PROTHÈSE FIXÉE
Saroeun YOU* Laurence DARMON** Daniel DOT*** Pour en savoir plus****
*Attaché hospitalo-universitaire,
Service d'odontologie,
hôpital Albert-Chenevier.
**Étudiante en DCEO3,
Service d'odontologie,
hôpital Albert-Chenevier,
40 rue de Mesly,
94010 Créteil Cedex.
***Maître de conférences des Universités,
Praticien hospitalier,
Service d'odontologie, hôpital Bretonneau,
25 rue Joseph de Maistre,
75018 Paris.
Université Paris Descartes,
Faculté de chirurgie dentaire,
1 rue Maurice-Arnoux,
92120 Montrouge.
****Derrien G, Jardel V. Le démontage des prothèses fixées. Encycl Med Chir Odontologie 1999;23-305-B-10.
Eid N, Gadat E, Tramba P. Attitude clinique face au descellement partiel des bridges. Réal Clin 2000;11:315-324.
Conserver ou détruire la prothèse lors de sa dépose ? Évaluer le poids des risques pour la dent et ses tissus de soutien face au bénéfice de santé attendu est indispensable. La prise en compte des facteurs locaux, multiples, rend chaque cas unique. C'est pourquoi une approche méthodique et méthodologique est nécessaire. L'objectif de cet article est de rapporter le discours et les actes d'un praticien et d'un patient confrontés à un descellement prothétique partiel d'une prothèse dento-portée.
L'utilisation d'un « arrache-couronne » manuel ou pneumatique se heurte le plus souvent à deux interrogations de la part de l'utilisateur potentiel. D'abord vient celle de l'indication (encadré 1) puis celle de la mise en oeuvre la plus appropriée de l'instrument retenu.
L'interrogation des bases médicales de littérature avec les mots clefs se rapportant à ces deux questions ne livre aucune publication d'article de recherche clinique. Seuls des opinions d'auteurs ou des savoir-faire sont proposés, le plus souvent de façon anecdotique ou au contraire exhaustive.
L'objectif de cet article est d'illustrer, à partir d'un cas clinique, la démarche d'un praticien confronté à un patient présentant un descellement prothétique partiel sous la forme d'un dialogue entre les deux protagonistes.
LE PATIENT (69 ans, inquiet) : Je viens consulter dans votre service [service d'odontologie de l'hôpital Albert-Chenevier, 94000 Créteil] parce que mon bridge supérieur bouge depuis plusieurs mois et que je sens une mauvaise odeur dans ma bouche depuis quelques semaines. Je sais que ce n'est pas bon signe.
LE PRATICIEN (qui voit le patient pour la première fois et qui ne lui a pas encore fait ouvrir la bouche) : Ce bridge est en place depuis combien de temps ? Est-ce la première fois que cela vous arrive ? Avez-vous des douleurs liées à ce descellement ? Cette prothèse vous donne-t-elle satisfaction ?
LE PATIENT : Non, je n'ai pas mal. C'est la première fois que ce bridge se descelle depuis 12 ans qu'on me l'a placé avec la prothèse amovible qui prend appui dessus. Ma prothèse amovible bouge un peu mais, esthétiquement, je suis très content de mes couronnes [grimace du patient pour faire voir ses incisives] (fig. 1).
LE PRATICIEN : Très bien, je vais maintenant examiner votre bouche et vos prothèses.
À l'examen exobuccal, on remarque des masséters très développés ainsi qu'une légère perte de la dimension verticale d'occlusion.
À l'examen endobuccal (fig. 2 à 4), on note une bonne hygiène bucco-dentaire. L'arcade mandibulaire est dentée, fortement abrasée et l'absence des 48, 45 et 36 n'est pas compensée. L'arcade maxillaire présente des couronnes fraisées solidarisées de 14 à 23 (et non un bridge) et une couronne unitaire sur 26, associées à une prothèse amovible à châssis métallique prenant rétention sur la prothèse fixée par des attachements du type ASC52. Cette prothèse amovible est inadaptée, le crochet sur la molaire est fracturé et la barre cingulaire est manquante.
Les couronnes solidarisées sont mobiles du côté gauche et le diagnostic différentiel entre la mobilité dentaire et le descellement partiel est porté, au profit de ce dernier, à la vision des bulles d'air (dans la salive) qui éclatent aux marges des couronnes lorsque celles-ci sont mobilisées suivant leur axe d'insertion.
