Clinic n° 11 du 01/12/2010

 

RÉPONSE D’EXPERT

Patrice MARGOSSIAN  

Maître de conférences des
universités
Marseille

La modification des paramètres esthétiques et fonctionnels des arcades dentaires ne peut s’envisager sans une réflexion globale qui mènera à l’établissement raisonné d’un plan de traitement. En dehors des restaurations partielles postérieures localisées, une vision globale du traitement, étendu à une ou deux arcades, est obligatoire. En effet, malgré une apparente simplicité, le traitement secteur par secteur ne permet pas de s’inscrire dans une démarche thérapeutique globale et oblige le praticien à s’enfermer dans le schéma d’arcade fonctionnel et esthétique initial du patient sans pouvoir changer les choses en profondeur.

Comment peut-on simplifier les grandes restaurations compliquées ?

Il faut avant tout se discipliner et standardiser les approches de traitement. Une grande restauration peut faire peur, surtout si l’on ne distingue pas, dès le début, les objectifs de traitement qui sont de restaurer ou d’améliorer à long terme la fonction occlusale, l’esthétique et le confort du patient. Il faut être en mesure, dès le deuxième rendez-vous, de proposer au patient une vision claire et détaillée du plan de traitement. Même si les réévaluations sont parfois nécessaires (surtout sur l’aspect parodontal), cette démarche permet d’organiser son travail de manière efficace et de coordonner les thérapeutiques associées telles l’orthodontie, la parodontologie, l’endodontie et l’implantologie.

À quoi consacre-t-on alors le premier rendez-vous de la consultation prothétique ?

La réalisation prothétique va se construire au travers du triptyque « documentation, réflexion, réalisation ». Le premier rendez-vous sert donc, en plus de l’interrogatoire et de l’examen clinique traditionnels, à rassembler les documents complémentaires. Les radiographies et les photographies permettront d’appréhender respectivement l’aspect osseux et esthétique du patient. La réalisation du moulage d’étude monté sur articulateur est, elle aussi, obligatoire pour pouvoir gérer le cas dans sa globalité. Dans le cadre de restaurations orales de grande étendue, ces modèles seront montés en relation centrée et le plus près possible de la dimension verticale d’occlusion (DVO) idéale. De plus, le modèle maxillaire sera marqué par les plans de référence esthétique (via le système Ditramax) afin de pouvoir relever les digressions esthétiques et fonctionnelles majeures. Une fois ces éléments réunis, intervient la phase de réflexion sans le patient, où tous les éléments sont analysés et mis en relation (visuels du patient, modèle marqué sur articulateur). Un plan de traitement détaillé résultera de cette étude et sera présenté au patient afin d’obtenir son adhésion totale au traitement.

Quels sont les plans de reconstruction qui font référence en prothèse fixée ?

Historiquement, le plan de référence en prothèse est le plan de Francfort, mais la plupart des articulateurs utilisent en fait le plan axio-orbitaire (PAO) par approximation statistique comme référence. C’est, comme le plan de Francfort, un plan horizontal, mais qui passe postérieurement par les points condyliens. Ce plan de référence squelettique va servir à positionner le modèle maxillaire sur l’articulateur grâce à l’utilisation d’un arc facial, dans une position très proche de la réalité clinique afin de pouvoir simuler au mieux la cinématique mandibulaire. Il est toutefois très réducteur de n’appréhender un plan de traitement prothétique qu’au travers d’une approche purement gnathologiste, en laissant totalement de côté la dimension esthétique. L’objectif esthétique est de créer des dents aux proportions agréables et un agencement dentaire en harmonie avec la gencive, les lèvres et le visage du patient. Le visage peut s’analyser au travers de lignes de référence horizontales et verticales (fig. 1). La ligne bipupillaire représente la ligne de référence horizontale majeure. Dans un visage harmonieux, le plan incisif est parallèle à la ligne bipupillaire et le milieu interincisif est quant à lui parallèle au plan sagittal médian, sans obligatoirement être confondu avec celui-ci. Il est aussi essentiel d’avoir une information sur l’orientation du plan de Camper (point sous-nasal/tragions) afin de pouvoir optimiser la position du plan d’occlusion.

