La lumière sans le luxe

Quand j'ai vu l'Alegra pour la première fois, j'ai été un peu surpris par son aspect rustique. Revêtement tout lisse, corps anguleux en 2 tronçons tronconiques, gros spot proéminent émergeant sous la tête : il m'a fait penser au personnage en fer-blanc du Magicien d'Oz. Un physique de baroudeur taillé à la serpe, loin des lignes onctueuses et fluides des Synea. Mais qui cache bien son jeu. Car l'intérêt de l'Alegra, c'est sa richesse intérieure : un dispositif unique, une innovation sans précédent. Ce contre-angle multiplicateur contient un minuscule générateur qui, lorsque la fraise tourne, produit assez de courant pour alimenter une puissante LED blanche capable d'éclairer le champ opératoire. Le système fonctionne comme une dynamo de bicyclette.

Ceux qui n'ont pas la chance ou les moyens de disposer d'un moteur électrique à lumière peuvent désormais profiter des mêmes avantages sans investir dans un nouveau matériel.

Les LED consomment beaucoup moins de courant que les lampes halogène. C'est certainement ce qui a rendu possible cette prouesse technique. Mais leurs avantages ne s'arrêtent pas là : elles sont minuscules, conservent presque indéfiniment leur puissance et dispensent une lumière très intense. D'ailleurs, même s'ils ne vont pas aussi loin que W & H, plusieurs autres fabricants proposent désormais de remplacer l'ampoule halogène de leur raccord tournant par une LED inusable.

Autre avantage, l'Alegra se branche sur tous les types de moteurs, alors que les contre-angles fibrés possèdent en bout de queue une excroissance qui interdit leur installation sur un moteur sans lumière. Il est vrai cependant que l'ergot, rétractable sur les nouveaux modèles, supprime ce genre de problème.

W & H abandonne ici les gravures sur le manche, véritable signature de la marque depuis des décennies. D'autres fabricants avant lui ont ouvert la voie en démontrant que ces rugosités n'étaient pas indispensables pour une bonne prise en main et qu'elles constituaient autant d'endroits possibles d'incrustation de la saleté. La surface gris satinée est de fait peu salissante et très facile à entretenir, avec un grip impeccable.

À l'usage, l'Alegra s'avère tout à fait conforme à ses frères. On retrouve les mêmes sensations qu'avec les autres contre-angles multiplicateurs W & H : une puissance immédiate, brute et virile, qui vous déferle entre les doigts. La marque autrichienne maîtrise depuis longtemps cette technique. Au fil des ans, ses modèles sont passés de 160 000 à 200 000 tr/min. Curieusement, celui-ci affiche 1:4,5 sur son manche. Sa vitesse de rotation maximale n'est donc que de 180 000 tr/min pour un moteur tournant à 40 000 tr/min. Honnêtement, cela se sent à peine. Mais bon, on n'aurait pas détesté disposer d'un maximum de chevaux, en particulier pour la découpe des couronnes ou les longs travaux de prothèse.

Le bruit est sensiblement le même que celui des Synea, toujours moins pénible et strident, en tout cas, que celui de la plupart des turbines. Quant au triple spray, il est abondant, inépuisable et totalement sans reproche.

Si la tête est la même que celle des Synea, le corps lui, est entièrement nouveau. Disons-le tout de suite : si j'apprécie la robustesse, la finition, la puissance et l'esthétique des derniers modèles de W & H, je regrette vraiment qu'ils se soient à ce point empâtés au fil du temps. Une taille un peu trop forte, des hanches opulentes, ce n'est pas l'idéal pour se mouvoir en bouche. Plus menu, l'Alegra est un peu plus agréable à utiliser. Même s'il présente à mon goût un angle trop marqué entre les deux parties du manche.

Reste la question de la lumière : il faut reconnaître que celle de la LED est sacrément puissante. Toute blanche, elle efface un peu les reliefs et embellit le moindre composite, qui prend alors un éclat magnifique. Nous sommes loin de la lueur jaune et blafarde des contre-angles fibrés et ampoule halogène.

Le contre-angle multiplicateur a ceci d'avantageux sur la turbine qu'il peut s'utiliser à différentes vitesses de rotation du moteur : élevée pour les tailles et découpes rapides, plus faible pour les finitions et le travail de précision. La lumière, ici, n'apparaît qu'à partir de 9 000 tr/min. Surprenant, mais pas rédhibitoire. Mais, comme l'éclairage est extrêmement vif, la différence avec et sans est particulièrement sensible. Je me suis trouvé plusieurs fois mal à l'aise, comme dans un trou noir, lors de l'arrêt du moteur. Par ailleurs le spot, très en arrière de la tête, n'éclaire évidemment que ce qui se trouve entre lui et la fraise. Pas toujours efficace pour voir ce qui se passe au-delà.

Au final, disons que l'Alegra est plutôt une bonne nouvelle : remarquablement bien fini, robuste et puissant, plus confortable à utiliser que le Synea malgré une vitesse maximale en retrait, il représente incontestablement une valeur sûre.

Au risque de surprendre certains, je suis personnellement réservé quant à l'intérêt de la lumière sur un contre-angle ou une turbine. À mon sens, ces rajouts sont relativement inutiles dès l'instant où l'on dispose d'un éclairage opératoire puissant, correctement orienté, et que l'on adopte des positions de travail convenables. La lumière sur les contre-angles sert à compenser toute une série d'erreurs de comportement, entre autres, le refus du travail en vision indirecte. J'irai même plus loin : elle est parfois si violente qu'en effaçant les détails, elle devient gênante. Il semble impossible, sur l'Alegra, de la supprimer. Le produit présenté ici est certes spectaculaire et saura, à n'en pas douter, séduire un vaste public. J'aurais pour ma part préféré voir le fabricant autrichien optimiser la géométrie de ses instruments afin de les rendre plus maniables. Mais cela eût été moins brillant et beaucoup plus difficile à faire passer auprès d'un public traditionnellement mal informé et peu exigeant sur ce point.