Clinic n° 02 du 01/02/2010

 

ODONTOLOGIE RESTAURATRICE

Gérard ABOUDHARAM*   Romain CHARLOT-VALDIEU**  


*Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier
**Attaché hospitalier
UFR d'odontologie,
Université de la Méditerranée,
17-19, boulevard Mireille-Lauze,
13010 Marseille.

Comment rationnaliser et simplifier un acte a priori complexe ?

Une procédure clinique simple et argumentée permet de tirer pleinement parti des avantages du collage. Cohésion de la reconstitution sans mutilation excessive, adaptation des surfaces au collage, conception des cavités et un choix de produits compatibles sont les principaux points développés dans la description d'une situation clinique courante en omnipratique. L'attention portée à ces différents points permet de réduire les difficultés inhérentes à cet acte et à rendre cette technique sûre et reproductible.

Divers auteurs s'accordent aujourd'hui à recommander une reconstitution corono-radiculaire collée préprothétique avec ancrage radiculaire fibré[1,2]lorsque c'est nécessaire plutôt qu'une reconstitution corono-radiculaire métallique foulée (amalgame) avec ancrage métallique.

De la même façon, on optera plutôt pour une reconstitution corono-radiculaire collée indirecte en composite renforcé par des fibres plutôt qu'une reconstitution coulée faisant intervenir une technique de laboratoire en tenant compte des indications et de l'évolution des techniques [3]. Les principales raisons en sont :

• la moindre mutilation de la dent ;

• l'élimination des problèmes de corrosion inhérents à la nature des matériaux de reconstitution ;

• la cohésion obtenue par le collage, favorable à l'absorption des contraintes occlusales et, par ce biais, au renforcement de la dent ;

• un module d'élasticité des matériaux utilisés proche de celui de la dentine qui va dans le sens de la cohésion de l'ensemble après le collage.

Cependant, ces reconstitutions corono-radiculaires collées en résine composite ont des limites d'indication. En particulier, les limites cervicales de la perte de substance doivent être situées à moins de 2 mm de la future limite cervicale de la superstructure prothétique selon le rapport de l'ANAES [4]. Cette contre-indication relative peut toutefois être nuancée et étendue à la possibilité ou non de poser un champ opératoire dans de bonnes conditions, puisque c'est l'isolation de la dent qui est la garante d'un collage optimal. Dans cet article, les différents points essentiels relatifs aux avantages obtenus par le collage sont présentées et un cas clinique couramment rencontré en omnipratique est décrit.

Cohésion de la dent reconstituée

Le tenon ne constitue pas directement un élément du renforcement de la dent. Il n'est là que pour servir de tuteur au matériau de reconstitution. C'est l'ensemble de la reconstitution corono-radiculaire collée qui va contribuer au renforcement de la dent et permettre une meilleure répartition des contraintes.

Les auteurs d'une récence étude in vitro sur l'évaluation de la répartition des contraintes de 3 types de reconstitutions par photoélasticité (portion canalaire et coronaire en résine de reconstitution, portion radiculaire avec un tenon fibré englobé dans de la résine de reconstitution et portion coronaire en résine de reconstitution, et, enfin, inlay-core métallique), démontrent que les contraintes sont le plus uniformément réparties dans le cas d'une reconstitution corono-radiculaire collée avec tenon fibré [5]. Ces résultats vont dans le sens de la revue systématique de la littérature médicale de Borg-Réal et al . [6] sur le choix d'un type de reconstitution corono-radiculaire, auteurs qui, après avoir passé en revue 3 668 articles, concluent avec prudence, en comparant les reconstitutions métalliques coulées et celles à ancrage radiculaire fibré, qu'il n'y a pas de différence significative mais qui notent néanmoins une forte tendance en faveur des reconstitutions avec tenons fibrés où les échecs « semblent » être moins nombreux.

Dans une reconstitution corono-radiculaire collée, on applique le principe de la continuité du collage entre les différents éléments : dentine, système adhésif, résine de reconstitution, matrice du tenon fibré, fibres synthétiques. Un autre point important mérite d'être souligné : les différents matériaux utilisés dans une reconstitution corono-radiculaire collée, en particulier les tenons fibrés, ont un module de Young (ou module d'élasticité) proche de celui de la dentine naturelle (respectivement de 29 et 18 GPa) et contribuent de ce fait à une homogénéité de l'ensemble.