La communication au laboratoire de prothèses des données fonctionnelles par le montage sur articulateur et des données esthétiques par le marquage Ditramax sont les conditions sine qua non de pleine réussite d’une restauration orale (fig. 2 et 3).

Quelles sont les positions de référence en prothèse fixée ?

Sur cette question, il est vraiment utile de clarifier et de simplifier les choses. Dans le cadre de restaurations partielles, si l’occlusion d’intercuspidie maximale (OIM) du patient est fonctionnelle, il suffit de la conserver et de la renforcer grâce à la nouvelle restauration. Pour les restaurations de grande étendue associées à une occlusion de convenance non fonctionnelle, il convient d’utiliser la relation centrée (une position purement articulaire) comme référence et d’organiser les engrainements dento-dentaires dans cette position. C’est la définition de l’occlusion de relation centrée (ORC). Pour plus de précision occlusale, il est conseillé d’enregistrer la relation intermaxillaire au plus près de la DVO idéale (fig. 4 et 5).

Comment définir la bonne dimension verticale d’occlusion ?

Les méthodes de détermination d’une bonne DVO sont directement dérivées de la prothèse complète. Le premier élément est l’obtention de dimensions faciales harmonieuses en vue de face et de profil lorsque le patient est en occlusion. Les tests phonétiques aideront aussi à sa détermination, la prononciation du M par exemple devra définir un espace libre d’inocclusion pouvant aller de 2 à 5 mm et permettra de plus le choix d’une longueur dentaire idéale en fonction du niveau d’exposition des incisives centrales au repos. Il existe toutefois une grande capacité d’adaptation fonctionnelle aux variations de DVO, ce qui permet, dans de nombreuses situations, de proposer une surélévation à des fins purement prothétiques.

Dans le cadre de reconstructions globales, doit-on commencer par l’arcade maxillaire ou par l’arcade mandibulaire ?

Pour des raisons esthétiques évidentes, il convient de commencer par l’arcade maxillaire. Le positionnement du bloc incisivo-canin répondra à des critères esthétiques parfaitement codifiés. Les surfaces de guidage palatines pourront ainsi être idéalisées à la recherche d’une concordance fonctionnelle parfaite entre le guidage dentaire (pente incisive et canine) et le guidage articulaire (pente condylienne) afin de faciliter la cinématique mandibulaire.

La reconstruction des secteurs postérieurs devra, quant à elle, suivre l’orientation du plan de Camper qui aura été retranscrit sur le modèle de travail (via Ditramax). Une légère courbe de compensation (Spee) sera enfin aménagée pour faciliter le rapprochement fonctionnel et harmonieux des arcades (fig. 678 à 9).

Y a-t-il une différence dans l’approche esthético-fonctionnelle entre une prothèse dento-portée et une prothèse implanto-portée ?

Bien entendu non. Tous les concepts occluso-fonctionnels de la prothèse fixée sur dents sont totalement superposables avec les prothèses implanto-portées (fig. 10 et 11). Les doléances esthétiques sont elles aussi les mêmes, mais il convient toutefois de préciser que l’élaboration préchirurgicale d’un projet thérapeutique est, en implantologie, une obligation absolue. Ce projet permettra d’idéaliser les positionnements implantaires et les aménagements tissulaires nécessaires afin de garantir la parfaite intégration esthétique et fonctionnelle des prothèses (fig. 12).

En conclusion

Face à une situation complexe, il est important de faire un effort de simplification et de planification initiale de son travail. Grâce à des outils simples et une bonne documentation du cas, il est possible d’organiser efficacement les étapes de traitement qui permettront d’aboutir à un succès thérapeutique. Esthétique et fonction agissent en synergie : il n’y a pas d’esthétique sans fonction et il n’y a pas de fonction sans esthétique…

Lectures conseillées

Margossian P, Laborde G, Koubi S. Communication des données esthétiques faciales au laboratoire de prothèses : le système Ditramax. Real Clin 2010;21:41-51.

Fradeani M, Barducci G. Réhabilitation esthétique en prothèse fixée. Vol. 2. Paris : Quintessence international, 2010.