Clinic n° 11 du 01/12/2009

 

ODONTOLOGIE RESTAURATRICE

Amir CHAFAIE  

Maître de conférences des universités,
Odontologie pédiatrique,
Faculté d'odontologie de Marseille,
27 boulevard Jean-Moulin,
13355 Marseille Cedex 05.
chafaie@free.fr
Bibliographie

L'amélioration des propriétés optiques des nouveaux composites de restauration et la rationalisation des techniques de stratification apportent une grande simplification qui permet au plus grand nombre d'accéder à ces techniques, jadis réservées à une élite « artiste ». Une meilleure connaissance des propriétés chromatiques de ces nouveaux matériaux facilite leur utilisation clinique et leur intégration dans les procédures de restauration.

La restauration des pertes de substance faibles à modérées est idéalement réalisée en méthode directe à l'aide de résines composites. L'amélioration des propriétés mécaniques et biologiques des résines composites est indéniable et s'observe, au quotidien, par des résultats durablement satisfaisants. Pour les restaurations antérieures, les composites se déclinent de plus en plus en teintes émail et dentine, et pour les systèmes les plus élaborés, des masses supplémentaires (opaques, maquillages, etc.) sont proposées. Ainsi, ces composites adoptent de plus en plus une philosophie de mise en oeuvre fondée sur le respect de l'anatomie de la dent [1]. Cela n'est pas une nouveauté en soi, car les premières publications sur ces techniques datent de plus de 10 ans [2]. L'évolution de certains matériaux permet de répondre favorablement au souci de simplification de ces systèmes, considérés comme complexes. Cette évolution vers la simplicité permet, de nos jours, de les utiliser comme des matériaux routiniers.

Les guides de détermination de « teinte » (teintiers) restent insuffisants pour un choix précis des « couleurs » à employer, notamment au niveau du bord libre où des réalités morphologiques et chromatiques riches imposent une démarche plus rationnelle et plus individuelle (charte chromatique, cartographie) [3]. Les appareils électroniques comme le Vita EasyShade® (Vita Zahnfabrik), indispensables pour les procédés prothétiques, restent d'un emploi restreint en odontologie conservatrice, compte tenu non seulement des dimensions souvent faibles des restaurations mais également de la richesse des caractéristiques chromatiques des différentes zones d'émail.

Les composites destinés aux techniques de stratification comportent des masses émail dont les propriétés optiques varient avec l'épaisseur. Cela est particulièrement difficile à maîtriser, ce qui a conduit de nombreux fabricants de résines composites à optimiser les propriétés optiques de leurs matériaux « émail » pour une certaine épaisseur. Celle-ci se situait aux alentours de 0,3 à 0,5 mm, ce qui nous conduisait à laisser une place équivalente à cette épaisseur, réservée à l'émail vestibulaire. Les diminutions d'épaisseur de cette couche aboutissaient à une visibilité accrue des masses « dentine », synonyme de saturation importante. Le manque de luminosité lié à la faiblesse d'épaisseur de la couche d'émail conduisait à la nécessité de réparation de ces restaurations dans une séance ultérieure.

Depuis peu, l'un des premiers systèmes de composite de restauration destinés à la stratification des masses « émail » et « dentine » (Enamel Plus HFO, Micerium) a vu ses masses « émail » évoluer vers des masses plus lumineuses avec un indice de réfraction similaire à celui de l'émail. Ce système permet ainsi, compte tenu des propriétés optiques des masses « émail », de remplacer l'émail naturel par des masses « émail » d'épaisseurs équivalentes. À l'inverse des précédentes masses de ce système où l'épaisseur maximale ne devait en aucun cas dépasser 0,5 mm sous peine de voir la restauration tendre vers une couleur grise, les nouvelles masses émail du système Enamel Plus HRi (Micerium) sont plus tolérantes vis-à-vis des variations d'épaisseur. Ainsi, une fine couche d'émail permet une expression plus importante de la dentine sous-jacente (chromaticité accrue), tandis qu'une épaisseur importante d'émail permet un masquage plus important de la dentine (désaturation) et une luminosité accrue.

