COULEUR
Jean-Christophe DUBOIS
Emmanuel NICOLAS
UFR d’Odontologie de Clermont-Ferrand
11 Bd Charles de Gaulle
63000 Clermont-Ferrand
L’esthétique d’une restauration dentaire dépend de nombreux paramètres tels que sa géométrie, sa translucidité et sa couleur. L’architecture et la composition tissulaire de la dent déterminent sa couleur. Mais la perception colorée dépend de la nature de l’objet regardé, de la lumière qui l’éclaire et de l’observateur. La dent a un comportement complexe vis-à-vis de la lumière, qu’elle réfléchit et transmet simultanément. À ce titre, il est intéressant de connaître l’espace chromatique des dents naturelles. Il est ici proposé une étude colorimétrique de l’incisive centrale supérieure et des paramètres susceptibles de l’influer…
L’esthétique d’une restauration dentaire dépend notamment de sa position, de sa forme, de son état de surface, de sa translucidité et de sa couleur. Même parfaitement adaptée, elle sera considérée comme mauvaise par le patient si sa couleur accroche le regard. Il est donc important de rationaliser l’enregistrement de la couleur des dents pour éviter les erreurs d’intégration esthétique et pour améliorer la satisfaction de nos patients.
La couleur est la perception subjective qu’a l’œil d’une ou de plusieurs fréquences d’ondes lumineuses. Pour apprécier une couleur, le système visuel analyse les trois dimensions qui la définissent : la tonalité chromatique (rouge, vert, bleu), la saturation (quantité de pigments colorés) et la luminosité (intensité lumineuse). Le terme « teinte » peut-être utilisé pour désigner la forme pure d’une couleur (tonalité chromatique et saturation), c’est-à-dire sans adjonction de blanc ou de noir (luminosité) qui permettent d’obtenir ses nuances.
L’architecture et la composition tissulaire de la dent déterminent sa couleur (fig. 1). Celle-ci peut être appréhendée de la manière suivante : la dentine est responsable de la tonalité chromatique, de la saturation et de la fluorescence de la dent alors que l’émail conditionne la luminosité, la translucidité, l’opalescence et les effets de dégradés [1]. La dentine est plus opaque que l’émail. Au niveau du bord libre, l’émail épais donne un aspect translucide. À l’inverse, au niveau de la zone cervicale, l’émail de faible épaisseur fait que la couleur de la dent provient de la dentine sous-jacente. La saturation et la tonalité jaune augmentent du bord incisif au collet [2]. Sur une même dent, au cours des années, l’épaisseur d’émail diminue, ce qui entraîne une perte de translucidité et d’opalescence [3]. La dent âgée prend aussi un aspect lisse et mat.
La vision des couleurs dépend de la nature de l’objet regardé, de la lumière qui l’éclaire et de l’observateur. L’objet peut être lui-même émetteur de lumière ou réfléchir tout ou partie de la lumière qu’il reçoit. La dent a un comportement complexe vis-à-vis de la lumière qu’elle réfléchit et transmet à la fois. L’aspect lisse ou rugueux d’une dent et sa translucidité jouent ainsi un rôle important sur la nature de la lumière perçue [3]. Par ailleurs, la qualité de la source lumineuse conditionne directement la perception des couleurs. Le métamérisme, c’est-à-dire les variations de couleur que subit un objet en fonction des différentes sources lumineuses qui l’éclairent, en est la meilleure illustration [4]. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, notre œil ne voit pas la même couleur toujours de la même manière. Le système visuel a tendance à évaluer une couleur en fonction de la scène qui l’entoure. L’environnement buccal et extrabuccal a ainsi une forte influence sur la perception colorée des dents. Enfin, la qualité de l’œil, l’âge et l’expérience de l’observateur conditionnent aussi sa vision des couleurs [5], [6].
Le praticien sollicite sans cesse sa perception colorée. Même s’il est possible de s’aider d’appareils électroniques (colorimètres, spectrophotomètres), le choix de la couleur fait essentiellement appel à sa vision des couleurs. Il est alors intéressant de connaître l’espace chromatique des dents naturelles pour faciliter leur reconstitution colorimétrique. Dans cette perspective, nous nous proposons de réaliser une étude descriptive de l’espace chromatique de l’incisive centrale supérieure droite d’une population francophone. Secondairement, notre objectif est d’évaluer l’influence de facteurs tels que l’âge, le sexe, le tabagisme, la consommation de thé ou de café et l’hygiène bucco-dentaire sur la couleur de la dent. L’étude est réalisée à l’aide d’un spectrophotomètre (Vita Easyshade(r)), d’un interrogatoire et d’un examen clinique succinct.
