ODONTOLOGIE RESTAURATRICE
David GERDOLLE* Friedrich LORCH** Éric MORTIER***
*Pratique privée, Vevey, Suisse.
**Pratique privée, Vevey, Suisse.
***MCU-PH
Faculté d'Odontologie, Nancy, France.
Le collage des restaurations cosmétiques indirectes sur dents postérieures constitue régulièrement un sujet de débat entre différentes pratiques cliniques ; la nature ou l'existence même d'une base de collage mise en lit dentinaire (techniques « sandwich »), la gestion de la temporisation ou les propriétés physiques et la manipulation clinique des colles sont autant de questions qu'il faut trancher, afin de coller en toute sécurité. Cet article décrit une procédure à la fois validée par la littérature médicale et simple à reproduire, fondée sur l'application de différentes couches adhésives et sur l'utilisation d'un composite de collage de viscosité moyenne et photopolymérisable.
Malgré des améliorations constantes dans la composition et la performance clinique des résines composites, ces matériaux présentent toujours l'inconvénient majeur de se contracter au moment de leur prise [1, 2et 3]. Proportionnelle au volume de la restauration, cette contraction de prise peut être efficacement réduite par la réalisation de restaurations indirectes qui limitent au seul joint de collage le stress de la polymérisation [4,5]. Cependant, les restaurations indirectes postérieures collées demeurent encore aujourd'hui injustement considérées comme une option thérapeutique bornée aux limites des composites directs, d'une part, et des couronnes, d'autre part. Outre des problèmes administratifs de prise en charge, ces techniques sont souvent considérées comme sensibles à la technique utilisée par l'opérateur et aux conditions buccales ce qui décourage plus d'un praticien de les mettre en oeuvre. Récemment, une nouvelle technique pour la préparation et le scellement des restaurations indirectes a été mise au point à l'université de Genève [6,7]. À la fois validée par la littérature médicale et simple à reproduire, elle est fondée sur l'application de différentes couches adhésives et sur l'utilisation d'un composite de collage de viscosité moyenne et photopolymérisable. L'objectif de cet article est de réviser de façon critique cette technique à la lumière des différentes résines composites actuellement à la disposition des praticiens.
La réalisation des inlays/onlays dans les secteurs postérieurs, qu'ils soient en composite ou en céramique, est aujourd'hui largement approuvée par la littérature médicale pour peu que les protocoles de mise en oeuvre soient strictement respectés en clinique comme au laboratoire [8, 9, 10, 11et 12]. Or, en pratique quotidienne, cette exigence de rigueur clinique associée aux résultats de certaines études in vitro [13, 14, 15, 16et 17], parfois peu rassurants lorsqu'ils sont sortis de tout contexte clinique, suffit malheureusement à dissuader plus d'un praticien.
La pierre d'achoppement du protocole demeure bel et bien le collage sur la dentine. C'est donc à ce niveau qu'il convient de concentrer ses efforts pour limiter les déconvenues.
La formation de la couche hybride est sous l'influence de différents facteurs, incluant en particulier la polymérisation de la couche d'adhésif [18]. La plupart des procédures cliniques impliquent que la couche hybride se forme au moment du collage de l'onlay (deuxième séance clinique). Il paraît important de préciser que ce protocole induit cependant nombre de conséquences potentiellement délétères, avec en particulier une réduction de l'efficacité du collage dentinaire, sans doute relatif à l'écrasement du treillis de collagène sous la pression générée par l'insertion de la pièce prothétique [19,20]. Dans cette configuration, adhésif et colle composite sont polymérisés simultanément. Une polymérisation distincte de la couche d'adhésif, réalisée après l'empreinte, se traduirait en effet par l'impossibilité d'insérer et/ou d'ajuster correctement l'onlay. L'argument principal en faveur d'une polymérisation globale en une seule et même étape est qu'un adhésif et une colle composite ne pourraient se lier l'un à l'autre si la couche d'adhésif, préalablement polymérisée, a été contaminée lors les séquences d'empreinte ou de temporisation [21]. Il est cependant démontré depuis une quinzaine d'années, qu'une adhésion est effectivement encore possible entre une couche de résine polymérisée le jour de la taille puis « polluée » par les étapes ultérieures et une résine de collage polymérisée le jour de la pose [22].
Par ailleurs, il est également clair aujourd'hui que le collage sur une dentine « contaminée » lors de ces mêmes phases d'empreinte et de temporisation est de qualité très inférieure à un collage dentinaire réalisé immédiatement, le jour de la taille [23].
