RÉPONSE D'EXPERT
> Notre expertProfesseur des UniversitésFaculté d'odontologie de MarseilleUniversité de la Méditerranée
La zircone, introduite depuis peu en dentisterie, est reconnue comme un matériau résistant. Cependant, il persiste des zones d'ombre et des questions sur son utilisation, ses indications et sa mise en oeuvre. Il nous a paru opportun d'aller à la rencontre de cette « belle inconnue » que nous avons souhaité mieux connaître.
Qu'est ce que la zircone ?
Oxyde de zirconium (ZrO2), la zircone n'existe pas à l'état naturel. C'est essentiellement la société Tosoh Corporation qui fabrique ce matériau à partir de baddeleyte (ZrSiO4).
À température ambiante, la structure cristalline de la zircone est de type monoclinique ; lorsqu'on chauffe ce matériau à 1 100 °C, pour réaliser le frittage d'une infrastructure céramique par exemple, la structure devient tétragonale, puis cubique à 2 300 °C.
Au cours du refroidissement, les transformations inverses se produisent ; elles sont accompagnées de variations dimensionnelles liées au changement des paramètres des mailles cristallines. Concrètement, au refroidissement, la transformation tétragonale → monoclinique s'accompagne d'une expansion des cristaux de 3 à 4 % qui provoque la fracture de la céramique.
C'est pourquoi la zircone utilisée en odontologie n'est pas de la zircone pure : elle contient environ 3 % d'oxyde d'yttrium (Y2O3). On dit qu'elle est dopée à l'yttrium, ce qui lui permet de posséder une structure tétragonale même à température ambiante.
Ce matériau est alors appelé Y-TZP ( yttria-tetragonal zirconia polycristal ). Il est usiné le plus souvent dans sa forme préfrittée poreuse ( cold isostatic pressure ), mais parfois dans sa forme totalement frittée, dense ( hot isostatic pressure ).
C'est une céramique totalement cristalline (fig. 1) et opaque. Elle ne peut donc être utilisée que comme matériau d'infrastructure en remplacement des alliages (couronnes céramo-métalliques, CCM) ou d'autres céramiques d'infrastructure : alumine (In Ceram®, Vita) ou disilicate de lithium (Empress® 2, Ivoclar Vivadent).
Présente-elle un intérêt en dentisterie ?
La zircone Y-TZP présente la remarquable capacité de transformation cristalline sous contrainte (transformation martensitique). Les céramiques sont des matériaux au comportement fragile, c'est-à-dire dont la rupture se produit sans déformation préalable, le plus souvent par propagation de fissures. Lorsqu'une restauration est soumise à une force susceptible d'accélérer la propagation d'une fissure, le champ de contrainte autour de la fissure, provoque la transformation des cristaux tétragonaux en cristaux monocliniques (expansion 3 %). Ce phénomène provoque la mise en compression de la fissure et évite donc sa propagation. Ce mécanisme « protecteur » est réversible : dès que la contrainte cesse, les cristaux retournent à leur état tétragonal. Le mécanisme de protection est donc théoriquement permanent et il est unique parmi les céramiques utilisées en odontologie, ce qui fait de la zircone un matériau particulièrement intéressant.
Que peut-on faire avec la zircone que l'on ne puisse pas faire autrement ?
Pour être un peu provocateur, je dirais : rien.
Les alliages permettent tous types de restaurations céramo-métalliques, dans des situations plus complexes et des conditions plus simples que toutes les céramiques d'infrastructure. Les autres céramiques d'infrastructure, en particulier celles à base d'alumine, ont des propriétés mécaniques élevées et permettent de réaliser des restaurations unitaires antérieures et postérieures et même des restaurations plurales pour l'InCeram Zirconia (à base d'alumine-zircone).
Alors, que peut-on faire avec la zircone mieux qu'avec d'autres procédés et d'autres matériaux ?
Dans les secteurs postérieurs, et si on souhaite absolument éviter les armatures métalliques, les propriétés mécaniques très élevées de la zircone permettent de réaliser des restaurations plurales avec des connexions plus réduites qu'avec les céramiques à base d'alumine, ce qui devrait permettre d'élargir les indications des restaurations tout céramique.
Cependant, quelques études récentes (fig. 2 et 3) mettent en évidence un nombre d'échecs élevé dans ce type de restauration.
La plupart du temps, ce n'est d'ailleurs pas l'infrastructure en zircone qui est la cause de l'échec mais la céramique cosmétique (délaminations, chips). Les causes de ces échecs trop nombreux sont multiples mais sont très certainement liées au caractère réfractaire des céramiques (très isolantes) et à leurs coefficients de dilatation thermique. Conduisent à des contraintes internes pouvant entraîner des fractures au moment d'un effort, même réduit :
• une mauvaise adéquation des coefficients de dilatation thermique des céramiques cosmétiques et d'infrastructure ;
• un contrôle incorrect de la cinétique de refroidissement des restaurations après le frittage ;
• une mauvaise conception des infrastructures, trop souvent simplement homothétiques, des préparations dentaires.
Le matériau possède des qualités intrinsèques séduisantes, mais sa mise en oeuvre doit encore être améliorée.
