Clinic n° 01 du 01/01/2010

 

Olivia NICLAS

INTERVIEW

Anne-Chantal de Divonne  

Permettre de soigner et prendre en charge les personnes atteintes de maladies à expression odontologique, tel est le combat mené depuis près de 10 ans par Olivia Niclas, présidente de l'AFDE. Cette jeune mère de famille participe à diverses commissions au ministère de la Santé dans le cadre de la préparation du 2e plan « Maladies rares ». Elle intervient aussi comme « patient formateur » dans les facultés dentaires afin d'alerter les futurs chirurgiens-dentistes sur leur rôle dans la détection des maladies rares.

Comment vous êtes-vous intéressée au monde dentaire ?

Il y a 10 ans, mon objectif était de savoir quel était le bon traitement pour mon fils atteint de dysplasie ectodermique. En France, la communauté médicale était opposée aux implants pédiatriques, alors que les Suédois y avaient recours avec succès depuis 25 ans et, plus récemment aussi, les Américains. Je me suis battue pour que cette maladie soit reconnue en France puis pour avoir accès financièrement à ce traitement. Je pensais être arrivée à mes fins quand le conseil d'administration de la Sécurité sociale a voté à l'unanimité la prise en charge des implants dans le cas de dysplasie. Mais rien n'a changé pour autant. Le feu vert du ministre de la Santé, à l'époque Jean-François Mattéi (mai 2002-mars 2004), était nécessaire.

Vous avez donc rencontré le ministre de la Santé ?

Oui, et son accord a été déterminant. Dans la foulée, la Haute Autorité de santé (HAS, à l'époque ANAES) a été saisie. Elle a rendu deux avis positifs sur le besoin d'implants en décembre 2006, l'un pour les enfants, l'autre pour les adultes. Seul le premier a pour le moment poursuivi son chemin jusqu'à l'inscription à la nomenclature. De longs mois ont cependant encore été nécessaires pour que les experts s'accordent entre eux. Il s'agissait de fixer le bon âge pour poser les implants, le nombre des implants nécessaires, ou encore les conditions du remboursement... Il a aussi fallu passer outre l'opposition de certains syndicats. Je reconnais que le prix qui a été retenu pour les implants est faible !

Mais la dernière étape était enfin franchie...

Non, pas encore. Il restait un dernier verrou. En effet, jusqu'en 2007, la loi devait s'appliquer à tous. Il n'était donc pas possible de rembourser des implants dans le seul cas d'une agénésie dentaire. Deux lois, celle du 18 décembre 2003 et la LFSS (loi de finances pour la Sécurité sociale, art. 56) pour 2007, permettent désormais de faire du « sur mesure ». Pour la première fois, les malades atteints de pathologies rares peuvent bénéficier de la prise en charge de soins particuliers. La publication de ces textes est vraiment liée à mon combat dans le cas d'anodontie.

Qui peut aujourd'hui bénéficier de cette prise en charge ?

Depuis l'inscription à la nomenclature d'implants dans le cas d'agénésie le 28 juin 2007, 34 enfants en ont bénéficié. Mais rien n'a été fait en faveur des implants pour adultes. Les autorités craignent sans doute de devoir faire face à un afflux de demandes. Je pense au contraire que, sauf en cas de douleur, les adultes vont préférer conserver la prothèse qu'ils ont l'habitude d'utiliser. Cela dit, il est absurde de ne prendre en charge des soins que jusqu'à l'âge adulte. Mis à part l'orthodontie, je ne connais pas d'autres cas médicaux. Le secteur dentaire est complètement hors norme. Et c'est vraiment un problème dans les centres de référence dentaires.

Que se passe-t-il dans les centres de référence dentaires ?

Des centres de référence pour les maladies rares regroupent autour d'un pôle de médecins « experts » les patients qui souffrent du même type de pathologie. J'ai participé à la création des deux centres consacrés aux problèmes dentaires. Deux ont vu le jour à Strasbourg et à Trousseau-Garancière. Ces centres sont importants car il y a à la clé des fonds spécifiques et une reconnaissance de la composante dentaire dans le diagnostic des maladies rares. Mais les spécialistes qui y travaillent sont frustrés en permanence. Ils proposent des plans de traitement magnifiques qui ne peuvent pas être réalisés parce qu'ils ne sont pas pris en charge. Comme si un cardiologue renonçait à une opération du coeur parce que son patient n'est pas pris en charge ! Seul le domaine dentaire fonctionne de cette façon. C'est un autre combat que je mène.

Vous intervenez aussi dans une dizaine de facultés dentaires. Quel est votre message ?

C'est toujours mon vécu personnel qui guide mon action. Il manquait des dents à ma fille aînée. On lui en a posé. Mais à l'époque, il y a 12 ans, personne ne m'a dit que l'absence de dents révélait une maladie génétique dans ma famille. Et que mon fils venu après pourrait avoir la forme totale de la maladie. On dénombre aujourd'hui 750 syndromes ayant une composante odonto-faciale. Ce sont autant de maladies qui peuvent être diagnostiquées à partir des dents. Or, une anomalie dentaire peut être prédictive d'autres maladies graves pour le patient, voire même pour ses descendants. Si j'interviens aujourd'hui comme « patient formateur » dans les facultés dentaires, c'est pour avertir les étudiants et tous les chirurgiens-dentistes afin qu'ils ne se contentent pas de soigner les dents. Leur rôle est aussi de s'interroger sur ce que cache éventuellement une anomalie. Ils peuvent obtenir de l'aide auprès des centres de référence ou en se rendant sur des sites Internet. Cette fonction de « patient formateur » est très nouvelle en France et c'est la discipline dentaire qui en est le promoteur !

Quel bilan faites-vous de ces 10 années de combat ?

Quand je pense à toutes les démarches entreprises, je me demande parfois où j'ai pu trouver toute l'énergie nécessaire ! J'ai la satisfaction de voir que les choses évoluent, lentement mais dans le bon sens. Et puis, j'ai d'excellentes relations avec le milieu dentaire qui m'a permis de m'exprimer plusieurs fois à l'ADF et tout récemment aussi à la journée de l'ASPBD*. Enfin, mon expérience m'a stimulée pour me lancer dans des études. Je prépare actuellement une thèse de doctorat en santé publique sur le patient expert.

Les libéraux impliqués

La création de 2 centres de référence à Strasbourg et à Paris Descartes ainsi que 6 centres de compétences est une « première étape dans la structuration de la filière de soins pour les patients atteints d'une maladie rare bucco-dentaire », a expliqué Marie-Cécile Manière, qui exerce dans le centre de Strasbourg, lors de son intervention à la 9e Journée de santé publique dentaire de l'ASPBD*. Leur mission est triple : faciliter le diagnostic et définir une prise en charge thérapeutique ; définir et diffuser des protocoles nationaux ; coordonner des travaux de recherche et faire des formations. « Ces centres organisent le maillage territorial avec des structures de prise en charge au plus près du domicile du patient et impliquant de plus en plus les chirurgiens-dentistes de secteur privé. », indique Marie-Cécile Manière.

* Société française des acteurs de la santé publique bucco-dentaire