Clinic n° 11 du 01/12/2009

 

ÉTHIQUE

Guillaume SAVARD  

Chirurgien-dentiste, titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un mastère d'éthique médicale et biologique.

Une discipline médicale restera toujours un art et n'aura jamais statut de science.

nParfois il faut être assez stupide pour prendre les mots au pied de la lettre. Si on parle de médecine ou de chirurgie dentaire, on parle aussi de sciences médicales ou de sciences odontologiques. Et quand les premiers se font adjectifs dans les seconds, c'est qu'ils n'ont plus la main dans la pratique ; même s'ils peuvent la conserver dans la définition des finalités.

Examinons cette idée obscure entre les deux étaux que sont, d'un côté, l'impression que la médecine a été une forme de croyance, un genre raffiné de charlatanisme et, de l'autre, l'intrusion progressive de la science dans la pratique. Tout se déroule comme si la médecine1 passait d'un statut préscientifique à un statut scientifique. Et l'on ne peut nier qu'il y a un plus de science dans nos métiers. Cependant.

Cependant, toute science repose sur un paradigme précis : un ensemble cohérent d'objets d'études, d'outils et de principes explicatifs. Et ce paradigme est susceptible d'être bousculé du jour au lendemain pour laisser place à un autre modèle2. Il m'a toujours paru qu'en médecine, rares auraient été ces basculements totaux. Car un tel changement impliquerait une révolution après laquelle on ne peut plus rien comprendre de la théorie précédente. L'autre trait de la science est l'ambivalence entre la certitude des calculs et le caractère complètement révisable des connaissances et des moyens de les obtenir en cas d'erreurs répétées.

J'en viens au domaine médical. Là aussi, on attend des effets constants d'une même action (guérir de façon certaine après un traitement reproductible). Là aussi, on est prêt à changer de paradigme. Cependant, la médecine n'est pas une science. Elle n'a pas qu'un paradigme, qu'un objet, qu'une méthode. Elle a une pluralité de champs. La médecine peut évoluer, mais par petits pans, jamais « en intégralité radicale ». Et pratiquer la médecine (au jour le jour) n'est pas faire de la science (au jour le jour). Ce serait plutôt l'utiliser.

Canguilhem écrivait qu'il ne fallait pas confondre « science appliquée et les applications de la science3». À ce titre, la médecine ne se résume pas un à ensemble d'applications des sciences, car elle a son objet propre : la recherche de l'efficacité thérapeutique. De plus, la médecine garde la main sur la finalité et, bien souvent, elle est à l'origine des sciences médicales.

Et comme la médecine « conserve la rigueur théorique des connaissances qu'elle emprunte », le philosophe peut écrire que « la médecine [...] nous apparaît encore comme une technique ou un art au carrefour de plusieurs sciences, plutôt que comme une science proprement dite ». C'est toute la difficulté et la noblesse de notre métier d'être cette « somme évolutive de sciences appliquées ». C'est tout notre art et nous en reparlerons. n

1. Dans laquelle j'inclus la chirurgie dentaire. 2. Comme la théorie de la relativité en physique a rendu caduque le modèle classique. 3. Toutes les citations proviennent de G. Canguilhem, « Le statut épistémologique de la médecine ». Dans : Études d'histoire et de philosophie des sciences concernant les vivants et la vie. Paris : Vrin, 1968 (Problèmes & Controverses).