Un examen radiologique est conduit. La lecture des clichés rétroalvéolaires (fig. 5 et 6) montre la présence d'un traitement radiculaire sur la 14. Un tenon radiculaire unique est présent. Les autres racines ne sont pas traitées et ne présentent pas d'images périapicales radioclaires.
LE PATIENT : Alors docteur, qu'en pensez-vous ? Pouvez-vous me resceller ma prothèse ?
LE PRATICIEN : L'examen de vos radios montre que les couronnes ont été presque toutes réalisées sur dents vivantes. On ne voit pas de lésions osseuses ni même dentaires. Cependant, les caries sont masquées par le métal des couronnes. Il y a très peu de chances que l'on puisse resceller de façon « définitive » votre prothèse. Mais avant de me prononcer, il faut que je finisse de la desceller afin de voir l'état des dents sous les couronnes.
LE PATIENT : Comment comptez-vous me les desceller ?
LE PRATICIEN : On peut utiliser deux méthodes très différentes. La première consiste à découper les couronnes qui tiennent encore afin de préserver au maximum les dents restantes. La seconde cherche à desceller les couronnes en tirant dessus pour briser le ciment.
Dans le cas de notre patient, un nouveau scellement avec un ciment « définitif » de la prothèse actuelle est exclu car des caries ont, sans aucun doute, détruit une partie des dents restantes. Cependant, l'utilisation en prothèse transitoire des couronnes solidarisées permettrait de laisser la prothèse amovible actuelle en place le temps d'évaluer les lésions et de programmer le futur traitement. Le rapport bénéfice/risque est posé avec le patient.
LE PRATICIEN : Votre prothèse est très mobile, 3 ou 4 dents doivent être descellées du côté gauche. De plus, le ciment des couronnes restantes a déjà été sollicité et doit donc être fragilisé. Nous pouvons essayer de desceller le reste en tirant dans l'axe des dents mais nous prenons cependant le risque de fragiliser certaines dents, en particulier votre prémolaire qui est dévitalisée. Le découpage systématique nécessite la réalisation préalable de prothèses fixes et amovibles transitoires.
LE PATIENT (qui garde l'espoir de conserver son ancienne prothèse) : Je préfère que l'on essaye de desceller mes couronnes et que l'on voit ce qu'il y a dessous, avant d'entreprendre des frais.
Coup de théâtre ! À cette étape du traitement, le patient montre des photos des préparations dentaires que le praticien précédent a faites pour la confection des couronnes il y a 13 ans (en 1995) (fig. 7). On peut distinguer assez nettement des préparations coniques. Cela renforce la décision du praticien de desceller ces prothèses à l'aide d'un arrache-couronne pneumatique. L'appareil à sa disposition est le CORONAflex® commercialisé par la firme KaVo (fig. 8).
Le principe d'utilisation d'un « arrache-couronne » pneumatique est le suivant :
• l'appareil se branche sur un raccord multiflex de l'unit ;
• l'envoi de l'air comprimé permet de pousser le piston au bout de l'extracteur, ce qui permet à son tour d'actionner un levier mobile et orientable ;
• la pression nécessaire est celle utile à la turbine (entre 30 et 50 PSI). La puissance maximale de la percussion est de 4 000 N mais une bague de réglage permet de faire varier l'intensité de la percussion ;
• la brièveté et l'intensité du choc doivent permettre de briser le ciment de scellement servant de matériau d'interface entre la dent et la prothèse.
En clinique, il s'utilise de la façon suivante :
• couper l'arrivée d'eau au niveau de la turbine ;
• brancher l'arrache-couronne sur le raccord multiflex sans le laisser pendre sur le cordon mais, en raison de son poids élevé (450 g), en le posant sur un support fixe (plateau de l'unit par exemple) (fig. 9) ;
• dans les accessoires fournis, sélectionner la boucle (fig. 10) et essayer de la placer entre les embrasures des couronnes solidarisées (fig. 11). Très souvent cette manoeuvre est impossible car le point de soudure qui permet d'accrocher ensuite cette boucle sur le « porte-boucle » est trop volumineux. Dans ce cas, un aménagement de la boucle par meulage est indispensable (fig. 12) pour réussir à l'introduire entre les éléments prothétiques sans léser les tissus parodontaux (fig. 13). Attention ! Le meulage de la proéminence doit être effectué uniquement sur les parties ne permettant pas sa rétention sur le porte-boucle (parties bombées visibles lorsque la boucle est posée à plat). Deux méplats opposés sont réalisés avec une meulette caoutchouc. La boucle est, pour ce cas clinique, positionnée entre les 14 et 13 de manière à orienter le vecteur de force le plus parallèlement possible à l'axe de la prémolaire ;
• régler l'intensité avec la molette sur le minimum avant de l'augmenter progressivement ;
• placer la fourchette porte-boucle sur laquelle vient se placer le levier mobile du CORONAflex® (fig. 14) ;
• déclencher l'impact manuellement, en actionnant le déclencheur situé sur l'instrument. Au 3e impact, le descellement complet est obtenu (fig. 15 et 16).