Cette étude est réalisée par deux examinateurs auprès de 197 patients francophones consultant le Centre hospitalier de soins dentaires de Clermont-Ferrand et deux cabinets libéraux de la Côte-d’Or et de la Haute-Savoie.
Les sujets inclus dans l’étude présentent une incisive centrale supérieure droite définitive pulpée indemne de carie et de restauration au niveau des deux tiers cervicaux (fig. 2 à 5).
La mesure de la couleur dentaire (fig. 6) est effectuée à l’aide du spectrophotomètre intraoral Vita Easyshade(r). Il utilise un système de fibres optiques agencées d’une manière spécifique pour éclairer la dent et capter la lumière qui se trouve dispersée à l’intérieur par la couche d’émail et réfléchie par la couche de dentine. Certaines fibres optiques servent de capteur d’angle et de mouvement pour vérifier si la sonde est immobile et bien perpendiculaire à la dent. Les mesures sont indépendantes des conditions extérieures et transcrites en codification Vita 3D-Master(r) et Vitapan(r) Classical.
Pour les 197 sujets de l’étude, les données suivantes sont recueillies : l’âge, le sexe, la consommation quotidienne de tabac et la consommation quotidienne de thé ou de café. L’indice de plaque de Silness et Loe [7] est relevé sur la face vestibulaire de la dent mesurée. Il est noté en l’absence de toute coloration selon quatre niveaux : absence de plaque bactérienne, film de plaque bactérienne détecté uniquement en passant la sonde sur la surface dentaire, accumulation modérée de plaque bactérienne visible à l’œil nu, accumulation abondante de plaque bactérienne.
Après avoir nettoyé la dent, la mesure de la couleur est réalisée suivant les recommandations du fabricant. Elle est effectuée au niveau du tiers moyen de la face vestibulaire de la dent, c’est-à-dire à environ 2 mm du bord libre et du bord cervical. Goodkind et Schwabacher [8] ont montré que le tiers moyen de la dent est le site qui représente le mieux la couleur globale de la dent. Pour chaque patient, l’examinateur a réalisé deux mesures successives (mesure 1 et mesure 2).
La fiabilité du protocole a été testée. Nous avons vérifié la reproductibilité du Vita Easyshade(r) en comparant les résultats de la mesure 1 et de la mesure 2. La fiabilité entre les deux examinateurs a également été testée en comparant les résultats de l’examinateur 1 avec ceux de l’examinateur 2.
L’ensemble des données récoltées ont été saisies sur Excel(r) puis analysées sur IBM SPSS Statistics 19(r). L’ensemble des résultats est exploité d’un point de vue descriptif.
La fiabilité et la reproductibilité intra- et extra- observateurs ont été évaluées par une analyse de fiabilité (coefficient de corrélation intraclasse [CCI] : Α = 0,05).
Les relations entre les composantes de la couleur et les paramètres étudiés (âge, sexe, habitudes tabagiques, consommation quotidienne de thé ou de café, hygiène bucco-dentaire) ont été objectivées par une série de corrélations de Pearson. Afin de mettre en évidence l’importance de l’influence des paramètres étudiés sur les composantes de la couleur, une analyse en régression linéaire est effectuée.
Les informations recueillies auprès des sujets étudiés sont regroupées dans le tableau 1.
L’analyse de fiabilité (CCI) a montré une grande reproductibilité :
• entre la tonalité chromatique de la mesure 1 et celle de la mesure 2 (CCI = 0,80 ; p < 0,001) ;
• entre la saturation de la mesure 1 et celle de la mesure 2 (CCI = 0,90 ; p < 0,001) ;
• entre la luminosité de la mesure 1 et celle de la mesure 2 (CCI = 0,95 ; p < 0,001).
L’analyse de fiabilité (CCI) a montré une reproductibilité significative :
• entre la tonalité chromatique mesurée par l’examinateur 1 et celle mesurée par l’examinateur 2 (CCI = 0,59 ; p < 0,05) ;
• entre la saturation mesurée par l’examinateur 1 et celle mesurée par l’examinateur 2 (CCI = 0,83 ; p < 0,01) ;
• entre la luminosité mesurée par l’examinateur 1 et celle mesurée par l’examinateur 2 (CCI = 0,86 ; p < 0,001).
