Clinic n° 11 du 01/12/2010

 

ODONTOLOGIE RESTAURATRICE

Nicolas CAZAL*   Éric LEFORESTIER**   Michèle MULLER-BOLLA***  


*Étudiant de 6e année
**MCU-PH
***PU-PH
****UFR d’odontologie
24 avenue des Diables-Bleus
06024 Nice cedex 2

Depuis 5 ans, Dentsply International organise un concours de cas cliniques de dentisterie restauratrice ouvert aux étudiants de 6e année.

Cette année, Nicolas Cazal (Nice) a vu son cas clinique remporter le premier prix international Ceram.X et s’est vu attribuer un chèque de 3 000 €.

La faculté d’odontologie de Nice et son doyen, le Pr Marc Bolla, ont toujours participé à ce concours : de nombreux cas cliniques ont été présentés par les étudiants encadrés par le Pr Michèle Muller-Bolla (odontologie pédiatrique), le Dr Éric Leforestier (biomatériaux), le Pr Marie-France Bertrand et le Dr Nathalie Brulat (dentisterie restauratrice).

Pour la première fois, la France est sur la plus haute marche du podium.

Après un traumatisme responsable d’une perte de substance dentaire, la demande de l’enfant ne s’exprime pas forcément en termes de restauration alors que les parents s’inquiètent davantage des conséquences esthétiques. Néanmoins, l’enfant ne s’oppose jamais à la reconstitution des dents fracturées et, à la fin du traitement, lorsqu’il s’empare d’un miroir pour regarder ce que le praticien lui a fait, il le gratifie d’un beau sourire immédiat et spontané qui signe la réussite de son travail. Celui-ci a pour objectif la reproduction de la forme, de la fonction et de l’aspect des tissus naturels. À cet égard, l’utilisation des résines composites permet, depuis de nombreuses années, de réaliser des reconstitutions dont la qualité va en grandissant [1]. Depuis 20 ans, ces matériaux polymères ont connu des évolutions importantes en matière de propriétés physiques, mécaniques et esthétiques. Ils sont devenus plus simples à manipuler et présentent des coefficients de retrait de polymérisation diminués grâce à la plus faible proportion de matrice organique. Enfin, ils ont toutes les caractéristiques requises pour répondre aux critères esthétiques (réflexion, diffusion, diffraction de la lumière) [2, 3].

La technique de stratification des composites correspond à la mise en place du matériau par apport d’incréments successifs [4]. Au départ, la sophistication de cette méthode « multicouleurs » dépendait de l’étendue de la cavité. Plus c’était complexe, plus le choix complet des masses dentine et émail incisal était difficile, et ce d’autant plus que le cas à réaliser présentait des colorations acquises ou dysphasiques et des fêlures ou microfractures obligeant à une approche personnalisée [5]. Le choix des différentes masses de composite était difficile et signifiait généralement, pour le praticien, la mise en œuvre d’une technique longue, fastidieuse, peu reproductible et incompatible avec la réalité économique. Les nouveaux composites réactualisent cette technique en la simplifiant considérablement pour qu’elle puisse devenir compatible avec l’omnipratique et en minimisant les contraintes d’utilisation tout en offrant un résultat esthétique de haut niveau [6, 7]. Des résultats reproductibles et prévisibles, permettant de reconstruire une architecture dentaire analogue à celle de la dent naturelle, sont possibles en utilisant des masses de composite émail et dentine en lieu et place des tissus perdus, associées à un gros travail de finition des états de surface [2].

Quelques points clés doivent êtres associés aux restaurations esthétiques antérieures directes :

• reproduire l’aspect naturel ;

• privilégier la circulation de la lumière ;

• adopter une méthodologie opératoire fiable et reproductible [2] ;

• ne pas nuire au tissu pulpaire et, dans le cas des dents immatures, procéder au scellement des tubules dentinaires pour un meilleur pronostic [8].

La stratification « moderne », selon le concept défini par Vanini [9], est une stratification dite anatomique ou naturelle dont le principe est de remplacer les tissus manquants par des masses de composites ayant les mêmes propriétés optiques (teinte, saturation et opacité). La réalisation de telles obturations est donc simplifiée par l’utilisation de deux couches : une couche de composite dentine (d’une seule teinte, d’une seule opacité et d’une seule saturation) et une couche de composite émail. La mise en œuvre n’est donc pas plus longue qu’avec une technique classique utilisant un matériau « monoteinte ». C’est l’arrangement spatial des masses de composites qui change afin de se rapprocher le plus possible de l’aspect naturel des tissus dentaires [6].

