muco-périosté se produisait jusqu'à 50 % de l'épaisseur initiale mais que la récupération élastique était différée après relâchement des pressions (elle permet de recouvrer 90 % de l'épaisseur chez un sujet de 24 ans et 70 % chez un sujet de 60 ans, 20 minutes après la suppression de la charge occlusale), d'où la viscoélasticité de la fibro-muqueuse [1].
Il découle de cette spécificité des tissus supports plusieurs points importants :
• il est nécessaire d'avoir des tissus supports dento-parodontaux et ostéo-muqueux sains ou assainis ;
• la force de la pression doit être modérée, la stimulation de la muqueuse est essentielle mais sans dépasser les limites physiologiques afin d'éviter son traumatisme ;
• l'empreinte du revêtement muqueux des segments édentés doit être spécifique et diffère de celle des tissus dento-parodontaux afin d'anticiper la dualité tissulaire. Les tissus enregistrés occuperont la même situation une fois la prothèse en place et en occlusion. Cette position résulte d'une répartition fonctionnelle et les sollicitations masticatoires seront alors favorables à une réorganisation physiologique des secteurs édentés sans surpression.
L'empreinte anatomo-fonctionnelle constitue la réplique des structures d'appui, elle fait suite à l'empreinte primaire qu'elle complète par sa capacité à reproduire les structures ostéo-muqueuses et dento-parodontales en anticipant leurs différences de compression et en enregistrant le jeu de la musculature périphérique.
La réalisation d'une empreinte secondaire précise et fidèle est garante de la bonne adaptation de la pièce prothétique (fig. 2) et constitue par conséquent une étape essentielle dans la thérapeutique de l'édenté partiel.
L'empreinte anatomo-fonctionnelle a pour principaux objectifs de :
• fournir avec précision l'enregistrement des formes et des états de surface, ce qui conditionne l'adaptation correcte du châssis métallique sur les appuis dentaires naturels ou prothétiques ;
• favoriser le phénomène adhésion-cohésion, grâce à l'adaptation intime des selles sur la surface muqueuse (un assèchement buccal minutieux est un préalable indispensable avant la prise d'empreinte) ;
• permettre, au bord des selles, de stimuler le périoste ;
• contribuer à l'enregistrement des rapports maxillo-mandibulaires. Lorsqu'une maquette d'occlusion est nécessaire pour enregistrer ces rapports, elle doit occuper, sur le moulage de travail, la même situation relative par rapport aux dents restantes que celle qu'elle occupe lors de l'enregistrement [2].
Selon la prédominance dento-parodontale ou gingivo-osseuse et la qualité de la fibro-muqueuse, les techniques d'empreinte diffèrent. Elles nécessitent le plus souvent (surtout en cas d'édentement étendu ou en extension) un porte-empreinte individuel (PEI) élaboré à partir d'un modèle primaire issu d'une empreinte primaire précise. Elles s'effectuent en un ou deux temps, utilisent un ou plusieurs matériaux, enregistrent la globalité de l'arcade ou en corrigent une partie.
Le porte-empreinte individuel est :
• soit composé d'une base rigide (plaque-base ou résine) munie d'un bourrelet préfigurant le rempart alvéolo-dentaire (fig. 3) et autorisant les mouvements physiologiques des tissus périphériques. Ce bourrelet laisse un espace au niveau des dents en raison des contre-dépouilles (fig. 4), il est ajusté au niveau des régions gingivo-osseuses ou en est très légèrement écarté selon l'état de la fibro-muqueuse (ferme et adhérente ou mobile et très compressible) et le matériau à empreinte choisi ;
• soit un châssis muni de selles porte-empreinte bien ajustées au niveau des crêtes édentées.
Les bords épais et arrondis s'étendent jusqu'à 1 mm de la ligne de réflexion muqueuse sans entraver le jeu des insertions périphériques. Les volets linguaux sont largement exploités et englobent la ligne oblique interne. Dans les secteurs dentés, les bords sont limités au grand contour gingival.