Le collage dentinaire immédiat a cependant pour corollaire immédiat l'application d'un champ opératoire dès la première séance clinique. Les auteurs préfèrent d'ailleurs à ce propos placer la digue d'emblée, avant la dépose d'une ancienne restauration et la mise en forme de la cavité (fig. 1).
Les sensibilités postopératoires sont connues pour être les symptômes d'une contamination dentinaire par les bactéries et/ou des phénomènes hydrodynamiques dits de « pompage » [24,25]. En tout état de cause, ces sensibilités indiquent que les tubules dentinaires n'ont pas été scellés efficacement. Ces complications peuvent également être évitées par une hybridation dentinaire immédiate (fig. 1 à 7). Comme cela a été expliqué précédemment, la modification de la séquence opératoire de collage classique est susceptible d'améliorer la qualité du collage mais constitue aussi une protection biologique durant la phase de temporisation [26,27]. Par nature en effet, aucun ciment provisoire n'est en mesure d'assurer une étanchéité efficace au niveau de la dentine [28].
Les techniques indirectes requièrent une géométrie cavitaire spécifique qui inclut, entre autres, absence de contre-dépouilles, angles arrondis et marges supragingivales. Ce dessin particulier permet alors d'améliorer la qualité du joint de collage, en autorisant à la fois une faible épaisseur de colle (retrait de polymérisation limité) et des conditions de polymérisation optimales (facilité de mise en place et étanchéité de la digue) [29].
En cas de limites sous-gingivales, situation clinique fréquente en site proximal, il est possible de « déplacer » coronairement le niveau de la marge prothétique en appliquant directement, après l'hybridation dentinaire, une épaisseur de composite (de type fluide ou de viscosité moyenne selon le cas) sur la limite cervicale existante [30]. Dans ces zones, la préférence des auteurs penche vers l'utilisation d'un composite de restauration qui offre, de par sa viscosité moyenne, un agrément de manipulation supérieur à celui des autres composites. Cette procédure, réalisée sous digue, est conduite lors de la première étape clinique car, à ce stade, l'accès aux zones sous-gingivales est facilité par l'utilisation d'une matrice et de coins d'écartement. L'empreinte puis le collage sont ensuite facilités et de meilleure qualité (fig. 1 à 6).
En outre, la qualité du joint de collage est aussi directement liée à la dissipation des contraintes générées par la contraction de prise du composite de collage. À ce titre, la création d'une couche « élastique » entre la couche hybride et le joint de colle peut autoriser une certaine relaxation des contraintes liées à la polymérisation (contraintes immédiates au moment même de la polymérisation mais, surtout, contraintes différées se produisant en postpolymérisation) [31]. Car, même si le volume de résine qui se contracte au niveau du joint est faible, le facteur de configuration, généralement élevé et donc défavorable, amplifie le phénomène (wall to wall shrinkage) [32].
En pratique, ce rôle d'« amortisseur de contraintes » peut être assumé par la couche hybride, par la couche d'adhésif ou par une couche supplémentaire de matériau placée au-dessus de la couche d'adhésif (techniques dites « sandwich », utilisées également dans les restaurations directes) [33]. Différents matériaux ont été proposés à cet effet : ciment verre ionomère (CVI), ciment verre ionomère modifié par adjonction de résine (CVIMAR) ou composite fluide [34]. Ces matériaux, appliqués en fine couche (1 mm), ne génèrent d'une part pas ou peu de contraction de prise (faible volume, facteur C favorable) et possèdent d'autre part une rigidité moindre (faible module d'élasticité) [30]. Actuellement, les CVIMAR (du type Fuji II LC, GC) ou les résines composites fluides sont les plus utilisés. Cependant, les résines composites possèdent des propriétés physiques (module d'élasticité supérieur) et chimiques (faible absorption, faible solubilité) ainsi qu'une stabilité chromatique supérieures, ce qui nous amène personnellement à privilégier leur emploi (fig. 6)[17,35-37].
Lorsque la profondeur de la préparation ne permet pas l'adjonction de cette couche « tampon », ce rôle peut être assumé par la couche d'adhésif. Il est préférable dans ce cas d'utiliser un adhésif chargé (du type Optibond FL®, Hawe-Kerr), réparti en une double couche (les excès étant étalés à la seringue à air et aspirés pour chacune des couches).
