Clinic n° 02 du 01/02/2010

 

RÉPONSE D'EXPERT

Alain BÉRY  

> Notre expertMaître de conférences des Universités, docteur en chirurgie dentaire, docteur en sciences odontologiques, docteur d'État en odontologie, docteur en éthique médicale, docteur en droit.Maître de conférences des Universités, docteur en chirurgie dentaire, docteur en sciences odontologiques, docteur d'État en odontologie, docteur en éthique médicale, docteur en droit.

Que l'on se place du côté des patients ou de celui du thérapeute, on peut concevoir aisément qu'on ait besoin du droit. Néanmoins, il est souvent confondu avec la déontologie, l'éthique, voire la morale. L'expertise d'Alain Béry, responsable du master 2 de droit médical appliqué à l'odontostomatologie (université Vincennes - Saint-Denis, Paris VIII) nous permet d'y voir plus clair.

Pourquoi le droit médical ?

Le développement naissant des droits des patients, fondé sur la protection de la santé publique, dans le domaine de la prévention et de l'accès aux soins, l'essor maîtrisé des droits des patients, lié à la dignité de la personne humaine (droit à la dignité, droit au respect du consentement, droit au secret, droit à l'indemnisation fondée sur la solidarité nationale) et, enfin, l'extension, voire l'hypertrophie, des droits des patients, sous-tendue par le consumérisme (droit à la qualité de la thérapie, droit à l'information, droit de rétraction, droit au refus des soins) sont sans nul doute à l'origine du droit médical. Force est de constater que parallèlement à la pratique de l'implantologie qui a connu un essor très important au cours des 30 dernières années, on constate une augmentation significative des sinistres. La fréquence de ces derniers, après s'être stabilisée du fait des efforts accomplis par les praticiens en matière de formation continue et du respect de certaines précautions, recommence à augmenter malgré tout.

Existe-t-il une différence entre la morale et l'éthique ?

Le mot « morale » est marqué par ses origines religieuses - morale chrétienne, morale judéo-chrétienne, etc. - et il connote un certain code social, c'est-à-dire l'ensemble des règles auxquelles nous devons nous conformer pour être admis dans une société donnée.

Le mot « éthique » vient à la fois des mots grecs ithos, qui signifie l'âme, et ethos, qui désigne les coutumes, les moeurs. L'éthique est la discipline qui prend en considération en même temps l'ithos et l'ethos. Elle vise l'harmonie entre l'âme et son environnement.

Daumezon définissait l'éthique comme « l'équivalent prétentieux de la morale ».

Pour le dictionnaire de Lalande, « l'éthique est la science qui a pour objet le jugement d'appréciation tant qu'il s'applique à la distinction du bien et du mal ».

Le dictionnaire Le Robert reprend plus ou moins cette définition en mettant l'accent sur l'aspect scientifique de l'éthique par rapport à la morale, la déontologie étant « la théorie des devoirs en morale ».

Le mot « éthique » est de nos jours utilisé, avant tout, pour éviter celui de « morale » que l'on juge trop moralisateur, trop chrétien, trop kantien. Le mot « éthique » n'a pas de sens spécifique car il est trop synonyme de morale, mais nous l'employons lorsque nous recherchons des principes d'action, des règles précises qui permettent de conférer aux hommes des pouvoirs nouveaux.

En anglais, en revanche, ethics signifie que c'est avant tout du choix que nous avons à faire dont il est question, car l'ethics relève de la responsabilité personnelle. En effet, il est toujours possible, en matière d'ethics, d'être éclairé, d'accepter des conseils, mais la décision finale n'appartient qu'à l'individu.

L'éthique s'appuie sur l'expérience, requiert une doctrine, exige enfin une véritable méthode, son champ est celui des choix qui changent les hommes et les choses et son fondement est celui de la liberté et du jugement de l'action.

Pour Luc Ferry, responsable du Centre de recherche sur Kant à l'École nationale supérieure : « L'éthique est un boulevard entre la morale et la loi et sur ce boulevard il y a les hommes, les experts, les politiques et les intellectuels. »

Les problèmes philosophiques, éthiques et sociaux, naissant du progrès, du savoir, sont assujettis à des dérives s'ils ne sont accompagnés d'autant de sagesse dans leurs analyses et dans la recherche de leur résolution.

La définition de Jean Reverdy reflète, pour notre part, la meilleure définition : « L'éthique est l'esthétique du dedans. »

La déontologie est-elle une morale ?

Le mot « déontologie » désigne quant à lui, au sein d'une profession, l'ensemble des règles communément admises comme une condition de survie. La déontologie s'assortit de sanctions qui peuvent conduire à l'exclusion du milieu professionnel.