Comment ces restaurations doivent-elles être assemblées ? Scellement ou collage ? Lorsque les premières restaurations en céramique sans armature métallique sont apparues, dans les années 1980, les matériaux utilisés étaient des céramiques :
• très peu résistantes (70 MPa en flexion contre près de 1 000 MPa pour les céramiques Y-TZP) ;
• de structure biphasique (une matrice de verre dans laquelle étaient dispersées des particules cristallines) ;
• composées à près de 80 % de SiO2 (silice).
La résistance clinique de ces restaurations était due essentiellement au collage, c'est-à-dire à la conjonction d'une adhésion du matériau d'assemblage aux tissus dentaires (émail essentiellement) et à la céramique, et des propriétés physiques de ce matériau (faible module d'élasticité et rétraction à la polymérisation, permettant de mettre en compression la céramique et donc d'éviter la propagation des fissures).
Les indications cliniques (facettes, onlays et inlays) nécessitaient une bonne adhésion compensant l'absence de rétention par encastrement.
Quelle est la situation actuelle ?
Les céramiques d'infrastructure ont des propriétés mécaniques telles que le renforcement par le collage est devenu inutile. Les indications de ces matériaux (coiffes unitaires ou prothèses plurales) nécessitent rarement une adhésion élevée. Se pose-t-on la question du choix du matériau d'assemblage et du traitement de l'intrados prothétique avant d'assembler une CCM ou un bridge céramo-métallique ? Très rarement, et c'est exactement le même genre de situation que celle des couronnes céramo-céramiques à infrastructure zircone.
Dans ces conditions, c'est l'ergonomie de l'assemblage qui doit être privilégiée. Dans ce domaine, les ciments verre ionomère modifiés par addition de résine (CVIMAR) me semblent être particulièrement indiqués.
Oui, mais, lorsqu'on a besoin d'une adhésion forte, moignon court ou à forte dépouille par exemple, la question est : peut-on coller sur la zircone ? Et si oui, comment ?
Le collage indispensable des céramiques feldspathiques est obtenu par :
• le mordançage de l'intrados à l'acide fluorhydrique dont le résultat est la création d'une microporosité de la surface (fig. 4). L'efficacité de ce mordançage est due à la structure hétérogène de ces céramiques (verre + cristaux). Les céramiques à base de zircone sont totalement cristallines et ne se mordancent pas efficacement ;
• l'application d'un silane sur la surface mordancée. Le silane est une molécule bifonctionnelle : une extrémité de la molécule porte un groupement silanol, qui permet la formation de liaisons chimiques avec une surface à base de silice, et l'autre extrémité est un groupement méthacrylate susceptible de se lier avec toutes les colles utilisées en odontologie, elles-mêmes à base de méthacrylates. Les céramiques à base de zircone ne contiennent pas de silice. Le silane est donc inefficace.
On ne peut donc adhérer à la zircone de la même façon qu'à une céramique feldspathique ou à une vitrocéramique.
Que faire alors ? Peut-on sabler ces surfaces ?
L'efficacité du sablage est très limitée. De plus le sablage, par la contrainte qu'il engendre à la surface de la zircone, provoque la même transformation martensitique que celle évoquée plus haut, qui transforme les cristaux tétragonaux en cristaux monocliniques, mais de façon irréversible. L'irréversibilité du phénomène supprime l'effet protecteur de la transformation. Quelles sont ses conséquences cliniques ? Il est difficile de répondre, mais pourquoi prendre ce risque alors que l'efficacité du procédé est limitée ?
Que penser du sablage réactif Rocatec® ou Cojet® (3M-ESPE) ?
Son efficacité est due à l'enrichissement en silice du matériau sablé avec ces systèmes et donc à la possibilité d'avoir recours à un silane. Cette efficacité a été démontrée. Mais il s'agit, là encore, d'un sablage !
Existe-t-il d'autres solutions ?
Plusieurs études ont montré que les colles contenant des groupements fonctionnels phosphates (Panavia® avec le MDP, ou les colles autoadhésives), permettaient d'obtenir une adhésion élevée sans traitement de surface. De plus, l'adhésion obtenue semblait s'améliorer avec le vieillissement, ce qui n'est pas le cas de tous les autres matériaux d'assemblage. Une des indications des nouvelles colles autoadhésives pourrait donc être l'assemblage des restaurations à infrastructure zircone.
Autre solution simple : utiliser un CVIMAR après traitement de l'intrados de la restauration avec une solution d'acide polyacrylique (GC conditionner par exemple), sans rinçage.
En résumé
La zircone yttriée est un matériau séduisant, avec des propriétés mécaniques uniques.
Est-ce que ce matériau va conduire à la disparition des infrastructures métalliques ? Pas pour le moment et certainement pas avant longtemps. D'ailleurs, la Haute Autorité de santé, dans son rapport récent sur les « prothèses dentaires à infrastructure céramique » (déc. 2007), confirme cette prudence : « Le taux d'éclatement de la céramique sur zircone reste plus élevé que celui des céramo-métalliques ; des études à plus long terme sont nécessaires pour mieux évaluer les performances cliniques dans les secteurs postérieurs. »