Cette nouvelle possibilité de « jouer » sur les épaisseurs de l'émail (tolérance aux variations d'épaisseur) apporte ainsi plusieurs avantages :

- la « teinte » finale de la restauration s'adapte plus facilement et plus constamment à la teinte de la dent ;

- les techniques de montage deviennent plus simples car la nécessité d'aménagement d'une couche régulière d'émail lors de la réalisation de la dernière couche de dentine disparaît (fig. 1) ;

- les préparations peuvent présenter des limites de formes variées , allant du conventionnel chanfrein au traditionnel biseau ;

- le masquage du joint s'effectue mieux . Cela est lié en partie à l'indice de réfraction du composite, mais également à l'opacité relative des masses « émail ». Le pouvoir masquant des masses « émail » est d'autant plus important que leur épaisseur augmente. La réfraction de la lumière se fait de manière similaire à celle de l'émail naturel grâce à la modification concomitante de la matrice résineuse et des nanoparticules de charge. Comme pour l'ancien système (Enamel Plus HFO), le nouveau système (Enamel Plus HRi) mis au point par Lorenzo Vanini propose 3 masses « émail » de luminosités croissantes (fig. 2 à 5).

Il est universellement admis que la luminosité est le facteur le plus important dans la réussite d'une restauration. Cela est par ailleurs le cas dans les nouveaux concepts de détermination de couleur (teintier Vita 3D Master) où la première étape est celle du choix de la luminosité (voir encadré en fin d'article).

Les mesures colorimétriques [4] mettent en évidence la différence des 3 masses d'émail sur le plan de la luminosité (fig. 6). Nous n'exposons ici que certaines valeurs (luminosité sur fond blanc, sur fond noir et sur fond de « dentine ») selon les masses employées et selon les épaisseurs. L'analyse des valeurs de luminosité des masses émail sur fond noir (fig. 7) en comparaison avec ces valeurs sur fond blanc montre que sur fond noir, même à 1,5 mm, on n'obtient pas la luminosité de la même masse sur fond blanc (même épaisseur). Cela met en évidence une relative translucidité des masses émail qui laissent transparaître un certain degré de noir (baisse de luminosité). La justification de l'emploi des masses « dentine » se comprend plus facilement car, en plus de la chromaticité qu'elles apportent (teinte et saturation), elles seront à même de donner une certaine luminosité à la restauration.

Le choix de la teinte émail a également une conséquence importante sur les autres paramètres de la couleur (teinte, saturation). Ainsi, il semble plus judicieux de jouer sur les teintes « émail » et « dentine » de manière simultanée pour bénéficier des avantages apportés par chaque masse (fig. 8 et 9). Au niveau des zones amélaires non soutenues par la dentine, l'épaisseur de l'émail réalisé exprimera des couleurs de luminosité et de tonalité chromatiques différentes (fig. 10). Ce phénomène sera positivement exploité lors de la réalisation du bord libre des dents jeunes où une faible épaisseur d'émail permettra l'expression d'une opalescence naturelle dans la zone incisale (halo incisal) (fig. 11). L'analyse du cas clinique exposé (fig. 11) met en évidence l'obtention de l'opalescence naturelle du bord libre de la dent grâce à la fine épaisseur de l'émail placé entre les lobes dentinaires.

La luminosité globale de la restauration dépend de plusieurs facteurs dont la gestion et la maîtrise garantissent le succès clinique[5]. Ces facteurs sont :

- la luminosité de la masse « émail » . Le choix doit se faire à l'aide de nuanciers spécifiques ou en polymérisant une faible quantité de composite sur la préparation (fig. 12) ;

- l'épaisseur de la masse émail. Il est actuellement possible d'augmenter cette épaisseur sans pour autant « griser » la restauration. Les marges de manoeuvre sont nettement supérieures avec le système Enamel Plus HRi qu'avec les systèmes précédents (fig. 13);

- la luminosité de la masse « dentine ». L'emploi des masses « dentine » du système et des masses « émail » de manière concomitante revêt une importance capitale. En effet, l'émail devient la variable principale dans le rendu chromatique final (variables luminosité et épaisseur) et exige ainsi des masses « dentine » pouvant s'adapter à cela. Les masses « dentine » peu lumineuses risquent ainsi d'aboutir à des restaurations grises si l'épaisseur de l'émail est faible (zone incisale) ;

- l'état de surface de la restauration. Plus la surface est lisse, plus on perd de la luminosité [6]. Une dent très lumineuse a presque systématiquement une surface vestibulaire avec une texture richement développée.