À l'inverse, lorsque la profondeur de la préparation est importante (typiquement pour une dent dépulpée), cette couche de composite fluide (épaisse de 1 mm au maximum) sera recouverte d'une couche de composite de restauration (de viscosité moyenne et du type microhybride ou nanochargé car sa contraction de prise est inférieure à celle des résines fluides et ses propriétés mécaniques sont supérieures), cela afin que de réduire l'épaisseur de l'onlay (fig. 8 à 12). Cette précaution permet ensuite d'utiliser une colle strictement photopolymérisable (cf. infra) [38,39]. Dans ces situations, l'utilisation du seul composite de restauration (hybride, viscosité moyenne) est également recommandée et simplifie le protocole [6,7].
Cette approche, dite de flexibilité progressive [29], permettrait de mieux mimer le comportement mécanique de la dent naturelle pour laquelle la rigidité croît de la profondeur vers la surface.
Au final, une fois le collage dentinaire et la base en composite achevés, l'empreinte est prise et une restauration provisoire est réalisée sur la préparation. Son utilité se limite alors à maintenir dans leur position originelle les dents adjacentes et antagonistes mais aussi à procurer un certain confort au patient (bords tranchants, parois résiduelles, etc.). Ainsi, dans la plupart des cas, une résine photopolymérisable dite à prise retard (du type Systemp Inlay®, Vivadent), dont la caractéristique principale est de rester déformable en fin de prise, ce qui facilite sa dépose ultérieure, est suffisante pour une temporisation de quelques jours. L'avantage en est un gain de temps considérable qui, couplé à une grande facilité de réalisation clinique, fait préférer son utilisation à toute autre méthode à base de résine acrylique, sauf lorsque des impératifs esthétiques priment sur l'aspect pratique. L'unique précaution consiste à isoler la préparation à l'aide de glycérine avant l'insertion du matériau provisoire, sans quoi ce dernier, à base de résine, se lie avec la base en composite, ce qui hypothèque fortement sa dépose dans le deuxième temps clinique (fig. 13).
Même si certains auteurs préconisent l'utilisation des CVIMAR pour le collage des onlays, la littérature médicale recommande aujourd'hui largement, dans cette indication, l'emploi d'une colle composite [40, 41, 42et 43]. Ici encore, ses propriétés tant physiques (résistance à l'usure, module d'élasticité) que chimiques (absorption et solubilité, stabilité de la couleur) prennent, à notre sens, le pas sur les qualités biologiques des CVI ou des CVIMAR [16]. Il faut noter à cet égard le caractère relativement éphémère de la libération d'ions fluorure en particulier [44,45].
Certaines propriétés permettent de différencier entre elles les colles composites.
Citons d'abord le mode de polymérisation. Sont utilisés, la chémopolymérisation (colle du type Super-Bond C & B®, Sun Medical), la photopolymérisation (tous les composites de restauration, fluides ou de viscosité moyenne) et le mode dit dual qui rassemble chémopolymérisation et photopolymérisation (du type Variolink II®, Vivadent).
Une distinction peut également être faite en fonction du mode d'adhésion de ces colles composites aux tissus dentaires. On trouve les colles autoadhésives qui ne nécessitent ni préparation du substrat dentaire ni utilisation d'un système adhésif distinct (du type RelyX®, 3M-ESPE, colle duale), les colles autoadhésives qui nécessitent un conditionnement dentaire préalable mais pas l'utilisation d'un système adhésif distinct (du type Panavia F®, Kuraray, colle duale) et, enfin, les colles qui demandent un conditionnement dentaire couplé à l'utilisation d'un système adhésif distinct (du type NX3®, Hawe-Kerr, colle duale).
En pratique, le concept de « collage dentinaire immédiat » écarte de fait l'utilisation des colles autoadhésives, pourtant d'emploi facile (pour les duales) et très appréciées des praticiens [46], pour lesquelles l'adhésion dentinaire ne peut être réalisée que le jour de la mise en place de l'onlay [47].
Les colles duales et les colles strictement photopolymérisables, faisant appel à un système adhésif distinct, demeurent en revanche des produits dont l'usage est compatible avec le concept de « collage dentinaire immédiat ».
