Clinic n° 11 du 01/12/2011

 

L’ENTRETIEN

Anne-Chantal de DIVONNE  

Les négociations pour une nouvelle convention devraient s’ouvrir en cette fin d’année dans un contexte marqué par de fortes restrictions budgétaires et des tensions entre le Gouvernement et les mutuelles. La CNSD, la FSDL et l’UJCD affichent leurs propositions. Quelle sera l’attitude des assureurs complémentaires invités pour la première fois aux négociations ?

« Les Complémentaires ne sont pas dans de bonnes dispositions ! Les taxes imposées depuis l’an dernier les rendent beaucoup plus frileuses », analyse Roland L’Herron. Son homologue à l’UJCD, qui était encore assez optimiste il y a quelques mois, est aussi devenu plus prudent. « Nous sommes très attachés à une discussion tripartite car les assureurs complémentaires étaient prêts à discuter d’améliorations de prise en charge. Mais si leur budget est grevé par des prélèvements, nous craignons qu’ils n’aient plus de marge de manœuvre. » La partie de bras de fer dans laquelle semblent engagés les mutuelles et le Gouvernement concernant le secteur optionnel des médecins n’arrange pas les choses. Xavier Bertrand a décidé de passer en force en légiférant sur le secteur optionnel. « Si on légifère au lieu d’inciter au débat conventionnel, ce n’est pas un bon présage », continue le responsable syndical. Quant à Jean-François Chabenat, président de la FSDL, il se réjouit de la censure par le Conseil constitutionnel de l’article de la loi Fourcade permettant aux mutuelles de pratiquer des remboursements différenciés. « Cette autorisation avait beau être délivrée à titre expérimental, on sait ce que cela veut dire ! Grâce à la censure, l’UNOCAM* n’aura pas toutes les cartes en main. »

Les négociations s’engagent aussi en prenant en compte un autre changement important depuis la convention de 2006. Le rapport de force entre les syndicats a évolué : avec plus de 50 % des voix lors du vote aux URPS*, la CNSD a la possibilité de signer seule une convention et de s’opposer à une convention signée par un autre syndicat ; la FSDL, qui a plus de 30 % des voix, peut signer seule mais ne peut pas s’opposer à une convention signée sans elle, tandis que l’UJCD, avec moins de 20 % des voix, ne peut pas signer seule ni s’opposer à une convention.

Roland L’Herron Président de la CNSD

Qu’espérez-vous obtenir de ces négociations ?

Notre préoccupation majeure est la réévaluation des actes de soins conservateurs et chirurgicaux. Nous demandons le doublement des actes, soit 2 milliards d’euros, mais sans nous faire d’illusions. Les sommes évoquées dernièrement par le directeur de l’Assurance maladie ne couvraient même pas les revalorisations par rapport à l’évolution du coût de la vie depuis la dernière convention ! Mais même si la situation économique est difficile, il serait coupable de ne pas prendre date sur ce point car le problème de la démographie professionnelle lui est lié. Nous demandons aussi une réévaluation de l’EBD* et du panier CMU* qui n’a pas bougé depuis 5 ans.

Nous avons aussi d’autres projets. Quand il n’y a pas d’argent, il faut avoir des idées, moderniser notre exercice. Notre profession est embolisée par une NGAP* dépassée. L’UNCAM* et l’UNOCAM* sont d’accord pour un passage à la CCAM*. C’est une grande opportunité pour notre exercice. La CCAM permettra de disposer d’une description enfin claire des actes médicaux pratiqués dans la zone buccale. Nous demanderons aussi une aide à l’informatisation.

Nous sommes aussi favorables à une hiérarchisation des consultations avec des honoraires différents selon qu’il s’agit d’un contrôle annuel, d’un nouveau patient qui nécessite l’ouverture du dossier ou d’une urgence qui bouscule l’organisation du cabinet mais rend un service important au patient qui souffre. Mais le directeur de l’Assurance maladie ne semble pas très intéressé par ces distinctions pour le moment.

Enfin, je ne manquerai pas de demander de pouvoir cumuler la cotation de radiographies au cours d’une consultation et de pouvoir coter l’ensemble des radiographies médicalement justifiées.

Voyez-vous un danger dans ces négociations ?

Certains craignent qu’on nous impose des tarifs opposables ou des plafonds sur les actes prothétiques ou d’orthodontie. Je ne l’envisage même pas. Nous avons signé il y a 5 ans une convention par laquelle nous avons donné notre avantage social maladie (ASM) en contrepartie d’un secteur déclaré libre. Si la donne change, l’Assurance maladie devra nous rendre notre ASM. L’opposabilité ne sera envisageable qu’avec un investissement massif sur les soins conservateurs et chirurgicaux. S’il s’agit de 80, 100 ou 120 millions, nous n’avons rien à donner.