Dans la suite de ce travail, les résultats seront présentés en fonction de chacun des deux teintiers Vita :
• Tonalité chromatique
Au sein de la population étudiée, la tonalité chromatique la plus représentée est la B, c’est-à-dire des tons rougeâtres-jaunâtres. 99 patients présentent cette tonalité chromatique soit 50,3 %. Puis on observe les tonalités A : tons rougeâtres-brunâtres (24,9 %), C : tons grisâtres (21,3 %) et enfin D : tons gris rougeâtres (3,6 %).
• Saturation
Le niveau de saturation le plus représenté est le « 2 ». En effet, 97 patients présentent cette saturation, soit 49,2 %. Puis on observe la saturation « 1 » (23,4 %), « 3 » (17,3 %) et « 4 » (8,6 %).
Les teintes les plus fréquemment relevées sont la B2 (38,1 %) puis le A1 (18,3 %).
• Tonalité chromatique
La tonalité chromatique la plus représentée est le L. 100 patients présentent cette tonalité chromatique, soit 50,8 %. Puis on observe la tonalité M (46,2 %) et R (3,1 %).
• Saturation
Le niveau de saturation le plus représenté au sein de cette population est le « 2 » ; il est observé chez 50 patients, soit 25,4 %. On trouve ensuite le « 2,5 » (18,3 %), le « 3,5 » (14,7 %), le « 1,5 » et le « 3 » (11,2 %), le « 1 » (10,7 %), le « 4 » (4,6 %) et enfin le « 4,5 » et le « 5 » (2 %).
• Luminosité
Les niveaux de luminosité les plus représentés sont le « 1,5 » et le « 2 ». On les observe chez 69 patients chacun, soit 70 % de la population. On trouve ensuite le niveau « 1 » (17,3 %), le « 2,5 » (9,6 %) et enfin le « 3 » (3 %).
Les couleurs les plus fréquemment relevées sont le 2,5L2 (12 %) puis le 2L1,5 (10 %).
Une analyse de corrélation a permis d’étudier les relations entre les paramètres de la couleur et les différents facteurs susceptibles de les influencer : l’âge, le sexe, les habitudes tabagiques, la consommation de thé ou de café et l’indice de plaque.
À l’aide du teintier Vitapan(r) Classical, on observe un lien statistiquement significatif entre l’âge des patients et la tonalité chromatique de leur incisive (ρ = 0,36 ; p < 0,001). Avec l’âge, elle devient gris rougeâtre, ce qui correspond à la teinte D.
De plus, il apparaît un lien statistiquement significatif entre l’âge de la population et la saturation de l’incisive (ρ = 0,52 ; p < 0,001). Avec l’âge, son niveau de saturation augmente.
Selon le teintier 3D-Master(r), on n’observe pas de lien statistiquement significatif entre l’âge des patients et la teinte de leur incisive.
En revanche, la luminosité de l’incisive diminue de manière significative avec l’âge (ρ = 0,64 ; p < 0,001).
À l’aide du teintier Vitapan(r) Classical, on n’observe pas de lien statistiquement significatif entre le sexe des patients et la tonalité chromatique de leur incisive.
En revanche, on observe une corrélation statistiquement significative entre le sexe et la saturation de l’incisive (ρ = – 0,14 ; p < 0,05). Celle des femmes est moins saturée que celle des hommes.
Selon le teintier 3D-Master(r), on n’observe pas de lien statistiquement significatif entre le sexe des patients et la teinte de leur incisive.
En revanche, les femmes ont une incisive significativement plus lumineuse que les hommes (ρ = – 0,18 ; p < 0,001).
À l’aide du teintier Vitapan(r) Classical, on n’observe pas de lien statistiquement significatif entre la consommation de tabac des patients et la teinte de leur incisive.
Selon le teintier 3D-Master(r), on n’observe pas de lien statistiquement significatif entre la consommation de tabac et la couleur de l’incisive.
À l’aide du teintier Vitapan(r) Classical, on observe un lien statistiquement significatif entre la consommation de thé et/ou de café et la tonalité chromatique de l’incisive (ρ = 0,20 ; p < 0,001). Les sujets consommant régulièrement du thé et/ou du café présentent une incisive plus grise rougeâtre (D).
