LA MISE EN CHARGE PRÉCOCE : SOLUTION THÉRAPEUTIQUE À LA MODE OU VÉRITABLE INTÉRÊT CLINIQUE ?
Chirurgie
Implantaire
PH attaché en Chirurgie orale et Implantologie au CHU de Nice. Attaché d’Enseignement à l’Université de Nice Sophia-Antipolis. Membre du MegaGen International Network of Education and Clinical research (MINEC). Exercice libéral à Saint-Raphaël.
La mise en charge précoce exige une séquence de traitement rigoureuse dont chaque étape doit être scrupuleusement respectée et validée avant de passer à la suivante. Néanmoins, avant de décrire le protocole en détails, il est important de définir le cadre dans lequel nous souhaitons intégrer notre travail.
Premièrement, nous n’évoquerons que des cas d’extractions/implantations immédiates associées à des régénérations osseuses volumineuses. Deux...
En moins de 30 ans, le rapport des individus à l’image, à leur propre image, a considérablement évolué. Que cela nous enthousiasme ou nous préoccupe, force est de reconnaître que l’apparence est désormais au cœur de l’ensemble des relations humaines. Dans ce contexte, nos patients exigent de plus en plus comme condition sine qua non, dans le cadre de réhabilitations implantaires complexes impliquant les secteurs esthétiques, de « ne jamais rester sans dents ».
La mise en charge immédiate ou précoce, qu’elle concerne tout ou partie d’une arcade, n’est-elle qu’une réponse technique à cette évolution sociétale, celle d’un provisoire fixe ? Ou, au contraire, a-t-elle une véritable raison d’être dans l’établissement de nos plans de traitement, bien au-delà de la phase de temporisation ? L’objectif de cet article est d’établir un protocole accessible et reproductible de la mise en charge précoce, en soulignant les indications réelles et les enjeux cliniques concrets de cette réhabilitation.
La mise en charge précoce exige une séquence de traitement rigoureuse dont chaque étape doit être scrupuleusement respectée et validée avant de passer à la suivante. Néanmoins, avant de décrire le protocole en détails, il est important de définir le cadre dans lequel nous souhaitons intégrer notre travail.
Premièrement, nous n’évoquerons que des cas d’extractions/implantations immédiates associées à des régénérations osseuses volumineuses. Deux cas cliniques viendront illustrer notre propos : le premier est un patient de 75 ans sous antihypertenseurs (figure 1), le second une patiente de 76 ans sans antécédents médicaux (figure 2). Chacun présente, à la consultation initiale, une réhabilitation ancienne par bridge dento-porté (maxillaire de 14 à 25 pour le premier, mandibulaire complet pour le second) dont les piliers sont à extraire du fait d’importantes infections péri-apicales et de fractures radiculaires multiples.
Deuxièmement, consécutivement aux avulsions, les implants sont systématiquement positionnés dans l’axe prothétique (nous n’utilisons jamais de piliers angulés), avec un point d’impact très palatin/lingual pour conserver un volume osseux vestibulaire favorable et durable (figure 3) en accord avec le protocole décrit par Simonpieri et al. [1, 2].
Troisièmement, nous parlerons uniquement de mise en charge précoce (MCP) et non immédiate (MCI) [3]. En effet, notre approche impose la réalisation d’une armature métallique au laboratoire. Dans le cadre d’importantes greffes osseuses, le torque initial des implants est variable. La stabilité primaire est potentialisée par le design de l’implant AnyRidge avec lequel nous opérons (ancrage spongieux exclusif renforcé par une spire de 0,4 mm plus large que les autres) et l’ostéo-intégration accélérée par l’état de surface (SLA + ions Ca2+) [4], mais la solidarisation des implants par une armature métallique (figure 4) permet de créer une chaîne d’union au sein de laquelle les éléments les plus forts soutiennent les plus fragiles [5]. Notons également que cela élimine le risque de fracture franche de la restauration prothétique provisoire. Pendant toute la période de cicatrisation, la protection des implants est ainsi majorée et l’éventualité d’un ou de plusieurs échecs implantaires considérablement diminuée [6].
Enfin, puisque nous en sommes à nous intéresser à la cicatrisation, il est temps d’aborder la véritable pertinence clinique de la MCI ou MCP et, donc, l’intérêt de son indication. Au niveau de la cicatrisation fibromuqueuse, la MCI, qu’elle soit unitaire ou plurale, est l’unique alternative pour espérer préserver les papilles. La réalisation d’une prothèse légèrement compressive avec des profils d’émergence adaptés et convexes permet de guider la cicatrisation des tissus mous vers une architecture festonnée et d’éviter ainsi l’établissement d’un phénotype gingival plat, malheureusement fréquemment associé aux réhabilitations implantaires [7]. En ce qui concerne la cicatrisation osseuse, l’ensemble de notre protocole chirurgical est conçu dans l’optique de protéger au maximum le site greffé : relaxation tissulaire par épaisseur partielle et SoftBrushing, sutures sans tension avec matelassiers apicaux systématisés [8]. Néanmoins, le temps de cicatrisation totale est de 3 mois. Une sollicitation quotidienne du site opératoire pendant cette durée, par une prothèse amovible à appui muqueux, ne peut qu’augmenter le risque d’échec partiel ou total de la greffe. Une réhabilitation provisoire fixe implanto-portée limite le risque de complications de cet ordre et maximise la protection du site greffé.