Cependant, la déontologie ne peut se confondre avec l'éthique car elle s'en distingue non seulement par la nature de ses règles et par les objectifs poursuivis, mais aussi par les questions auxquelles elle contribue à apporter une réponse :

• réglementaire. Cela signifie que l'Ordre a la responsabilité du code de déontologie qui trace en quelque sorte les « règles du jeu » auxquelles doivent se conformer tous les praticiens ;

• administrative. L'Ordre contrôle l'entrée dans la profession du chirurgien-dentiste afin de préserver la santé des patients. Il vérifie ses diplômes, son contrat d'exercice, son casier judiciaire, puis il inscrit le chirurgien-dentiste à son tableau, lui donnant ainsi l'autorisation d'exercer. Il procède également à la radiation du tableau, à la demande du praticien ;

• juridictionnelle. L'Ordre a le pouvoir de juger et de sanctionner les chirurgiens-dentistes qui n'ont pas respecté les « règles du jeu », c'est-à-dire les manquements à leurs devoirs professionnels.

Comment peut-on schématiquement définir le droit ?

Le droit codifie l'ensemble des rapports sociaux. Les textes juridiques sont construits de manière telle qu'il y a une logique d'inclusion et de cohérence de la règle de droit inférieure avec la règle supérieure, en ayant comme gradation les usages, la jurisprudence, les arrêtés, les décrets, les lois, la constitution, les principes généraux du droit.

Les dirigeants d'une société politique ont deux fonctions principales, la fonction gouvernementale et la fonction normative.

• Fonction gouvernementale. Les gouvernants vont définir le type de société qu'ils entendent ou souhaitent établir, les grandes options philosophiques, sociologiques, politiques, économiques, sociales, culturelles sur la base desquelles sera fondée cette société ; ils vont déterminer les rapports entre elle et les autres sociétés politiques, amies ou ennemies.

• Fonction normative. Les gouvernants vont définir l'ordre social de la société politique considérée, ils vont organiser techniquement et pratiquement la vie de la société, la vie générale et la vie quotidienne, la conduite et les comportements de tous les individus et de tous les groupes composant cette société. Ils vont poser les principes, donner les ordres, définir les règles qui seront obligatoires pour tous les individus et dont l'inobservation sera sanctionnée par ce que l'on appelle la coercition, c'est-à-dire la contrainte, le cas échéant la force physique, matérielle voire même, quand le besoin s'en fait sentir, la violence brutale pouvant aller, dans certains États, jusqu'à l'exclusion dramatique et définitive du groupe, avec la peine de mort pour les contrevenants ou récalcitrants.

L'ensemble de toutes ces règles qui mettent en oeuvre la fonction normative des sociétés politiques et qui sont sanctionnées par la force contraignante du pouvoir politique s'appelle le droit, et les règles qui le constituent s'appellent les règles de droit ou encore règles juridiques.

En France, cet ensemble de règles est également appelé, par les juristes, le droit objectif.

Le droit objectif est donc la conséquence du besoin que ressent toute société politique, et qui est le besoin d'un certain ordre social. Pour satisfaire ce besoin, il doit alors exister à l'intérieur de la société une fonction normative : les individus et les groupes doivent respecter les règles de conduite définies par les autorités publiques, sous peine de se voir appliquer certaines sanctions à base de force contraignante.

Le droit constitue une activité normative de la société politique, fondée sur le caractère imparfait des individus et des groupes, mais aussi sur la nécessité d'une organisation et d'une amélioration des sociétés humaines. Il a pour fonction d'instituer un ordre social général et global au sein de la société, en définissant des règles objectives imposant des devoirs ou conférant des pouvoirs aux individus et aux groupes, et dont l'exécution est garantie par la force matérielle du pouvoir politique. Cette activité normative forme un système de prescription à base de consensus, de volontés et de rapports de force ; elle est normalement mise en oeuvre et développée avec la logique, la rigueur et la précision des méthodes scientifiques et techniques.

Peut-on parler d'un droit dentaire ?

Ces bases étant jetées, force est de constater que le droit dentaire a toute sa place, de par sa spécificité, au même titre que le droit médical. Compte tenu du nombre important et croissant des déclarations de sinistre et de contentieux, il devient nécessaire que les praticiens soient à même de savoir se défendre et qu'ils aient un minimum de connaissances juridiques.

En ce sens, la récente création d'un master 2 de droit médical appliqué à l'odontostomatologie (université Vincennes - Saint-Denis, Paris VIII) en est l'exemple. De surcroît, des étudiants issus du master ont créé l'association de droit dentaire () ayant pour mission de promouvoir l'enseignement, la connaissance et la divulgation des concepts et dispositions relatives au droit dentaire au sein de notre profession.