En revanche, il n’apparaît pas de lien statistiquement significatif entre la consommation de thé et/ou de café et la saturation de l’incisive.
Selon le teintier 3D-Master(r), on n’observe pas de lien statistiquement significatif entre la consommation de thé et/ou de café et la teinte de l’incisive.
En revanche, les personnes qui consomment quotidiennement du thé et/ou du café ont une incisive significativement moins lumineuse (ρ = – 0,29 ; p < 0,001).
À l’aide du teintier Vitapan(r) Classical, on n’observe pas de lien statistiquement significatif entre l’indice de plaque de l’incisive et sa tonalité chromatique.
En revanche, on observe un lien statistiquement significatif entre l’indice de plaque de l’incisive et sa saturation (ρ = 0,23 ; p < 0,001). Les incisives présentant un indice de plaque élevé sont plus saturées.
Selon le teintier 3D-Master(r), on observe une corrélation négative statistiquement significative entre l’indice de plaque de l’incisive et sa tonalité chromatique (ρ = – 0,14 ; p < 0,05). Les dents ayant un indice de plaque élevé ont une tonalité chromatique plus neutre.
De plus, on observe un lien statistiquement significatif entre l’indice de plaque de l’incisive, sa saturation (ρ = 0,28 ; p < 0,001) et sa luminosité (ρ = 0,28 ; p < 0,001). Les dents présentant un indice de plaque élevé sont plus saturées et moins lumineuses.
L’analyse de régression montre que le facteur le plus influent sur la couleur de l’incisive centrale supérieure droite de l’échantillon étudié est l’âge.
Ce travail est une étude pilote qui décrit la couleur de l’incisive centrale d’un échantillon de la population francophone et ses éventuels facteurs de variabilité. Il présente cependant des limites liées à la faiblesse de l’échantillon et surtout à sa non-représentativité.
En effet, l’échantillon ne comporte que 197 patients. Parmi les sujets étudiés, on compte plus de femmes (63 %) que d’hommes (37 %) alors que le ratio hommes/femmes est quasiment identique dans la population française. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que les femmes fréquentent plus régulièrement les cabinets dentaires que les hommes [11]. L’échantillon étudié est plus jeune (37,4 ans d’âge moyen) que la population générale (40,1 ans d’âge moyen). Cette différence pourrait s’expliquer par le fait que la probabilité de trouver une personne présentant une incisive centrale supérieure droite indemne de carie et de restauration diminue avec l’âge [12]. De plus, il faut souligner le fait que nous avons utilisé un indice de plaque très simplifié. Il ne concerne que la face vestibulaire de l’incisive centrale supérieure droite et ne reflète donc pas l’hygiène bucco-dentaire globale du patient.
Conscient de ces biais de recrutement, nous avons vérifié la qualité du protocole d’analyse. La fiabilité a été vérifiée en comparant les deux mesures de couleur prises successivement sur le même patient. L’analyse de fiabilité a montré une grande reproductibilité entre la première et la deuxième mesure, que ce soit pour la tonalité chromatique, la saturation ou la luminosité. Cette reproductibilité est similaire à celle relevée par Dubois et Nicolas [6] pour qui la reproductibilité de l’Easyshade(r) est de 96,4 %. Dozic et al. [2] ont obtenu des résultats comparables en étudiant les performances de cinq spectrophotomètres. Ils rapportent que l’Easyshade(r) est l’instrument le plus reproductible dans des conditions d’utilisation clinique et de laboratoire.
D’autre part, en ce qui concerne la fiabilité de ce spectrophotomètre, nos résultats sont concordants avec les données de la littérature. Trois études rapportent une très bonne concordance (92,6 %, 86,6 % et 85,6 %) entre la teinte des échantillons de teintiers et celle mesurée numériquement [6], [13], [14]. Le choix de l’Easyshade(r) pour réaliser cette étude est donc justifié. D’autant plus que la reproductibilité interexaminateur est confirmée.