Le porte-empreinte est contrôlé et corrigé en bouche. Les contractions successives des muscles périphériques révèlent les surextensions [3].
Les techniques d'empreinte et les matériaux auxquels elles font appel sont propres à chaque situation clinique et sont conditionnés par de multiples facteurs dont :
• la prédominance dento-parodontale ou gingivo-osseuse ;
• la situation de l'édentement (encastré ou terminal, maxillaire ou mandibulaire) ;
• la qualité de la fibro-muqueuse ;
• les conditions anatomophysiologiques de la surface d'appui.
Ainsi, à titre d'exemple, le choix se portera vers les matériaux élastiques (polyéther, polysulfure) dans les cas de forte contre-dépouille ; le caractère hydrophile est à rechercher dans les cas d'hypersialorrhée, d'où la contre-indication des polysulfures ; une empreinte compressive sera évitée en présence d'une fibro-muqueuse fine et fragile (pas d'empreinte en deux temps) ; l'usage des polyéthers est préconisé en cas de résorption importante [4,5].
Les empreintes globales enregistrent en un seul temps la totalité de l'arcade. Elles sont indiquées dans tous les cas de prothèses mixtes avec prédominance de l'appui dento-parodontal.
Ces empreintes sont destinées aux édentations encastrées de faible étendue de classes III et IV de Kennedy-Applegate.
L'armature métallique est essentiellement à appui dentaire et ne tient pas compte de la résilience de la muqueuse dans les zones d'édentations.
Plusieurs matériaux peuvent être utilisés : hydrocolloïdes ou élastomères.
L'alginate peut être utilisé en cas :
• d'édentations encastrées de faible étendue ;
• de préparations dentaires peu complexes ;
• de contre-dépouilles peu importantes ;
• de réalisation d'un châssis servant ensuite de porte-empreinte.
Un porte-empreinte de série correctement choisi et adapté est aussi valable qu'un porte-empreinte individuel. Lors de l'empreinte, la dynamique musculaire est effectuée plusieurs fois et le porte-empreinte est fermement maintenu jusqu'à la prise du matériau.
La bonne reproduction des vestibules dépend de l'adaptation du porte-empreinte, mais ce type d'empreinte reste peu précis pour la réalisation de la barre linguale.
Cette technique trouve son indication en présence de contre-dépouilles importantes ou lorsque la reproduction des préparations dentaires doit être plus précise. L'utilisation des élastomères permet une plus grande résistance à l'arrachement et une moindre fragilité de l'empreinte.
Cette dernière est prise avec un porte-empreinte individuel enduit d'un adhésif propre au matériau, écarté au niveau des dents et ajusté ou très légèrement écarté au niveau de l'édentement, et un seul matériau silicone ou thiocol de moyenne ou de basse viscosité est utilisé lorsque le porte-empreinte individuel est bien ajusté.
Au maxillaire, un porte-empreinte individuel ajusté associé à la présence d'une surface large correspondant au palais et un matériau de basse viscosité est souhaitable. La moyenne viscosité nécessite un porte-empreinte individuel légèrement écarté (4/10 mm) car elle fuse difficilement s'il est bien ajusté.
Cette technique est indiquée lorsque :
• les préparations dentaires sont nombreuses et complexes ;
• l'empreinte doit situer des éléments conjoints (bridges, couronnes) sur lesquels vient s'intégrer le châssis métallique (fig. 7) ;
• plusieurs édentements sont répartis sur l'arcade.
Le porte-empreinte individuel doit être espacé de 2 à 3 mm ou plus en regard des contre-dépouilles importantes.
Les perforations ne sont pas indiquées car elles peuvent provoquer des différences de compression du matériau.