Le volume des pertes dentinaires est maintenant objectivable. Chez notre patient, les destructions dentaires liées à la carie sont très étendues. Une mortification pulpaire de certaines dents est très probable. Après nettoyage des intrados prothétiques (fig. 17 et 18) et des structures dentaires résiduelles (sans avoir besoin d'anesthésier) (fig. 19 et 20), les couronnes céramo-métalliques sont réadaptées par apport de résine autopolymérisable (fig. 21) et scellées avec un ciment polycarboxylate (fig. 22). Aucune effraction « pulpaire » n'est réalisée dans cette séance.
LE PATIENT (à qui on a montré l'état résiduel de ses dents et aux questions duquel on a répondu) : J'ai bien compris qu'il faut maintenant que vous évaluiez quelles dents sont conservables avant de me faire des propositions de traitements. Merci pour votre patience et vos explications.
LE PRATICIEN : Attention à ne pas forcer sur vos prothèses ! À la semaine prochaine.
Indications
La dépose sans destruction d'éléments prothétiques fixés est indiquée lorsque tout ou partie de la prothèse d'usage veut être conservé ad integrum afin de s'en servir à titre provisoire ou, de nouveau, en prothèse d'usage.
L'utilisation d'un arrache-couronne peut être envisagée, par exemple, en cas de lésion périapicale d'origine endodontique, de descellement partiel d'un bridge ou d'un ensemble solidarisé et, plus rarement, s'il est nécessaire de réaliser une réparation extrabuccale d'un élément prothétique. Cependant, son indication doit être posée avec prudence car les risques sont nombreux et même si la possibilité de recourir à cet outil existe, sa mise en oeuvre clinique ne devrait se faire qu'en l'absence des contre-indications évoquées ci-dessous.
L'arrache-couronne pneumatique permet, plus aisément que son homologue mécanique, de générer des forces de désinsertion brèves, intenses et dans le meilleur axe possible, en limitant le risque de détérioration des éléments prothétiques ou dentaires.
Contre-indications
Nombreuses, elles peuvent être relatives ou strictes.
Elles sont liées aux risques de fracture des dents ou des prothèses inhérents aux forces exercées lors de la manoeuvre de descellement.
Le rapport bénéfice/risque lié à la dépose sans destruction prothétique doit être soigneusement évalué par le praticien et son patient à partir des éléments de l'observation clinique. Il est notamment impératif de connaître :
• la nature du matériau d'assemblage. Le principe de cette dépose d'éléments prothétiques repose sur la possibilité de fracturer le matériau d'interface liant la prothèse à la préparation. La résistance au cisaillement des ciments conventionnels, des ciments adhésifs et des colles varie respectivement de 1 à 5 et à 10. Il est donc beaucoup plus facile et beaucoup moins risqué de fracturer un ciment oxyphosphate de zinc à l'aide de secousses brèves et intenses que les autres matériaux d'interface « définitifs » pour lesquels l'utilisation de l'arrache-couronne est contre-indiquée ;
• la nature des dents supports (pulpées ou non, avec ou sans tenon, d'un seul bloc de type Richmond ou reconstituées par une reconstitution corono-radiculaire foulée ou coulée). Un risque majeur de fracturer le point d'appui dentaire au niveau radiculaire existe, en présence d'un seul ou de plusieurs tenons radiculaires. En effet, si la rétention de la reconstitution coronaire dans l'intrados coronaire est supérieure à la rétention du ou des tenons dans la ou les racines, le descellement des tenons est la règle. Il risque alors de provoquer des forces de cisaillements sur les parois radiculaires pouvant être à l'origine de fêlures ou de fractures. La tentative de descellement sera donc plus spécifiquement indiquée lorsque les dents sont pulpées et lorsque l'axe de désinsertion semble se superposer au grand axe de la préparation ;
• la valeur du support parodontal, afin de ne pas risquer l'extraction dentaire.