Clinic n° 01 du 01/01/2010

 

L'éthique est faite pour la vie et l'action. Elle a statut de position morale, jamais de vérité.

nLes débats éthiques sont nombreux et réguliers. Divers types d'arguments s'y opposent. Et nous attendrions de la conclusion de longues discussions ou du vote de lois ou des résultats d'études scientifiques la certitude de faire le bon choix, de prendre la décision vraie pour la société et ses pratiques1.

Il y a quelque chose de très étrange à naviguer dans l'éthique. Il y a même quelque chose de très prétentieux à croire détenir la bonne parole. Notre époque ne manque pas de philosophes moralisateurs prompts à épouser les contours des opinions dominantes. Notre époque abrite aussi des laboratoires d'éthique qui confrontent les dispositions du droit à certains chiffres du terrain professionnel ou à l'opinion des praticiens. Est-on là, loin des apparences, au coeur de la vérité éthique si on se place soit avant le débat (dans une « infraéthique » qui est un préalable, jamais une conclusion) soit après (dans une « pseudoéthique » qui est la prise de posture convenue) ? Comment, dès lors, aboutir à l'action ? Car c'est bien et toujours d'agir qu'il s'agit pour l'humain.

Un auteur a écrit : « Ce n'est qu'un préjugé moral de croire que la vérité vaut mieux que l'apparence. C'est même la supposition la plus mal fondée qui soit au monde. Qu'on veuille bien se l'avouer, la vie n'existerait pas du tout si elle n'avait pour base des appréciations et des illusions de perspective. Si, avec le vertueux enthousiasme et la balourdise de certains philosophes, on voulait supprimer totalement le «monde des apparences» - en admettant même que vous le puissiez -, il y a une chose dont il ne resterait du moins plus rien : c'est de votre «vérité». Car pourquoi serions-nous forcés de croire qu'il existe une opposition de nature entre le «vrai» et le «faux» ? Ne suffit-il pas d'admettre des degrés dans l'apparence, des ombres plus claires et plus obscures en quelque sorte, des tons d'ensemble dans la fiction - des valeurs différentes, pour parler le langage des peintres 2 ? »

À opposer un vrai et un faux, à ne pas admettre les « degrés dans l'apparence », à ne pas tenir compte ainsi de la nature du savoir éthique, j'en viens à penser qu'il est difficile de poser les choix avec clarté.

Nous vivons d'« illusions de perspective ». Ce n'est ni bien ni mal, ce n'est même pas constitutif. À trop vouloir jouer d'empathie, à s'autoriser à penser pour les autres, à se référer à des caricatures de droits universels, on finit par faire des choix fondés sur l'idée figée d'une vérité et non d'un processus de liberté. L'éthique est bien entendu une discussion avec franchise sur les valeurs qu'une société ou un groupe est prêt ou non à assumer.

Et pour clore sur la nature de ce qui fonde le choix dans l'action, plutôt que la « bonne parole », je souhaiterais que chacun élabore une « parole bonne ». Il y a un Bien, un Bon et un Beau à nouer dans l'éthique. Trois facettes qui doivent assumer leur statut de choix moral avec, sans exception, leur part d'arbitraire. n

1. Même le Comité national d'éthique n'est que consultatif. 2. Nietzsche F. Par-delà le bien et le mal. Paris, Librairie générale française, 2000 : 108 p.