Clinic n° 03 du 01/03/2010

 

TÉMOIGNAGE

Les maisons médicales pluridisciplinaires ont le vent en poupe ! Et ce n'est pas parce que les chirurgiens-dentistes sont à peine cités dans un rapport que la profession en est absente. Dans la tribune de Clinic du mois de janvier, nous avions vu le cas d'une création récente. Carol Petit nous emmène ce mois-ci dans sa maison médicale de Senones où elle exerce depuis 18 ans...

n La maison médicale pluridisciplinaire, que j'ai créée il y a 18 ans à Senones (Vosges) avec 3 médecins, regroupe aujourd'hui, après agrandissements successifs, 16 professionnels de santé libéraux : 5 médecins généralistes qui ont aussi des stagiaires toute l'année, 4 infirmiers, 2 chirurgiens-dentistes et, bientôt, 3 kinésithérapeutes, 1 podologue et 1 orthophoniste.

Nous n'avons jamais reçu d'aide d'aucune sorte pour la mettre en place et la développer. Les murs dans lesquels nous travaillons sont la propriété d'une SCI (société civile immobilière) constituée entre les quelques professionnels de santé à l'origine de la maison médicale. Chaque profession de santé travaille en groupe au sein d'une société civile professionnelle (SCP) ou société de fait (médecins) et met en commun les dossiers des patients. Entre groupements de professionnels de santé, nous fonctionnons en société civile de moyens (SCM).

Au départ, j'étais seule chirurgien-dentiste. Une consoeur m'a rejointe plus tard en tant que salariée puis elle est devenue mon associée en 2000. Son activité étant allégée pour s'occuper de ses enfants encore petits, nous partagions nos honoraires en fonction du nombre de jours travaillés. Mais depuis l'année 2006, notre temps de travail est le même et nous partageons tout en 2 parts égales, les honoraires comme les frais professionnels. Cela, même si nos exercices diffèrent un peu puisque mon associée pratique des actes de chirurgie essentiellement « nomenclaturés » et donc peu rentables. La chirurgie fidélise nos patients, donne de l'aura au cabinet et, en réalité, nous en bénéficions toutes les deux. En fait, chacune fait pour l'autre ce qu'elle fait le mieux et c'est un plus pour nos patients. Nous partageons beaucoup, mais chacune dispose d'un cabinet en propre, aménagé comme bon lui semble. J'estime que ce lieu attitré et personnel est important. Après tout, nous n'exerçons pas à l'hôpital, nous sommes des libéraux.

La SCP, que nous constituons à deux, recourt à divers services proposés par la SCM, par exemple le ménage et le secrétariat. Nous versons une redevance en fonction du temps qui nous est consacré et des surfaces allouées. En retour, c'est un vrai confort de bénéficier des services d'un secrétariat ouvert du lundi matin à 8 heures jusqu'à la fermeture de la maison médicale le samedi à 13 heures ! De la même façon, nous avons recours aux services d'une assistante à temps partiel employée par la SCM. Aujourd'hui, elle s'occupe de la stérilisation chez les médecins, les infirmiers et les chirurgiens-dentistes. Et nous allons la former pour qu'elle travaille aussi à quatre mains avec mon associée pour la partie chirurgie de son activité. Le système de redevance versée par chaque groupement de professionnels en fonction de l'utilisation des services de la maison médicale donne beaucoup de souplesse et me semble très juste, mais il faut de l'organisation. C'est la condition de réussite d'une SCM.

Les maisons de santé pluridisciplinaires partagent généralement beaucoup moins de services que nous. On m'avait d'ailleurs beaucoup mise en garde contre ce type d'association. Aujourd'hui, les mentalités ont évolué et certains reconnaissent que je suis précurseur . Je suis persuadée que ce type de structure est l'avenir de nos professions libérales. La traçabilité, la radioprotection, l'hygiène... sont des exigences trop difficiles à tenir seuls. Nous devons nous regrouper. Et ce regroupement incite à progresser et apporte une très grande richesse au niveau professionnel. Nous ne soignons plus seulement des problèmes dentaires mais la personne dans son ensemble. Et puis, nous pouvons prendre en charge des cas particuliers comme ce patient hémophile suivi par un médecin de la maison et que j'ai soigné pendant des années. Je me suis formée, bien sûr. Mais je n'aurais jamais pris le risque de faire les soins si des médecins n'étaient pas dans les mêmes murs. Autre exemple, depuis plus de 10 ans, nous n'arrêtons plus les anticoagulants de nos patients sous traitement. C'est possible parce que les médecins soutiennent notre démarche.

Nous avons aussi établi des liens avec l'hôpital de Senones grâce au médecin gérant de la maison médicale qui est aussi gériatre et médecin coordinateur de l'hôpital de Senones. Travailler ensemble a permis de nous sensibiliser mutuellement aux problèmes dentaires des personnes vivant en institution et de faire de la prévention dans les EHPAD (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes). Deux thèses ont été menées avec des étudiants de la faculté dentaire de Nancy sur la formation d'aide-soignant pour l'hygiène bucco-dentaire des personnes hébergées dans les EHPAD et sur l'utilité du recours à un chirurgien-dentiste vacataire dans ces maisons 1 demi-journée par semaine ou tous les 15 jours. Nous espérons beaucoup que ces thèses auront des répercussions au niveau national.

Notre grande victoire est d'attirer de nouvelles installations alors qu'autour de nous les cabinets ferment. C'est vrai chez les médecins qui ont toujours des stagiaires et dont l'un d'entre eux vient de s'installer avec nous, mais aussi dans notre discipline. Trois cabinets dentaires ont fermé dans les Vosges au mois de décembre sans trouver de repreneur. Et pourtant, il y a eu 3 installations : dans un cabinet de groupe, dans un cabinet mutualiste et chez nous. Mon ancienne stagiaire va en effet nous rejoindre dans quelques semaines comme jeune collaboratrice libérale avant de s'associer si notre mode de fonctionnement lui convient.

Pour conclure, je suis une inconditionnelle de la maison médicale. Je me sens libérale. Je choisis mes horaires, mon matériel et ma façon de travailler. Mais j'ai aussi choisi une structure rassurante qui me permet de travailler et d'évoluer comme je ne l'aurais jamais fait dans un cabinet classique et de préparer ma sortie. Enfin, les risques d'une telle structure ne sont pas si élevés si le pire est prévu.