Différents matériaux sont proposés en accord avec cette technique dont les composites de la gamme Ceram.X™ (Dentsply De Trey) dans sa version « Duo » proposant un panel de 4 teintes dentine et de 3 teintes émail (avec une teinte « blanchiment » ajoutée pour les restaurations après éclaircissement). Le nombre de combinaisons des teintes émail et dentine s’élève donc à 12 en tout. Toutefois, selon certaines situations cliniques, il peut s’avérer nécessaire de combiner d’autres teintes émail et dentine, combinaisons donnant les meilleures intégrations esthétiques [10].

Ce travail propose, au travers d’un cas clinique, d’exposer pas à pas la réalisation de restaurations antérieures directes utilisant cette technique de stratification en résine composite.

Il s’agit d’une jeune patiente de 12 ans ayant subi un traumatisme dentaire par suite d’une chute en patins à glace entraînant une fracture amélo-dentinaire simple sans exposition pulpaire des 11 et 21. Dans l’urgence, seul le fragment de la 21 a été recollé, celui de la 11 n’ayant pas été retrouvé (fig. 1). La patiente a ensuite été prise en charge dans le service d’odontologie pédiatrique de l’hôpital Saint-Roch à Nice.

Il a donc été décidé, lors de la première consultation et après s’être assuré de la vitalité de la 11 et de la 21, de réaliser une restauration par une technique de stratification à l’aide du composite Ceram.X™ Duo. Selon le protocole de stratification des composites décrit par Vanini [9], des empreintes primaires maxillaire et mandibulaire ont été réalisées. Une fois les rapports d’occlusion enregistrés, ces modèles ont été montés sur un articulateur semi-adaptable. Des cires de diagnostic ont été réalisées (fig. 2) pour obtenir une clé en silicone qui servira de guide de stratification (fig. 3) [10].

Au cours de la deuxième séance, dans un premier temps, l’analyse de la morphologie et de la teinte des dents à reconstituer a été effectuée (fig. 4). Les échecs des restaurations esthétiques sont la plupart du temps liés à une sélection erronée de la teinte. Cette analyse s’est faite dans des conditions normales de luminosité (lumière du jour) avant d’avoir isolé et séché les dents concernées [11]. Ici, compte tenu de l’étendue de la fracture, l’analyse a été faite en regard des incisives latérales et a permis de relever les éléments suivants :

• la région cervicale est la zone de détermination de la couleur de la dentine car l’émail y est en faible épaisseur et influence peu la perception de la teinte. Un niveau de saturation plus important qu’au tiers incisif y a été constaté [2], une teinte dentine D3 a été choisie ;

• la région médiane (corps de la dent) est marquée par une teinte plus ambrée et brunâtre, plus saturée et non translucide. Les teintes D3 et D4 ont été utilisées ;

• le tiers incisal est opalescent et translucide du fait de la prédominance de l’émail avec une extension marquée en mésial et distal. La teinte E2 a été retenue [9].

Une fois cette analyse faite, est venue l’étape de la restitution clinique de ces éléments. Après anesthésie, le champ opératoire a été posé de la 14 à la 24 (fig. 5). La mise en forme des cavités a été réalisée, le fragment qui avait été recollé a été éliminé et la préparation d’un biseau long vestibulaire de 1,5 à 2 mm sur la ligne de fracture a été effectuée. Cette technique est la plus répandue pour masquer le trait de fracture [2] ; elle permet également d’augmenter la surface de collage. La clé en silicone a été essayée et ajustée au champ opératoire (fig. 6) pour avoir une bonne adaptation lors de la mise en place de la couche « émail palatin » [10]. Le mordançage amélo-dentinaire a été réalisé avec de l’acide orthophosphorique pendant 15 secondes et a été suivi d’un rinçage et d’un séchage sans déshydratation. L’agent d’adhésion, un M & R (XP Bond™, Dentsply) a été ensuite soigneusement étalé sur les surfaces dentaires à l’aide d’un pinceau consacré à cet usage en frottant les tissus amélo-dentinaires pour bien les imprégner.