Le système Enamel plus HRi est ainsi fondé sur essentiellement 2 masses. Les masses émail offrent 3 niveaux de luminosité et se montrent de plus en plus lumineuses avec l'augmentation de l'épaisseur. Cette augmentation est cependant faible, ce qui ne doit pas faire perdre à l'esprit l'importance de la masse dentine sous-jacente qui contribue désormais considérablement à la luminosité globale de la restauration. On voit par ailleurs que l'augmentation de l'épaisseur de cette masse lui confère un certain pouvoir masquant ( fig. 13, noter la difficulté de lire le texte avec l'augmentation de l'épaisseur des barrettes du nuancier). Ces valeurs d'opacité évoluent bien plus vite que les valeurs de luminosité, ce qui permet de constater que sous de fortes épaisseurs d'émail, la dentine aura du mal à s'exprimer. La chromaticité (saturation) doit par conséquent être augmentée au niveau du noyau dentinaire.

À l'inverse, les masses « dentine » montrent, à partir d'une faible épaisseur (0,3 mm), une opacité (pouvoir masquant) importante. Leur emploi ne doit pas s'envisager seul car le résultat sera une restauration sans effet de profondeur et relativement « terne ». Deux nouvelles masses très peu chromatiques (et relativement lumineuses) font leur apparition dans le système, notamment pour les dents très lumineuses, dont le degré de luminosité ne peut pas être restitué par l'emploi de l'émail universel seul. Pour les cas extrêmes de blancheur (taches), des masses « intensif » et « maquillage » restent nécessaires (2 masses disponibles).

Enfin, par rapport à une masse « opalescente » avec sa quasi-absence d'opacité, les masses d'émail universel se montrent radicalement différentes. Si une masse opalescente est dénuée de tout pouvoir de masquage, l'émail universel permet de masquer et de « désaturer » la dentine et d'apporter un effet de profondeur. L'emploi des masses opalescentes devient de plus en plus anecdotique car un tel effet est obtenu par la diminution de l'épaisseur de l'émail universel (fig. 13). La prise en compte des propriétés optiques des différentes masses de ce nouveau matériau et un temps réduit consacré à l'entraînement permettent l'acquisition des connaissances requises pour l'obtention de restaurations hautement esthétiques (fig. 14 à 17).

Les couleurs opaques peuvent être mesurées selon 3 paramètres qui sont la teinte, la saturation et la luminosité.

La luminosité , ou le degré de blanc (puisqu'on parle des dents), est le paramètre le plus important dans l'invisibilité d'une restauration. Elle reflète la quantité de lumière réfléchie par l'objet. On peut parler du caractère clair ou sombre d'une couleur.

La teinte , ou la tonalité chromatique, est le nom qui est attribué à une couleur. La teinte est jaune, verte, orange, ou blanc rougeâtre (teintes A du teintier Vita® Classical ou Lumen). Les dents sont dans plus de 90 % des situations en A ou en B.

La saturation est le degré de pureté d'une couleur. Plus la teinte est saturée, plus elle est soutenue. Ces paramètres de couleur constituent la sphère de Munsell, largement employée dans les mesures colorimétriques. Il existe d'autres méthodes de mesure, par exemple selon le modèle XYZ ou plus communément Lab (luminosité, valeur sur l'axe rouge/vert, valeur sur l'axe bleu/jaune, fig. 18).

Bibliographie

  • 1. Chafaie A, Kling C. Évolution des résines composites de restauration sur le plan esthétique. Clinic 2007;7:463-471.
  • 2. Vanini L. Light and color in anterior composite restorations. Pract Periodontics Aesthet Dent 1996;7:673-682.
  • 3. Vanini L, Mangani FM. Determination and communication of color using the five color dimensions of teeth. Pract Periodontics Aesthet Dent 2001;1:19-26.
  • 4. Paravina R, Powers JM. Esthetic color training in dentistry. Philadelphie : Elsevier Mosby, 2004.
  • 5. Lasserre JF. Les sept dimensions de la couleur des dents naturelles. Clinic 2007;7:417-430.
  • 6. Rouas P, Delbos Y. État de surface dentaire et intégration esthétique. Clinic 2006;7:35-41.