Les élastomères polysulfures et silicones s'utilisent en deux viscosités :
• la basse viscosité pour application à la seringue au niveau des dents préalablement séchées ;
• la moyenne viscosité pour le remplissage du porte-empreinte individuel [5, 6et 7].
Ces empreintes sont indiquées lorsque l'appui muco-osseux est prédominant. Elles s'apparentent aux empreintes anatomo-fonctionnelles réalisées en prothèse complète et débutent par l'enregistrement du joint périphérique. Tenir compte du comportement viscoélastique du revêtement fibro-muqueux s'avère alors indispensable, et ce pour obtenir et maintenir à moyen et long termes l'équilibre tissulaire et prothétique.
L'empreinte peut être prise sous une légère pression occlusale afin de mouler les tissus dans la position qu'ils occuperont pendant la mastication et la déglutition. En cas de mauvaise coopération du patient, l'empreinte peut être effectuée sous une pression digitale modérée.
L'emploi d'un porte-empreinte individuel ou, pour le remplacer, d'une armature métallique semble indispensable.
Les techniques d'empreinte décrites dans la littérature médicale comportent plusieurs temps successifs et mettent en oeuvre divers matériaux aux propriétés spécifiques, à savoir :
• les pâtes thermoplastiques ;
• les élastomères (polysulfures ou silicones) ;
• les polyéthers ;
• les pâtes eugénol oxyde de zinc [2].
Le principe est le suivant :
• un remarginage au niveau des secteurs édentés est réalisé à l'aide de la pâte de Kerr® (porte-empreinte individuel préalablement ajusté et contrôlé), la dynamique musculaire est sollicitée sous pression occlusale ou digitale (fig. 8) ;
• l'empreinte de stabilisation enregistre la surface d'appui fibro-muqueuse et délimite les bords des selles prothétiques avec un matériau de moyenne viscosité, l'excès ayant fusé sur les dents est éliminé (fig. 9) ;
• l'empreinte globale enregistre simultanément l'ensemble des appuis dentaires et fibro-muqueux (fig. 10 à 13). On utilise une viscosité moyenne (regular) en regard des dents au niveau du porte-empreinte individuel et une faible viscosité (light) en regard de la crête et sur les préparations dentaires [2,8]. Après désinsertion, l'empreinte est coffrée puis coulée.
Il s'agit d'empreintes anatomo-fonctionnelles permettant de corriger le modèle de travail issu d'une empreinte globale en un seul temps. Le châssis métallique élaboré sur celle-ci comporte des selles porte-empreintes.
Ces empreintes sont indiquées à l'arcade mandibulaire (surfaces d'appui peu favorables) dans les cas d'édentements en extension de moyenne étendue (classes I et II de Kennedy). L'intérêt de cette technique est de mouler les tissus dans les mêmes conditions que celles qu'ils rencontreront sous les selles prothétiques.
Dans les très grands édentements, le repositionnement précis du châssis est souvent difficile, en raison du mouvement de rotation (absence des taquets occlusaux et des prémolaires, et arcade incisivo-canine rectiligne).
Des ergots provisoires s'appuyant sur les bords incisifs peuvent être envisagés lors de la confection du châssis pour pallier ces problèmes d'instabilité.
• Sous pression occlusale
L'enregistrement de l'occlusion effectué au cours de l'empreinte permet de monter les modèles sur articulateur à l'issue de cette seule séquence clinique.
Après essayage du châssis et élimination de toute interférence occlusale, le praticien trace sur le modèle le contour des futures selles tenant compte des insertions musculaires et frénales. Les selles surmontées de cire dure, ou de stents, sont construites directement sur le modèle en prenant soin de replacer le châssis correctement sur ses appuis. Une zone de décharge de 2 à 3/10 mm au sommet de la crête se justifie si la fibro-muqueuse, non adhérente au support osseux, s'est déplacée pendant l'empreinte préliminaire.