Impératifs du collage

Coller dans une racine semble moins simple du fait d'une configuration cavitaire défavorable [7]. Il faut cependant nuancer cette observation car la plupart du temps, les cavités préparées avec un logement canalaire associé sont naturellement rétentrices et comportent souvent des microcontre-dépouilles dans lesquelles la résine de reconstitution va s'insérer et assurer la rétention de l'ensemble.

La structure de la dentine radiculaire est un autre paramètre. Elle diffère de celle de la dentine coronaire et le nombre de tubules dentinaires varie de la partie cervicale à la partie apicale. Une couche hybride de bonne qualité est cependant obtenue dans le tiers moyen et dans la portion apicale [8,9], et démontre une compatibilité avec la procédure de collage.

Un élément défavorable au collage réside dans l'élimination difficile des restes des matériaux d'obturation. Les tubules peuvent être partiellement ou totalement obturés après une simple préparation par instrument rotatif et laissent des plages de dentine inaptes au collage [10]. C'est l'utilisation d'une procédure de préparation rigoureuse qui permet de contourner cette difficulté : l'apport des ultrasons ou l'utilisation de la microabrasion utilisée non pas comme telle mais comme outil de nettoyage permet d'augmenter largement l'aptitude des surfaces au collage. Un rinçage abondant après l'utilisation de ces outils complétera la préparation des surfaces.

Un autre impératif au collage apparaît : l'utilisation systématique d'un champ opératoire. Bien que, selon une étude récente réalisée dans le cadre d'une enquête sur l'utilisation de la digue en France [11], il ressorte qu'une minorité de praticiens s'en servent (43,3 %) alors que les autres sont convaincus de son utilité, il n'en reste pas moins vrai qu'ils trouvent la mise en place de ce dispositif contraignante et considèrent que c'est une perte de temps. En Grande-Bretagne, dans une étude similaire, 57 % des praticiens ont répondu ne jamais utiliser la digue [12].

Matériaux et compatibilité

Les résines de reconstitution et les systèmes adhésifs utilisés dans les reconstitutions corono-radiculaires collées ne sont pas toujours compatibles. Le mécanisme de durcissement de l'ensemble système adhésif-résine de reconstitution dépend de la présence de radicaux libres. Ceux-ci proviennent de la réaction d'oxydoréduction entraînée par le mélange base-catalyseur des résines. En se liant avec les monomères de l'adhésif, ils vont permettre la réaction de polymérisation de l'ensemble système adhésif-résine de reconstitution.

Lorsqu'on utilise un système adhésif à caractère acide (automordançant ou, plus simplement, sans mordançage préalable), les monomères acides vont se combiner avec les amines tertiaires de la résine de reconstitution selon une réaction acide-base et empêcher la formation des radicaux libres. Dans ce cas, la réaction de polymérisation devient soit incomplète soit impossible.

Les industriels, pour pallier cette incompatibilité, ont ajouté aux systèmes adhésifs acides un « activateur ». Celui-ci (sulfano-benzoate de sodium) va rendre le système adhésif dual et permettre à nouveau la formation de radicaux libres qui, en se combinant avec les monomères libres du système adhésif, vont entraîner la réaction de polymérisation complète de l'ensemble.

Comment savoir si les matériaux, dont on dispose sont compatibles ? Raux et Degrange, reprenant une idée de B. Suh, chimiste et fondateur de Bisco Corp., proposent un test simple [13] qui consiste à prendre un godet en résine acrylique, puis à photopolymériser l'adhésif dans le fond du godet et, enfin, à faire prendre en mode chimique la résine de reconstitution déposée dans le godet en y ayant inséré une tige de préhension. Si la résine ne se décolle pas, on a une bonne compatibilité entre les deux éléments et inversement, si elle se décolle, une mauvaise compatibilité. Malheureusement, les éléments répondent parfois de façon intermédiaire et l'incompatibilité n'est pas le seul fait des systèmes adhésifs sans mordançage préalable mais parfois celui de certains systèmes adhésifs avec mordançage préalable à deux étapes cliniques qui contiennent des monomères acides.

Ce même test peut être effectué avec l'activateur commercialisé avec le système adhésif et permet de bien percevoir la compatibilité des différents éléments.

Une autre solution consiste à faire confiance aux fabricants et à utiliser les kits de reconstitution proposés. Cette solution, même si elle ne permet pas une bonne compréhension de ces mécanismes chimiques, a l'avantage d'éviter des erreurs dramatiques qui peuvent se solder par les décollements précoces de reconstitutions corono-radiculaires, de facettes, voire par des caries récurrentes car les décollements ne sont pas toujours visibles.

