Clinic n° 11 du 01/12/2009

 

GÉRER

PASSIONS

Catherine FAYE  

Propos recueillis parPropos recueillis par

Diplômé de la faculté dentaire de Nantes en 1982, Patrick Allereau, alias Docteur Pal, est l'auteur d'une série de livres humoristiques intitulée « Chroniques z'et cas cliniques » où il raconte avec humour les situations loufoques qu'on ne peut rencontrer qu'au cabinet dentaire...*

Cet « omnidentiste », comme il s'amuse à le dire, reçoit ses patients dans un cabinet chaleureux égayé de deux aquariums et d'une vue sur une petite terrasse arborée. Mais quand ce jeune quinquagénaire, originaire de Cholet, se retrouve nez à nez avec un personnage sournois, désagréable, voire insupportable, il en fait son miel. Sa recette ? Pas trop de fiel, un zeste d'acidité, une bonne dose d'humour, le tout nappé d'une gouaille spontanée. Au final, une série de portraits incisifs et de comiques de situation. Cinq tomes cocasses qui plongent le lecteur dans l'univers sucré-salé de la dentisterie.

Qui êtes-vous ?

Un type assez ordinaire je crois, avec un certain sens de la rigolade. J'ai toujours été celui qui essaie de faire rire la galerie, c'est mon tempérament. Mon père était comme ça.

Votre père a-t-il eu une influence sur vous ?

Il avait toujours la blague aux lèvres, faisait des jeux de mots à table... quelque chose de l'univers des Pieds Nickelés ou des chansonniers. Chez nous, ça n'était pas triste ! J'ai fait une espèce de compilations d'environ 1 300 de ses bons mots.

Quand avez-vous commencé à écrire vos chroniques ?

C'est arrivé en 1996, complètement par hasard. Je me promenais sur un site dentaire et suis tombé sur le message d'un chirurgien-dentiste qui se plaignait. J'étais un peu dans le même état d'esprit. Je lui ai répondu en prenant un pseudo, Pal (mes initiales), et j'ai raconté l'histoire d'un patient qui non seulement arrive en retard mais en plus n'est pas coopératif du tout. Ça a fait rire et on m'en a redemandé. Les internautes ont commencé à faire une compilation de mes textes et j'ai fini par faire éditer mon premier bouquin, même si je n'osais pas trop, de peur d'être politiquement incorrect.

Vous y allez fort ?

Ce qui m'intéresse c'est la rigolade. Surtout pas la colère ni la méchanceté. Je me fais rire moi-même et ne me fais pas de cadeau non plus.

Écriviez-vous avant de vous lancer dans vos chroniques ?

Oui, depuis longtemps, j'écris pour moi : des choses plus sérieuses, comme mes mémoires.

Parlez-vous comme vous écrivez ?

Ma femme me demande de faire attention devant nos enfants... Mais quand je veux faire rire ou dans certaines circonstances, je n'hésite pas !

Qu'est-ce qui déclenche l'écriture ?

J'observe et je suis toujours à la recherche de la petite attitude, du détail. J'écris un premier jet que je fais lire à mon assistante. Si elle rigole, je retravaille mon texte en pensant à la bande dessinée. Je me concentre sur la tête des gens et sur mes réactions à moi.

Raconter vous détend ?

Avant d'écrire ces histoires, j'étais stressé par certains patients. Maintenant, je dis en écrivant ce que je ne pourrais jamais dire à voix haute. Ça me défoule et me soulage. Finalement, un patient désagréable me réjouit car je me dis que j'ai là une histoire et intérieurement je le remercie. Ça a été le cas d'« Alice terrik », dans mon tome IV. Au fond, c'est un peu comme une thérapie. En écrivant, je rigole.

Vos patients lisent-ils vos chroniques ?

Je ne les leur montre pas, excepté à ceux dont je connais le sens de l'humour.

Comment faites-vous parler de vos livres ?

Surtout via mon site : . Sinon, j'ai eu quelques articles dans la presse professionnelle et j'ai envoyé des exemplaires de mes livres à des personnalités comme Pierre Perret ou Philippe Bouvard.

Un mentor ?

Michel Audiard m'a bien marqué : il utilise des mots académiques mais dans des circonstances particulières qui créent le comique. C'est moins la situation que la façon dont c'est dit qui « claque ». On me compare souvent à Frédéric Dard, Alphonse Allais ou Pierre Dac, mais ce n'est pas mon univers. Sinon, j'aime beaucoup Pierre Desproges qui fait rire avec les mots et la langue. Et Julien Gracq : le plus beau style que j'aie jamais vu.

Un auteur que vous n'aimez pas ?

J'ai du mal à lire Amélie Nothomb. C'est comme un plat avec de drôles de mélanges de goûts.

Le plus important pour écrire ?

Avoir un peu le sens de la musique, trouver des mots agréables à prononcer, à écrire. Savoir donner une certaine nervosité à son style, un rythme dans le phrasé pour que le lecteur ne s'endorme pas. La musique, ça donne envie de bouger ou ça laisse froid. Le rapprochement avec le rythme m'intéresse beaucoup.

Quelle est votre principale qualité ?

Je suis gentil, contrairement à ce que mes histoires peuvent faire penser. Et au fond, j'aime bien ces patients que je raconte dans mes chroniques.

Votre devise ?

Profiter de chaque instant de bonheur avant que tout ça ne fiche le camp.

Un rêve ?

Si c'était possible, avoir plusieurs vies. Je suis aussi musicien : je joue de la batterie depuis dix ans dans un groupe, Bluesy trip. Et puis, pourquoi pas, être avocat car j'aime trouver le mot juste et être convaincant.

Au fond, que pensez-vous des gens ?

Comme l'a dit le musicien Franck Zappa avant de mourir : « Jusqu'à preuve du contraire, il y a 80 % de connards sur terre, mais les 20 % qui restent ça suffit à mon bonheur. »

Quelles répercussions au quotidien ?

Mes patients, c'est mon réservoir à idées. Je retranscris leurs termes exactement comme ils ont été formulés. J'inscris immédiatement réflexions cocasses, phrases cultes, idées ou situations sur des post-it. Puis je mets tout ça en forme sur mon ordinateur où j'ai toujours une page Word ouverte. J'écris à mon cabinet entre midi et 14 heures, sinon le soir ou quand l'inspiration est là. Écrire n'a pas vraiment d'impact sur ma vie professionnelle, peut-être juste que cela me prend un peu d'attention. Mais je n'écris pas tous les jours et puis, souvent, c'est pendant l'interrogatoire avant les soins que les choses sortent : je n'ai qu'à noter ce que le patient me dit. Le plus ? J'ai maintenant un regard différent sur le cabinet car je ne suis pas seulement chirurgien-dentiste mais aussi humoriste et sociologue. Avoir ce regard particulier et ce recul m'aide à bien vivre la dentisterie.

* Éditions Opéra. En vente sur www.omnidentiste.com ou en écrivant à Patrick Allereau, 3, rue Cassini, 44000 Nantes.