Lors de notre étude, la tonalité chromatique la plus souvent observée est le jaune rougeâtre correspondant au B du teintier Vitapan(r) Classical (50,3 %) et au L du teintier Vita 3D-Master(r) (50,8 %). Plus généralement, 75 % des personnes étudiées ont des dents de tonalité chromatique A ou B. Dans 97 % des cas, la tonalité chromatique est L ou M. L’étude de Dubois et Nicolas [6] rapporte des résultats similaires concernant le Vitapan(r) Classical. De nombreuses études observent aussi une prédominance du jaune ou du jaune rougeâtre dans les dents humaines [2], [3], [15], [16], [17], [18], [19]. D’autres auteurs ont noté que la tonalité chromatique la plus observée en bouche est le brun rougeâtre correspondant au A du Vitapan(r) Classical [20], [21].
Le niveau de saturation le plus souvent observé dans notre étude est le « 2 », quelle que soit la codification utilisée (Vitapan(r) Classical ou 3D-Master(r)). De nouveau, nos résultats sont comparables avec ceux de l’étude de Dubois et Nicolas [6] réalisée sur des étudiants en chirurgie dentaire et avec ceux de Paul et al. [20]. À l’inverse, Yuan et al. [22] ont montré que, sur 501 mesures, la valeur de saturation la plus souvent notée est le « 1 ».
Pour ce qui est de la luminosité, nous avons constaté que la majorité des dents appartenaient aux groupes « 1,5 » et « 2 » (70 %). Yuan et al. [22] relèvent que 49,78 % des dents appartiennent au groupe de luminosité « 2 ». Ces résultats sont en contradiction avec ceux du fabricant, qui rapporte que pratiquement la moitié des dents humaines se situent dans le groupe de luminosité « 3 ».
En résumé, la couleur majoritaire dans notre étude est le B2 (38,1 %) puis le A1 (18,3 %) en codification Vitapan(r) Classical et le 2,5L2 (11,2 %) puis le 2L1,5 (10,2 %) en codification Vita 3D-Master(r). Paul et al. [20] rapportent que la teinte majoritaire est le A1. Yuan et al. [22] observent principalement la couleur 2M1. Nous pouvons donc conclure que, globalement, les tonalités chromatiques des dents naturelles les plus fréquentes sont à 75,2 % le A et le B, c’est-à-dire blanc additionné de jaune et de rouge ou de brun.
Dans un deuxième temps, nous nous sommes intéressés aux facteurs intrinsèques (âge, sexe) et extrinsèques (tabagisme, consommation de thé ou de café, hygiène) pouvant influencer la couleur des dents.
Dans cette étude, la tonalité chromatique est dépendante de l’âge et de la consommation quotidienne de thé ou de café. Le niveau de saturation des dents est lié à l’âge, au sexe et à l’indice de plaque. Les variables significatives pour la luminosité sont l’âge, le sexe, l’indice de plaque et la consommation quotidienne de thé ou de café. On n’observe aucune corrélation entre la couleur des dents et le tabagisme.
De nombreux auteurs ont montré une corrélation statistiquement significative entre l’âge et la couleur des dents. Les études d’Hasegawa et al. [3], d’Odioso et al. [18] et de Xiao et al. [19] montrent que les dents naturelles ont tendance à devenir moins lumineuses et plus jaunes avec l’âge. Celle de Goodkind et al. [8] a permis d’observer qu’elles deviennent plus sombres et plus rougeâtres après 35 ans.
D’une manière générale, la saturation des dents naturelles augmente et leur luminosité diminue avec l’âge [3], [8], [18]. L’augmentation de la saturation et le ternissement des dents avec le temps peuvent s’expliquer par le fait que, au cours de la vie, les changements de structures dus à l’usure entraînent des variations de couleur. Les dents jeunes présentent des effets d’opalescence mais, au fil du temps, l’épaisseur d’émail diminue, ce qui provoque une perte de translucidité et d’opalescence. De même, la saturation augmente car la dentine secondaire brune ou grise donne à la dent âgée une apparence plus foncée [3]. De plus, avec l’amincissement de la couche d’émail, la charge minérale de la dentine augmente. Des pigments et des ions pénètrent à travers l’émail et viennent se fixer à la jonction amélo-dentinaire.
Selon une étude menée par Odioso et al. [18] sur 180 adolescents et adultes vivants aux États-Unis, les femmes auraient en moyenne les dents plus lumineuses et moins jaunes que les hommes. Xiao et al. [19] rapportent les mêmes résultats avec l’étude de 405 sujets chinois âgés de 13 à 64 ans. Hassel et al. [23] ont observé que le sexe était associé à la couleur des dents. Leur étude montre que les hommes ont les dents plus sombres et plus saturées que les femmes. La tonalité chromatique des hommes est plus jaune rougeâtre tandis que celle des femmes est plus jaune-vert. Ces résultats sont comparables à notre étude puisque nous avons trouvé une différence significative en termes de luminosité et de saturation entre les dents des femmes et celles des hommes. À l’inverse, d’autres études réalisées par Hasegawa et al. [3] et par Dubois et Nicolas [6] n’ont pas montré de différence significative de couleur entre les deux sexes.