Le composite de teinte émail E2 a été utilisé en couche très fine pour reconstituer l’émail palatin et les faces proximales. La clé en silicone (fig. 7) a permis d’obtenir une anatomie palatine correcte. En étant bien positionnée, elle a évité de nombreuses retouches lors de la finition. Chaque couche a été photopolymérisée. Ensuite, le substitut dentinaire a été incrémenté (fig. 8). C’est à ce stade que l’ensemble de l’anatomie interne de la dent a été façonné (lobes marqués, « mamelons » à distance du bord incisif). Le composite émail en dernière couche vestibulaire a ensuite été appliqué en fine couche en respectant la forme de la dent restaurée. Il convient de noter que l’utilisation d’instruments à sculpter les composites à revêtement Ti-métal (spatules Prodont Hollinger T-HEI O® ou ASA Dental 1102T-1®) ainsi que ceux à embouts en silicone (spatule HFO à manche métal et embout en silicone : T-Pen MS® avec 2 angulations disponibles, 45 et 90-180°, et spatule HFO à manche en bois et embout en silicone blanc ou noir : T-Pen S® et T-Pen N®), qui ne collent pas au matériau de restauration, a facilité ce travail de sculpture.

La digue a ensuite été déposée, les finitions (fig. 9) et le polissage final (fig. 10) ont été obtenus par l’utilisation successive d’une fraise bague jaune (Komet 862 EF 314010), de disques diamantés en résine diméthacrylate d’uréthane (Pogo®, Dentsply), de disques de finition (Enhance®, Dentsply) et par l’application finale de pâte à l’oxyde d’alumine Prisma® Gloss (Dentsply) de deux granulométries différentes : 1 et 3 µm [12].

Le concept Ceram.X™ Duo a permis d’obtenir un très bon résultat esthétique (fig. 11 et 12). Son protocole opératoire est, après prise en main, à la portée de chaque praticien. Il nous a permis, simplement, de garder le sourire tout en le rendant à notre patiente, et a fait de cette technique le « duo gagnant ».

Bibliographie

  • 1. Benhamou Y, Bukiet F, Cucchi J, Wattinne F. Les restaurations esthétiques antérieures : la technique de stratification. Les dossiers de l’ADF. Paris : ADF, 2002.
  • 2. Koubi S, Faucher A. Restaurations antérieures directes en résine composite : des méthodes classiques à la stratification. Encycl Med Chir (Elsevier SAS, Paris), Odontologie 2005;23-136-M-10.
  • 3. Blanc F, Leforestier E. Stratification des composites et Ceram.X Duo : un matériau pour une performance clinique au quotidien. Clinic 2010 31:317-321.
  • 4. Lehmann N. Composite antérieur et stratification. Clinic 2005;26:191-197.
  • 5. Dietschi D, Ardu S, Krejci I. Les restaurations antérieures par méthode directe collées, la stratification. In : Raulet JF, Degrange M (eds). Collages et adhésion, la révolution silencieuse. Paris : Quintessence international, 2001:235-254.
  • 6. Gonthier S, Desreumaux-Gonthier M. Évolution des composites antérieurs : les composites à haut rendu esthétique. Aspect technique. Clinic 2002;23:299-308.
  • 7. Dietschi D. Progrès significatifs dans la technique stratifiée des restaurations antérieures en composites. Inf Dent 2002;84:127-131.
  • 8. Naulin-Ifi C. Traumatisme Dentaire. Du diagnostic au traitement. Rueil-Malmaison : CdP, 2005:36-37
  • 9. Vanini L. Light and color in anterior composite restorations. Pract Periodont Aesth Dent 2001;13:19-26.
  • 10. Pelissier B, Castany E, Chazel C, Duret F. Stratification antérieure avec un nouveau matériau de restauration. Inf Dent 2005;87:2063-2068.
  • 11. Ceinos R, Muller-Bolla M. Restaurations du secteur antérieur en denture temporaire. Quels sont les critères morphologiques et esthétiques à respecter ? Clinic 2009;30:129-133.
  • 12. Leize-Zal E. Polissage et finition. Techniques pour tous les matériaux d’obturation et de prothèse. Encycl Med Chir (Elsevier SAS, Paris), Odontologie 2002;23-360-J-10:9 p.

Évaluez-vous

Testez vos connaissances suite à la lecture de cet article en répondant aux questions suivantes :

1. L’analyse de la teinte doit être réalisée :

a. à la lumière du jour.

b. à la lueur du scialytique.

c. à l’éclairage ambiant de la pièce.

2. Concernant la préparation, le biseau permet :

a. d’augmenter la surface de collage.

b. de masquer le trait de fracture.

c. d’assurer une meilleure rétention du matériau.

2. C’est grâce à la plus grande proportion de matrice organique que les composites de stratification présentent des coefficients de retrait de polymérisation diminués.

a. Vrai.

b. Faux.

Découvrez la suite du questionnaire et les bonnes réponses sur notre site Internet www.editionscdp.fr, rubrique Formation continue.