La technique est la suivante :
• la situation des bords des selles porte-empreintes est vérifiée puis corrigée (fig. 14 et 15) ;
• les éventuelles compressions sont corrigées par meulage ;
• l'occlusion est enregistrée après remise en forme des bourrelets (fig. 16 et 17) ;
• le remarginage est effectué (fig. 18), suivi de l'empreinte de stabilisation avec un matériau de moyenne viscosité (pâte eugénol-oxyde de zinc ou élastomère de moyenne viscosité) sous pression occlusale et le patient est invité à effectuer des mouvements fonctionnels (fig. 19 à 21).
Le modèle de travail est réalisé en quatre étapes :
• l'intrados du châssis est débarrassé de tout excès de matériau ayant fusé ;
• le modèle est découpé, autorisant une remise en place du châssis sans interférences ;
• le châssis est solidarisé au modèle à l'aide de cire collante (fig. 22) ;
• l'empreinte est coffrée puis coulée (fig. 23).
Après désinsertion du châssis, il est aisé de monter le modèle sur articulateur. La non-coïncidence de l'occlusion sur articulateur avec celle en bouche signale que le châssis a bougé lors de la prise d'empreinte ou lors de sa mise en place sur le modèle. La reprise de l'empreinte et la réalisation d'un nouveau modèle corrigé s'imposent [9,10].
Néanmoins, dans le cas d'édentements asymétriques et en présence d'une occlusion mal équilibrée, la pression occlusale doit être évitée au profit de la pression digitale [11].
• Sous pression digitale
Le risque d'un mauvais positionnement du châssis, difficile à contrôler sous occlusion, peut indiquer la réalisation d'une empreinte sous pression digitale. Le praticien n'exerce alors de pression que sur les seuls éléments de stabilisation du châssis : barres cingulo-coronaires et taquets qui doivent établir un contact intime avec les surfaces dentaires.
• Confection d'un nouveau modèle [2]
Les manoeuvres nécessaires à la réalisation du modèle corrigé sont difficiles, une manoeuvre supplémentaire lors de la prise d'empreinte peut être réalisée.
Après enregistrement des crêtes, et avant désinsertion, une surempreinte (à l'aide d'un silicone) entraînant le châssis permet d'obtenir un nouveau modèle (fig. 24 et 25).
Certaines crêtes particulièrement défavorables, soit par leur morphologie (en lame de couteau), soit par leur texture (crêtes flottantes, fibro-muqueuse inflammatoire), nécessitent une mise en condition préalable. Une empreinte ambulatoire à l'aide d'un conditionneur tissulaire permet de retrouver un état sain des tissus supports.
Le châssis est muni de selles porte-empreintes en résine (transparente de préférence), ces dernières sont surmontées de bourrelets (en résine blanche) permettant la mastication.
Une résine à prise retardée garnit l'intrados des selles et enregistre en quelques jours l'état des crêtes et des structures périphériques pendant la fonction réelle (fig. 26).
La rectification de l'étendue des selles peut être réalisée et l'opération peut être prolongée, le temps d'améliorer la qualité de la fibro-muqueuse [11, 12et 13].
Un surfaçage est ensuite réalisé à l'aide d'un élastomère de basse viscosité. L'empreinte est alors coffrée puis coulée.
L'empreinte anatomo-fonctionnelle constitue une étape-clé dans la thérapeutique de l'édenté partiel. Sa précision et sa fidélité de reproduction sont à l'origine d'une parfaite adaptation de la pièce prothétique, aussi bien de l'intrados prothétique au niveau des crêtes édentées que des éléments métalliques du châssis par rapport à leurs logements respectifs, et d'une meilleure précision de l'occlusion (enregistrement des rapports occlusaux, montage des dents, équilibration).
Ainsi, la maîtrise des empreintes anatomo-fonctionnelles et le choix judicieux des techniques d'empreinte, adaptées au contexte clinique, sont déterminants dans l'intégration optimale de la prothèse adjointe partielle métallique.