Par ailleurs, la couleur des dents évolue sous l’influence de facteurs extrinsèques tels que l’hygiène bucco-dentaire, le tabagisme et la consommation de thé ou de café [1]. Dans notre étude, nous avons constaté que la saturation, la tonalité chromatique et la luminosité sont influencées par la consommation de thé ou de café et par l’indice de plaque. En revanche, il n’y a pas de lien entre le tabagisme et la couleur des dents. Dans la littérature, l’étude d’Odioso et al. [18] montre que la consommation quotidienne de thé et/ou de café, le tabagisme et la fréquence de l’hygiène bucco-dentaire influencent la couleur des dents. À l’inverse, Xiao et al. [19] et Dubois et Nicolas [6] ne rapportent pas de lien entre ces différents facteurs et la couleur des dents. Ardu et al. [15] n’ont pas remarqué non plus d’influence significative de ces facteurs extrinsèques, mis à part la consommation de thé.
Les différences observées dans les résultats peuvent être expliquées en majeure partie par les caractéristiques des populations étudiées. En effet, les études ont été réalisées sur des populations de plusieurs pays (États-Unis, France, Japon…), avec des tranches d’âges variables. Par exemple, l’étude de Dubois et Nicolas [6] ainsi que celle d’Ardu et al. [15] portent sur des sujets jeunes. Il est donc probable que l’exposition aux colorants n’ait pas été assez longue pour produire un effet significatif. De plus, diverses techniques de mesure de la couleur plus ou moins fiables et reproductibles ont été utilisées (détermination visuelle, colorimètres, spectrophotomètres…). Enfin, la transcription de la couleur suivant différents systèmes de représentation (CIE L*a*b* et L*C*h*, Vitapan(r) Classical, Vita 3D-Master(r)) rend les comparaisons des résultats de ces études difficiles.
La couleur et l’apparence des dents sont des phénomènes complexes dont la perception est influencée par de nombreux paramètres tels que la dent elle-même, la source lumineuse, l’observateur et l’environnement coloré. Plusieurs systèmes permettent de mesurer la couleur des dents (relevés visuels et numériques) pour restaurer cliniquement l’espace chromatique des dents délabrées ou manquantes.
Dans cette étude pilote, la couleur de l’incisive centrale supérieure droite d’un échantillon de patients francophones a été évaluée à l’aide d’un spectrophotomètre (Vita Easyshade(r)). Les tonalités chromatiques des dents naturelles les plus fréquentes sont le B (50,3 %) et le A (24,9 %) du teintier Vitapan(r) Classical et le L (50,8 %) et le M (46,2 %) du teintier 3D-Master(r). Les dents sont blanches avec des nuances de jaune additionnées de rouge ou de brun. Le niveau de saturation le plus observé est le « 2 ». La majorité des dents appartiennent au groupe de luminosité « 1,5 » et « 2 ». L’âge, le sexe et certains facteurs extrinsèques tels que la consommation de thé ou de café et l’hygiène bucco-dentaire apparaissent comme des facteurs influençant la couleur des dents. Le facteur influençant le plus la couleur est indéniablement l’âge. En effet, la saturation des dents naturelles augmente et leur luminosité diminue avec l’âge. Les hommes ont les dents plus sombres et plus saturées que les femmes. La consommation de thé ou de café ainsi que le manque d’hygiène bucco-dentaire augmentent la quantité de pigments colorés et diminuent la luminosité des dents. À l’inverse, un autre facteur comme le tabagisme pourtant souvent évoqué n’a pas d’impact sur leur couleur.
D’autres études avec un échantillon plus important et représentatif de la population générale seraient intéressantes afin de tirer plus d’enseignements. Cette étude pourrait néanmoins servir à constituer une base de données sur les paramètres esthétiques des dents utile à la réhabilitation d’un sourire naturel.
Nous remercions la société VITA pour nous avoir prêté des spectrophotomètres Easyshade(r).