Jean-François Chabenat Président de la FSDL

Qu’espérez-vous obtenir lors des négociations ?

Le préalable indispensable est le respect des engagements de la précédente convention. Et en particulier, l’égalité du C avec celui des médecins ainsi que la contribution des praticiens des centres de santé à l’URSSAF* comme les libéraux. Nous demandons aussi, sans trop d’espoir, un alignement du tarif d’autorité sur celui de la Sécurité sociale. Cela rendrait au praticien la liberté d’adhérer ou non à la convention en fonction de son attractivité. Autre demande, la création d’un secteur conventionnel à honoraires libres comme pour les médecins. Cela permettrait en même temps de résoudre le problème démographique. On nous objecte que c’est une barrière à l’accès aux soins. Mais plus personne n’aura bientôt plus accès aux soins à cause d’un manque d’omnipraticiens !

Nous demandons le triplement de la valeur des soins. Si ce n’est pas possible, nous demandons la redéfinition du panier de soins opposables. L’endodontie pourrait par exemple sortir du domaine de l’opposabilité. Nous demandons aussi de pouvoir coter les actes de radiologie en même temps qu’une consultation, de bénéficier, comme les médecins, d’un tarif particulier lorsque nous effectuons des gardes le dimanche et les jours fériés et, enfin, l’application de la CCAM. Ce dernier point est sur la bonne voie car je ne vois pas comment l’UNOCAM pourrait accepter de négocier sur la base de la NGAP. Elle ne saurait pas ce qu’elle finance.

Des contreparties pourraient-elles être acceptables ?

Si les soins sont revalorisés, ce ne sera pas sans contreparties. Mais nous n’accepterons de référentiels opposables sur des actes avec dépassement que s’ils sont assortis d’une obligation annuelle de révision.

Philippe Denoyelle Président de l’UJCD

Qu’espérez-vous obtenir de ces négociations ?

Une revalorisation substantielle des actes de soins et de chirurgie en passant par la mise en place de la CCAM. Car bien mise en place, la CCAM tient compte à la fois du plateau technique, de la complexité et de la durée de l’acte… Mais attention, s’embarquer dans une CCAM à enveloppe constante serait une catastrophe pour les cabinets. Si tout ne peut pas être financé, nous proposons de revenir à un panier d’actes essentiels pris en charge en totalité par l’Assurance maladie et les complémentaires. Nous ne sommes pas hostiles à ce qu’une obturation (amalgame sur molaire) soit prise en charge à 100 % tandis qu’un composite multiface pourrait avoir une autre tarification avec une prise en charge différenciée par les complémentaires. Cela donnerait un peu de souplesse à l’exercice sur le versant des soins.

Le préalable nous paraît être une enveloppe qui atteigne au minimum 50 millions d’euros pour rattraper la non-réévaluation des actes depuis la dernière convention. Nous souhaitons aussi la mise en place d’un système d’indexation. Nous ne nous sentirons pas liés par une signature s’il n’y a pas une autre répartition de l’enveloppe globale de soins et une petite mise de fonds qu’il serait légitime d’obtenir compte tenu de la perte que nous avons eue ces dernières années. Nous nous inscrivons dans le futur. Il faut peut-être parler fort maintenant pour dire que si les soins ne sont pas revalorisés, les jeunes ne s’installeront pas dans des régions où il y a pléthore de soins et moins de prothèses et d’implants.

Comment l’UJCD compte-t-elle faire entendre sa voix ?

Nous pouvons expliquer nos revendications et espérer les faire adopter. Sur les grands points de revalorisations, nous sommes d’accord avec la CNSD. Nous pouvons aussi mettre en garde ceux qui voudraient faire le jeu de la FSDL. Je crains que son discours monté en épingle et médiatiquement bien utilisé ne soit employé pour montrer du doigt les « méchants » chirurgiens-dentistes qui appliquent des tarifs élevés et, donc, favorisent le renoncement aux soins. La méthode serait idéale pour casser la profession !

* CNSD : Confédération nationale des syndicats dentaires ; FSDL : Fédération des syndicats dentaires libéraux ; UJCD : Union des jeunes chirurgiens-dentistes ; URPS : Unions régionales des professions de santé ; EBD : examen bucco-dentaire ; CMU : couverture maladie universelle ; NGAP : nomenclature générale des actes professionnelle ; UNCAM : Union nationale des caisses d’assurance maladie ; UNOCAM : Union nationale des organismes complémentaires d’assurance maladie ; CCAM : classification commune des actes médicaux ; URSSAF : Union de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d’allocations familiales.