La description du protocole de la MCP débute non pas le jour de la chirurgie mais bien en amont. L’élément le plus techniquement exigeant, et par conséquent responsable du plus grand nombre d’erreurs, est la reproduction de l’occlusion. Cela est évidemment d’autant plus vrai dans le cas de la réhabilitation d’une arcade complète. Il est donc primordial de recueillir le maximum d’informations avant l’avulsion des dents.
• Empreintes maxillaire et mandibulaire.
• Enregistrement de l’occlusion à l’aide d’un silicone injectable : l’occlusion en relation centrée, seule position reproductible, est la position d’inter-cuspidation maximale (figure 5).
Au laboratoire, un porte-empreinte individuel à ciel ouvert est réalisé. Le montage des modèles sur articulateur permet la confection d’une gouttière thermoformée englobant les deux arcades en occlusion (figure 6).
• Extractions/implantations immédiates.
• Mise en place des piliers Octa définitifs.
• Greffe osseuse : StickyBone (50 % allogreffe + 50 % xénogreffe + S-PRF) (figure 7) recouvert exclusivement de membranes A-PRF (figure 8).
• Sutures mono-filament résorbable 5.0.
• Empreinte avec transferts pick-up non indexés vissés sur les Octa (contrôle systématique du positionnement correct de chaque transfert par des radiographies rétro-alvéolaires ortho-centrées) et solidarisés par fil dentaire + LuxaBite (figures 9 et 10).
• Mise en place des coiffes de protection sur les Octa.
• Enregistrement de l’occlusion : la gouttière thermoformée est positionnée sur l’arcade antagoniste. Du silicone light est injecté dans la gouttière en regard de l’arcade à réhabiliter. Le patient est délicatement guidé pour marquer l’ensemble des coiffes de protection dans le silicone (figure 11). Cette information permet la reproduction des rapports intermaxillaires et de la dimension verticale au laboratoire, qui devra disposer d’un nombre identique de coiffes de protection à visser sur les analogues de pilier Octa (figure 12).
• Validation par une clef de Sheffield (figure 13) qui, au-delà de vérifier l’exactitude de l’empreinte, permet de s’assurer de la passivité de la future armature, caractéristique indispensable au succès de ce type de réhabilitations (contrôle du positionnement correct de la clef de Sheffield par des radiographies rétro-alvéolaires ortho-centrées sur chaque pilier).
• Lors de cette séance, l’enregistrement de l’occlusion peut être vérifié et affiné par une maquette d’occlusion vissée sur 2 piliers (figure 14). Les indices de Lee sont alors reportés sur la cire.
• MCP par une prothèse résine à armature métallique vissée sur les Octa.
• Vissage progressif sur chacun des piliers, en alternant les secteurs.
• Contrôle du positionnement correct de la prothèse par des radiographies rétro-alvéolaires ortho-centrées sur chaque pilier.
• Équilibration occlusale en statique et en dynamique (figure 15), selon le concept de l’occlusion bilatéralement équilibrée ou occlusion balancée [9].
• Polissage.
• Vissage final.
• Fermeture des puits de vissage par téflon + résine composite photopolymérisable.
• Radiographie panoramique (figure 16).
Contrôles à 10 jours (figure 17), 6 semaines et 3 mois.
Au terme de cette description séance par séance, il apparaît que la MCP requiert une séquence de traitement techniquement très exigeante. Mais une approche rigoureuse et protocolaire étape par étape permet de limiter grandement le risque d’erreurs ou de complications et d’appréhender ainsi ces réhabilitations avec confiance.
De par sa fiabilité et sa reproductibilité, la MCP ne doit pas être réduite à une alternative à la mode répondant à des impératifs sociétaux. Dans le cas d’extractions/implantations immédiates avec reconstruction osseuse complexe, elle doit intégrer l’arsenal thérapeutique du chirurgien-dentiste car, si un provisoire fixe implanto-porté confère un confort indéniable au patient, il est aussi un allié précieux pour augmenter les chances de succès et améliorer le résultat esthétique final [10]. La solidarisation des implants et surtout la protection de la greffe osseuse par la MCP favorisent indéniablement la qualité et la pérennité des résultats à moyen et long terme (figure 18).
L’auteur déclare des liens d’intérêts avec MegaGen en tant que membre du MegaGen International Network of Education and Clinical research (MINEC).
L’ensemble des travaux prothétiques présenté dans cet article a été réalisé par Bernard Zarb et ses équipes au Laboratoire Dental Concept Méditerranée (Nice).