Clinic n° 03 du 01/03/2010

 

INTERVIEW

Anne-Chantal de Divonne  

L'Europe de la monnaie et des marchandises est faite. Mais où en est-on dans le domaine de la santé et particulièrement dans le domaine dentaire ? Christophe Houver, président de l'Association de droit dentaire (ADD), qui organise le colloque « Droit, Europe et odontologie » le 25 juin prochain à Strasbourg, lance des pistes de réflexion.

En quoi l'Europe concerne-t-elle le chirurgien-dentiste ?

Ce sujet est très neuf et peut surprendre. Mis à part le cas de certaines prothèses d'importation, les chirurgiens-dentistes ne se sentent pas concernés aujourd'hui par l'Europe. Moi-même, qui exerce près de Strasbourg, j'ai longtemps pensé que les différences de langue et le fait que l'on préfère toujours avoir son médecin ou son chirurgien-dentiste à proximité de son lieu d'habitation constituaient de vraies barrières à une Europe de la santé. Et pourtant, ces schémas sont en train de changer du fait de la mobilité croissante des citoyens européens. Nous sommes aussi concernés par le phénomène de mobilité des patients pour réaliser des actes dans un autre pays européen.

Quelles sont donc les questions qui se posent avec cette Europe de la santé ?

La mobilité des patients pose déjà plusieurs questions. Un citoyen européen a-t-il droit aux mêmes soins dans un autre pays que le sien, à la même qualité, à la même prise en charge ? Peut-on lui garantir la traçabilité ?

La multiplication d'agences de voyage qui envoient des personnes se faire soigner en Pologne ou en Hongrie pose aussi la question de la responsabilité. Quelle doit être l'attitude d'un praticien face à des actes qu'il n'a pas réalisés ? Un chirurgien-dentiste qui intervient après un acte mal fait par un autre praticien endosse toute la responsabilité. Aussi, l'Ordre recommande de réadresser le patient à celui qui a fait les soins. Quand ce dernier habite à 2 000 km, cela pose un problème. Lors du colloque, des cas de patients qui refusent de retourner à l'étranger seront présentés.

La mobilité des professionnels de santé pose aussi de nombreuses questions. Y a-t-il une équivalence des diplômes au sein de l'Union européenne ? Les chirurgiens-dentistes peuvent-ils facilement exercer dans d'autres pays de l'Union ? La Commission européenne s'intéresse à l'accessibilité aux soins ; mais nous devons aussi réfléchir à l'accessibilité au langage. Une charte du Conseil européen des chirurgiens-dentistes (CED) sous-entend que nous devrions suivre un cursus pour apprendre une « langue universelle » pendant nos études. Car si nous devons offrir des soins de qualité, nous avons aussi une obligation d'information. N'est-ce pas irréaliste quand un praticien français soigne un patient tchèque ?

Comment ce colloque est-il organisé ?

Nous avons d'abord choisi Strasbourg comme ville d'accueil pour notre colloque car c'est un haut lieu de l'Union européenne qui abrite notamment le Parlement européen, le Conseil de l'Europe et la Cour européenne des droits de l'homme. Le colloque sera construit autour de deux grands thèmes. Le matin sera consacré à l'Europe (bases du droit, norme CE, Conseil européen et Conseil de l'Ordre, identité nationale...). L'après-midi traitera les questions posées par l'Europe pour notre profession (tourisme dentaire, soins transfrontaliers, identification, indemnisation dans le cadre du droit européen, jurisprudence européenne, assistance juridique...). Le but de l'ADD n'est pas de trouver des solutions mais de donner des bases de réflexion et de sensibiliser le praticien. Est-ce qu'une Europe de la santé est un atout ou un handicap ? Il faudra en débattre, mais il est certain que l'Europe va inévitablement toucher le praticien dans son exercice. Il faut s'y préparer.