Conception des cavités et nombre de tenons

Les auteurs d'une étude récente sur les habitudes des praticiens en France [14] montrent que bien souvent, le nombre de tenons est excessif. Aucune étude n'évalue le taux de survie des dents portant des reconstitutions corono-radiculaires et leur nombre d'ancrages. Dans la plupart des situations cliniques rencontrées, un seul ancrage radiculaire suffit à condition de respecter la procédure de collage. La capacité de rétention naturelle du logement canalaire, combinée à la cohésion obtenue par la procédure de collage, évite de multiplier le nombre d'ancrages.

De la même façon, en raison de la cohésion obtenue par le collage, la longueur de préparation du logement canalaire n'a pas à être importante. Bien qu'aucune recommandation étayée par des études ne soit donnée à ce jour sur la longueur de préparation des logements canalaires, les spécialistes de la question ont unanimement adopté une réduction de cette longueur. D'une façon générale, nous proposons d'utiliser des forets à pointe mousse (du type Largo ou Gates) afin d'éviter tout risque de faux canal et, comme longueur de pénétration, celle de la partie travaillante du foret.

Le choix de la taille du tenon doit être en rapport avec le logement canalaire et, dans tous les cas, le tenon doit être passif et s'insérer au plus profond du logement. Cela a son importance en cas de dépose. Le tenon doit être adapté à l'anatomie de la racine et non pas l'inverse.

Dépose des reconstitutions corono-radiculaires

Une question revient souvent lors de travaux pratiques sur ce sujet : comment déposer une reconstitution corono-radiculaire collée ?

Avant tout, le traitement endodontique préalable doit être le plus parfait possible. La quasi-certitude d'une non-réintervention doit être acquise. En dernier recours, l'accès chirurgical doit être possible si le traitement endodontique n'est pas radiologiquement satisfaisant. Le tenon choisi doit s'insérer au fond du logement canalaire. En cas de dépose, la quantité de résine résiduelle entre le tenon et la lumière canalaire est minime.

Il faut tenir compte de la nature du tenon fibré : fibres en carbone ou en silice. Les tenons fibrés ne peuvent être saisis par un quelconque instrument et c'est donc une délamination des fibres qui permettra l'accès au système canalaire. Les fibres en carbone sont généralement plus facilement délaminées que les autres, cela dépend en fait de la nature de la matrice qui les englobe. S'il s'agit d'une matrice époxy, un simple abord avec des forets non travaillants à leur extrémité suffira. Il est nécessaire d'éliminer la résine située dans la partie camérale puis de faire un avant-trou au niveau de l'extrémité visible du tenon et le foret, guidé par cet avant-trou, délaminera le tenon.

Dans le cas de fibres en silice (quartz ou verre), la dépose peut s'avérer plus délicate. L'apport d'inserts ultrasoniques diamantés est très utile, une bonne vision de l'extrémité du tenon est indispensable. Le tenon sera détruit progressivement.

Cas clinique

Dans la description du cas clinique montrant les différents temps opératoires de la réalisation de deux reconstitutions corono-radiculaires collées en un seul temps ( fig. 1 à 28), un kit « Solution complète 33 » (Dentsply), réunissant les différents éléments compatibles nécessaires à cette reconstitution, a été utilisé.

Conclusion

Le choix d'un type de reconstitution corono-radiculaire nécessite une réflexion encore souvent insuffisante : une analyse fine de la situation clinique, de la radiographie, de l'anatomie dentaire et éventuellement de la nécessité de répondre à une demande d'esthétique.

L'évolution des reconstitutions corono-radiculaires tient mieux compte de l'intégration biomécanique. Les concepts adhésifs permettent aujourd'hui d'éviter certains échecs rencontrés par le passé. La recherche de rétention mécanique, génératrice de risques de fracture, est largement remise en cause aujourd'hui au bénéfice du collage.

Accessible au plus grand nombre, la technique des reconstitutions corono-radiculaires collées est souvent préférable aux reconstitutions coulées. Elle va dans le sens d'une dentisterie a minima , sans métal. Elle demande néanmoins une bonne connaissance des systèmes adhésifs et de la compatibilité des différents matériaux mis en oeuvre. L'utilisation d'un kit de procédure, comme celui utilisé dans la réalisation du cas clinique présenté ici, est sans doute une solution pour le praticien pressé. Mais la connaissance de cette technique ne dispense néanmoins pas de la réflexion et de l'analyse critique pour son indication. Une indication bien posée est sans doute la clé du succès à terme.

Bibliographie

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