S'agissant des colles duales, la qualité de la polymérisation et de l'adhésion (dégradée par les adhésifs à liaison amine) ainsi que la stabilité de la couleur ont régulièrement été remises en question [48, 49et 50]. Ces problèmes n'existent pas en cas d'utilisation de systèmes de collage plus anciens (du type Variolink II®, Vivadent) ou semblent résolus avec des produits de dernière génération (du type NX3®, Hawe-Kerr). Cependant, quelques difficultés pratiques demeurent. Le temps de manipulation est de fait limité par la chémopolymérisation qui débute dès que la base et le catalyseur sont mis en contact. Ensuite, la consistance relativement fluide de ces produits complique passablement l'élimination des excès. Il convient de préciser qu'il existe à ce titre des produits plus visqueux (du type Variolink II Ultra®, Vivadent) qui offrent un meilleur confort de travail. Il est à noter aussi que les composites de collage de moyenne viscosité imposent d'insérer les pièces prothétiques au moyen d'inserts à ultrasons spécifiques (du type Luting Tip®, EMS).
S'agissant du collage utilisant des composites photopolymérisables de viscosité moyenne, l'avènement des lampes à photopolymériser de grande puissance (LED développant plus de 1 000 mW/cm2) permet à présent de polymériser correctement un matériau strictement photopolymérisable au travers d'une épaisseur contrôlée, que ce soit celle de l'onlay ou celle des parois dentaires résiduelles [39,51-54]. Quelques précautions doivent cependant être prises :
• l'épaisseur de la pièce prothétique ne doit pas dépasser 4 à 5 mm ;
• chaque face dentaire doit être illuminée pendant 60 secondes au minimum, soit par intermittence soit sous spray air/eau (pas durant les 10 premières secondes), afin de prévenir tout échauffement pulpaire et/ou parodontal ;
• la puissance de la lampe doit être constante, de 1 000 mW/cm2 au minimum ;
• le composite de collage, qui n'est autre qu'un composite de restauration classique (microhybride ou nanohybride), doit idéalement être préchauffé aux alentours de 60 °C afin de réduire temporairement sa viscosité et, ainsi, de faciliter l'insertion de l'onlay. L'augmentation de température du composite permet en outre d'accroître le taux de conversion final du matériau ainsi que ses propriétés mécaniques [55,56]. En pratique, il est préférable d'utiliser du composite sous forme de compules (tips), idéalement chauffées au moyen d'une résistance électrique (CALSETTM Composite Compule Heater®, Adent) ou à défaut dans de l'eau à 60 °C, après les avoir placées dans un sachet en plastique hermétiquement fermé ;
• l'insertion doit être assistée par des ultrasons.
Dès lors, le praticien profite d'une colle aux qualités incomparables (propriétés mécaniques, chimiques, optiques) offrant en prime un confort de travail inconnu jusqu'alors (temps de prise illimité, élimination des excès faciles, etc.).
Ensuite, quel que soit le matériau de collage choisi par le praticien (dual ou photopolymérisable), le conditionnement de la préparation dentaire est identique dans ses principes (les instructions liées au matériau peuvent légèrement varier d'un fabricant à l'autre). La séquence clinique est la suivante (fig. 14 à 18)) :
• dépose de la restauration provisoire ;
• sablage de la base en composite (oxyde d'alumine 30-50 µm, 1-2 bars). Les marges d'émail profitent alors inévitablement du sablage, effet collatéral sans impact (positif ou négatif) sur la qualité finale du collage ;
• mordançage de l'émail (acide orthophosphorique 30-40 % pendant 40 secondes) ;
• silanisation de la base en composite (3 couches de silane, 1 minute d'application au minimum, séchage soigneux). Les marges d'émail sont à ce stade immanquablement « contaminées » par le silane, ce qui, ici encore, n'a aucune incidence (positive ou négative) sur la qualité du collage final [57] ;
• application d'une couche d'adhésif non polymérisé (afin de pouvoir insérer l'onlay) ;
• application du composite de restauration préchauffé sur la préparation et insertion immédiate de l'onlay, manuelle puis ultrasonore ;
• élimination des excès et photopolymérisation.
Rationaliser les protocoles de collage des restaurations indirectes ne signifie plus les compliquer. Coller est aujourd'hui plus sûr que sceller et les protocoles actuels ouvrent, à tout praticien qui le désire, des horizons nouveaux en matière de restauration dentaire. Dans cette quête du biomimétisme, qui va crescendo depuis l'avènement du collage dentinaire, le respect de la biologie et les qualités optiques des travaux prothétiques sont ainsi mis en avant.
Remerciements
À Grégoire Martin et Stéphane Chesaux pour les travaux de laboratoire.